Romantisme nocturne, poésie mystique et affinités spirituelles chez Henri Bosco et Novalis
Avignon, le 16 novembre 2002
Novalis :
« Nous rêvons le voyage à travers l’univers ;
« L’univers n’est-il donc pas en nous ?
« Les profondeurs de notre esprit nous sont inconnues
« Le chemin mystérieux va vers l’intérieur. » (1)
Romantisme nocturne, poésie mystique et affinités spirituelles chez Henri Bosco et Novalis :
Vers de nouveaux personnalismes pour l’épanouissement des religions du Monde
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Gérard Valin
Docteur ès Lettres
Paris
En hommage à :
Claude Girault
Jean Onimus
Pierre Paul Sagave
Publié par Honoré Champion dans : « Henri Bosco et le romantisme nocturne » -
Actes du colloque de Strasbourg des 25 et 26 octobre 2002
Henri Bosco :
« J’ai senti dans mes mains les formes éphémères
« Et senti la douceur des contours de la vie,
« Car la vie est douce.
« Mais avant de descendre au fond de cette tombe,
« Où je n’ai plus de nom et peut être plus d’âme,
« Pour mon salut,
« J’ai cherché le sens mystique de la rose. » (2)
Henri Bosco et Novalis :
Romantisme nocturne, poésie mystique et affinités spirituelles
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Henri Bosco, Novalis : deux poètes mystiques ? Ce rapprochement étrange, entre deux personnalités si éloignées s’avère pourtant merveilleusement fécond. Au-delà des langues et des pays, des époques et des environnements, ces deux chercheurs d’absolu se rejoignent dans l’authenticité de leurs expériences spirituelles, à diverses étapes de leurs cheminements religieux. Ces explorateurs infatigables de paradis possèdent une immense faculté de rêver, de reconstituer un univers à leur mesure. Ils participent à l’intimité des terres qu’ils ont habitées, à l’essence de chaque chose, aux émotions liées à toutes rencontres.
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Cette sympathie universelle invite « naturellement » à l’harmonie et repose sur les approches des religions historiques. Leurs besoins – et leurs désirs profonds – s’enracinent dans les réponses fournies par les dogmes et les mythes, fruits de la société et des institutions. Si leurs œuvres peuvent donner, au lecteur pressé, une certaine impression de panthéisme, voire de syncrétisme, et même d’éclectisme, c’est que leur perception (« Weltanschaung ») (2bis) embrasse simultanément les deux mondes, le visible et l’invisible. La beauté de leur langue, l’intensité de leurs expériences spirituelles, ne peuvent laisser insensibles les guetteurs d’infini.
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Le cortège de leurs interprètes prestigieux ne cesse de s’allonger. Des lectures de Bachelard (3), éclairé par la psychanalyse jungienne (3bis), aux visions personnalistes d’Albert Béguin (4) sur le romantisme allemand, des approches mystiques de Maurice Besset (5) ou d’Alain Lambert (6) à l’analyse poétique d’Armel Guerne (7) ou encore à la psychocritique de Charles Mauron (8), l’intelligence de la poésie de nos deux écrivains continue à s’enrichir. Il convient de citer ici l’immense travail de recherches de publications et de contacts de l’Amitié Henri Bosco, à l’initiative de son Président, Claude Girault, et de son équipe. Certains historiens de la pensée permettent de les situer sur de vastes fresques, tel « l’Amour et l’Occident » de Denis de Rougemont (9) pour Bosco, ou la « Genèse du Romantisme Allemand » de Roger Ayrault (10) pour Novalis. Comment ne pas évoquer aujourd’hui la somme romantique, oh combien riche ! de Georges Gusdorf (11) dans cette illustre Université de Strasbourg qui nous accueille aujourd’hui ? Et pourquoi pas également Albert Schweitzer et sa compréhension des « Grandes religions du Monde » ? (11bis)
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Dans l’immense et séculaire domaine des religions, les repères fournis par Mircéa Eliade (12) permettent de situer les étapes mystiques que franchissent Henri Bosco et Novalis dans l’exploration de l’invisible. Les gardiens vigilants des dogmes, tels Karl Barth, s’inquiètent de la liberté d’introspection, sans carte préétablie, d’un Novalis : il ira jusqu’à le soupçonner de renier – in fine – toute forme de médiation au point de le déclarer « irréligieux ». Il est vrai que Novalis n’hésitera pas à approfondir la théosophie de Jakob Böhme (13), en s’inspirant également de la mystique rhénane de Me Eckart, de Suso ou de Tauler (14), tout en composant des cantiques spirituels. Bosco lui-même, en restant proche de la Foi de sa jeunesse, n’hésitait-il pas à étudier René Guenon (15) et le « Roi du Monde » ou encore la mystique soufie (16), sans oublier, à l’occasion, de réveiller les Divinités Grecques assoupies dans les abysses des Cyclades ?
