Le trésor de la rue Mouffetard, Éditions Bourgey, 2012
Sabine Bourgey, Le trésor de la rue Mouffetard, Éditions Bourgey, 2012, p. 126-127
Cet après-midi là, plus anxieux que de coutume, il décida, profitant de l’absence de Victoire qui ne devait venir le retrouver que vers huit heures, de mettre de l’ordre dans ses affaires. Il repoussa les dossiers qui avaient envahi son bureau puis, du tiroir de la table, il sortit un grand nombre de louis d’or, du papier, de l’encre, une plume et un cachet. Le jour baissant, il alluma une bougie et commença à écrire.
Je soussigné Louis Nivelle écuyer, conseiller, secrétaire du Roy, maison couronne de France, audiencier en la chancellerie de Paris, donne et lègue à ma fille Anne-Louise Claude Nivelle, les cent quatre vingt dix louis d’or ci-inclus, valant à présent quatre mille cinq cent soixante livres et à quelque somme qu’ils puissent monter, s’ils augmentent ou baissent. Révoquant dès à présent tout ce que l’on pourrait me faire faire en contrainte, à moins d’une révocation bien précise et bien formelle. Fait à Paris le seize avril 1733. Nivelle
Il versa un peu de poudre pour sécher le testament, mit les pièces d’or à l’intérieur et ficela le rouleau ainsi constitué. Puis, il se leva, prit le rouleau de pièces et la lettre qu’il venait de terminer. Il poussa légèrement le secrétaire de côté et se baissant, descella facilement avec un poinçon deux pierres près du sol. La cachette était déjà pleine de monnaies d’or, il y ajouta le rouleau. Puis, il replaça soigneusement les deux pierres dans le mur et remit le meuble en place. Depuis plusieurs mois, chaque fois qu’il se rendait rue de la Coutellerie, il en revenait avec des louis d’or qui lui permettaient de faire face aux dépenses de sa double vie. Victoire, elle-même très fortunée, ne posait jamais aucune question sur le financement de leur existence. D’ailleurs si Louis était absent, c’est elle qui réglait les factures. Louis et Victoire ne parlaient jamais d’argent. Il avait hésité longuement sur les termes de son testament mais avait préféré léguer directement à sa fille, Marie avait sa propre fortune et de toute façon c’est elle qui gèrerait les affaires de la petite. Cette enfant, qu’il avait si peu vue, lui léguer sa fortune semblait à Louis une façon de compenser son absence et son manque d’attention. Sentant l’émotion le gagner, il se remémorait ce que disait son père, l’avocat Nivelle : Faire son testament ne fait mourir que ceux qui sont très malades ou très impressionnables.