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S’il fallait encore suggérer les principales convergences de nos deux poètes, rappelons que Novalis, selon son frère Charles, connaissait couramment le Grec à douze ans et se passionnait pour « Le Timée » et le « Critias » de Platon et plus encore pour la philosophie de Plotin (17), avant de collaborer à l’ « Athänaum » des Frères Schlegel et d’admirer la poésie avec Schiller, auteur des « Dieux de la Grèce », et surtout avec le Goethe de Wilhelm Meister. Les références de Dante, dans la « Divine Comédie », à la poésie des Troubadours provençaux enthousiasmeront Henri Bosco, admiratif d’Henri Irénée Marrou (18). Comme Henri Bosco me l’a confié, il s’étonnera de l’étrange intérêt de Novalis pour les joutes poétiques des Minnesänger à la Wartburg, cheminement qu’il n’avait pas imaginé chez ce romantique allemand. L’Ombre de Frédéric II et du bouillon de culture sicilien y est peut-être pour quelque chose.
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Fidèle au respect des textes, auquel était très attaché Bosco, je vous propose de donner la parole à nos deux auteurs. Nous évoquerons d’abord leur perception de la puissance de la terre, de son obscure séduction face à l’ardeur du feu, signe de vie et de lumière, puis leurs expériences respectives du mystère de la mort et leur préférence pour la voie intérieure. Cette évolution les orientera vers la sagesse et la recherche mystique. D’une « enstase » naturellement autocentrée, ils évoluent vers l’ « extase surnaturelle », révélation d’un Dieu transcendant, renonçant par là même à l’expérience du pur acte d’exister par la seule volonté (19). Cette mystique commune sera celle d’un Dieu d’Amour, dont le Verbe constitue le Médiateur pour nos deux poètes, eux-mêmes appelés à témoigner de leurs expériences personnelles. Dès lors, Verbe et Silence se confondent au profit d’une présence active du poète au cœur de la « Cité de Dieu », qui aspire à être de ce Monde (19 bis).
I) L’obscure séduction du monde minéral : puissances et idéalisation de la terre face au feu, signe de vie et de lumière :
Novalis se passionnait pour les sciences de la terre, en exerçant les fonctions d’Intendant des Mines de Weissenfels. Son père était Directeur des Salines de cette région et le destinait à cette carrière. Cette séduction de la Terre se manifeste tout au long de son œuvre, de « Henri d’Ofterdingen » à « Les disciples de Saïs ». Baroudiel, le héros de l’ « Antiquaire » est géologue. C’est à sa suite que nous découvrirons le mystère de la terre, si présent dans les romans de Bosco.
1) Le symbole de la pierre :
L’harmonie du pacte avec le monde terrestre se réalise chez Bosco comme chez Novalis, grâce à la pierre, dont ils recherchent, l’un et l’autre, la signification secrète. Cet aspect est évoqué chez Novalis dans les descriptions du futur âge d’or. C’est ce que l’Étranger confie à Henri, au chapitre premier de « Henri d’Ofterdingen » : « Jadis, j’ai entendu conter l’histoire des temps anciens où les bêtes, les arbres et les rochers conversaient, dit-on, avec les hommes. » (20). Les rochers, la pierre participaient à l’harmonie universelle des premiers temps. Dans la discussion des quatre disciples de Saïs, celui que l’on identifie à Novalis, précise : « N’est-il pas vrai que pierres et forêts obéissent à la musique et, domptées par elle, se plient à notre volonté comme des animaux domestiques ? ». Et plus loin : « Le rocher ne prend-il pas une personnalité dès que je m’adresse à lui ? » (21). La pierre est ainsi animée d’une vie particulière : elle doit être considérée comme une personnalité autonome à laquelle il devrait être possible - voire souhaitable - de s’accorder. L’époque de l’âge d’or étant révolue, des qualités bien particulières sont nécessaires pour comprendre ce monde minéral, apparemment hostile. « Je ne sais s’il s’est déjà trouvé quelqu’un pour comprendre les pierres et les astres, mais certainement ce doit avoir été un être sublime. Dans les statues qui nous sont restées d’une époque révolue de splendeur humaine, brille un esprit si profond, une si étrange intelligence du monde minéral, qu’elle semble revêtir le spectateur pensif d’une croûte de pierre qui le pénétrerait peu à peu. Le sublime nous pétrifie, nous ne devrions pas nous émerveiller du sublime dans la nature ni admirer ses effets, à moins que nous ne sachions où les chercher. La nature ne pourrait-elle pas avoir été changée en pierre à l’aspect de Dieu, ou par la terreur qu’elle a éprouvée lors de l’apparition de l’homme ? » (22).
Cette « étrange intelligence du monde minéral », ne la retrouvons-nous pas dans la statue du Bodhisattva (22bis) que Raphaël et Déodore dévoilent à Baroudiel : « Au milieu, sur un socle, se dressait une tête de marbre. On ne la distinguait que vaguement, et de profil. La lampe n’en touchait que le front, l’arête du nez, le bout des lèvres, le menton volontaire et suave. La joue, l’oreille et une haute chevelure sombre restaient dans la nuit. Mais la paupière, mi-close sur l’œil, prenait un peu de clarté à la lampe. Vu ainsi, ce profil, tracé par un fil de lumière pure, ne tenait plus à la matière, mais offrait comme le contour d’une extrême illumination spirituelle. Il semblait s’être détaché de son propre visage, cependant éclairé par la méditation. De sa pensée, il n’avait conservé en lui nul souvenir, pas même cette ombre mentale que laisse la parole immatérielle de l’intelligence au cours de ses actes lucides. Rien de la terre, rien du ciel, tel qu’on le voit du monde. Mais une émanation, l’effusion d’une autre lumière, plus que la présence de l’être, et plus que l’âme, même plus que l’âme, l’aube inimaginable, au-delà de tout. » (23). Le jade de cette statue incarne la trace mystérieuse d’une vie sans limite ; les antiquaires dont les rêves se heurtent à l’horizon terrestre, s’en inquiètent et s’en protègent.
Lorsque Raphaël aperçoit la bague de Baroudiel, il ne peut s’empêcher de la réclamer, tandis que Déodore affirme la toute-puissance de la pierre : « Une pierre vit et se garde ; il n’est au monde créature plus réservée et qui se refuse plus subtilement à l’indiscrétion du vulgaire. D’un doigt banal, on la fait miroiter ; mais le genre de ses vrais feux, on ne l’échauffe, et il ne s’irradie qu’à l’appel de l’Amour le plus fervent, c’est-à-dire de la connaissance la plus haute. » (24). N’est-ce pas la même image qui est employée par Novalis à propos des collections de pierres ? Le compagnon maladroit, dans « Les disciples de Saïs », avait disparu, un soir. Il reparaît à l’aube, fort joyeux. « Bientôt le jeune homme reparut parmi nous rapportant, avec une expression d’indicible bonheur, une petite pierre des plus insignifiantes mais de forme singulière. Le Maître la prit dans sa main, embrassa longuement son élève, puis fixa sur nous un regard humide et posa cette petite pierre à une place vide qui avait été laissée parmi les autres pierres, juste à l’endroit où diverses séries semblaient entrecroiser leurs rayons. » (25). Ici comme là, la pierre revêt une signification extraterrestre. Novalis conclut en disant : « Il nous sembla avoir saisi au passage un clair pressentiment de cet univers merveilleux. » (26). Raphaël, quant à lui, « vit » la signification de la bague de Baroudiel : « Je descends maintenant, avec Demeter, dans les profondeurs de la Terre. Et j’y vois les sources occultes de la vie, les origines. Ici, les divinités telluriques entretiennent et chauffent les vapeurs qui s’élèvent du sein de la matière, par des voies obscures, jusqu’à la chair des bêtes et des hommes, et qui, de là, se glissent jusqu’à l’âme pour la posséder. Vapeurs d’ivresses sensuelles qui égarent l’esprit et troublent le sommeil de rêves incompréhensibles, inspiratrices du délire, mères de la divination. Par elles seulement, nos cœurs communiquent au Dieu, le Dionysos souterrain dont la puissance fait germer, croître, fleurir, fructifier les plantes et les arbres ; car il est roi de la végétation. De Zeus, il tient l’étincelle de vie qui s’épanouit en transports sauvages dans les autres et, de sa mère Perséphone, qui règne sur les ombres, la puissance germinatrice, ténébreuse et lente poussée des semences ensevelies dans le sein tiède de la Terre. Dionysos est l’âme du monde. » (27)
Nous voici fixés, en même temps que Baroudiel, sur les expériences de Raphaël et Déodore. « Ici, Monsieur, on a le culte de la Terre, et nous adorons en secret, nous, cette ville vainement bruyante, souterrainement, la Substance elle-même. » (28). Les Antiquaires croient en une présence vivante de la Terre, avec laquelle l’on peut entrer en harmonie, si on la vénère. C’est la conception du « Naturgeist » de Novalis. Il écrit dans « Les disciples de Saïs » : « Tout ce qui est divin a une histoire, et l’on voudrait que la nature, cette unique totalité à laquelle l’homme se puisse comparer, ne fût pas comme l’homme engagée dans une histoire ou, ce qui revient au même, qu’elle n’ait pas d’âme ? Si la Nature n’avait pas d’âme, elle ne serait point la Nature, l’unique réalité qui fasse pendant à l’humanité, elle ne serait point la réponse nécessaire à cette question mystérieuse, ni la question qui provoque cette réponse infinie. » (29). Et la Substance, n’est-ce pas ce que recherche le mineur ? Il met tout son espoir dans le « roi des métaux », qui doit rendre l’homme définitivement heureux. C’est la signification symbolique du cinquième chapitre de « Henri d’Ofterdingen ». Enfin, Raphaël l’a rappelé, la Terre est essentiellement maternelle, créatrice (« Mutter Erde »). C’est la mère du feu, des eaux et des ombres. (28 bis)
2) Des terres idéalisées par le poète :
Henri d’Ofterdingen voyage d’Eisenach à Augsburg, en passant par la Forêt de Thuringe et la Franconie, sans que s’exerce une influence particulière sur le poète due à l’une ou l’autre contrée. (29bis) En revanche, les étrangers apportent un message nouveau depuis leurs lointains pays. Le mineur vient de Bohème (30). Chez Novalis, un parfum d’exotisme rend irréelle, voire symbolique, la situation géographique. Il en est ainsi avec les disciples de Saïs, avec Zulima, dont l’origine orientale reste imprécise. (31) Parfois même, la localisation est impossible. C’est le cas de l’Atlandide (32) et (33), royaume du Roi Arthur, reconstitués par l’imagination de Novalis. Une référence explicite et significative concerne la Provence, dans la grotte de l’ermite : « Il n’osa pas laisser voir sa découverte ; il ferma le livre et c’est avec un air indifférent qu’il s’enquit auprès de l’ermite du titre et de la langue de cet écrit : il apprit ainsi qu’il était rédigé en Provençal. » (34) Cet intérêt pour la Provence n’est probablement pas sans rapport avec les travaux que poursuivaient Herder et son disciple Maser, puis A.W. Schlegel, à l’origine de la tradition des prestigieux romanistes allemands. Cette absence de précision géographique chez Novalis est à rapprocher du thème de l’âge d’or même si, selon Charles du Bos, l’atmosphère de la forêt de Thuringe ou des grottes de Franconie peut constituer l’image idéalisée du jardin perdu. Pour Novalis, au temps venu, l’harmonie terrestre se réalisera partout et simultanément, dans un monde rénové.
Pour Bosco, certaines terres mythiques s’avèrent dès aujourd’hui plus favorables que d’autres à de telles harmonies. La Provence idéalisée, terre natale de l’auteur, occupe la première place. Pierre Lampédouze, revenant de Paris, est saisi par la beauté de son pays. « Un antique pays de pure gravité où les cyprès poussent devant les fermes et, dans la profondeur de l’air et dans l’éclat spirituel de la lumière, un empire aux monuments d’or, un royaume de joie sereine … etc. (35) Après l’agitation parisienne, Pierre retrouvera la sagesse des vertus antiques. Dans « Le quartier de sagesse », nous découvrons, avec Bosco, plusieurs hauts lieux de Provence : Tarascon, Toulon, la Sainte-Baume, les Alpilles. Mais la préférence de l’écrivain va au Luberon, en particulier à Lourmarin où il fait de longs séjours. Ce sera désormais, sans que cela ne soit clairement annoncé, le cadre habituel de ses romans. Dans « Le sanglier », la vie du Luberon nous parvient par odorantes bouffées. « Cela suait de ses hanches à travers les toisons de genévriers et de ronces. Ce grand corps, gonflé de ténèbres, barbelé de houx, exhalait des senteurs de bêtes. Elles arrivaient par bouffées brutales contre la maison. On devinait le monstre à deux pas. » (36) Cette vie de la montagne n’est pas limitée à ces manifestations naturelles. « Depuis plusieurs années, j’avais rêvé éperdument devant cette forte montagne où le moindre rocher, le moindre creux, la moindre caverne, couvre, cache, implique, contient le surnaturel. » (37) Une étude sur cette présence issue de la terre dans les romans de Bosco, se suffirait-elle à elle-même. Une partie du « Roseau et la source » (38) a été regroupée sous le titre « Luberon ».
Bosco a passé de nombreuses années de sa vie en Afrique du Nord, en Algérie et au Maroc. Il a séjourné à Philippeville et surtout à Rabat. Il a retrouvé cette puissante présence de la Terre sur le continent africain. Au début des « Sables à la mer », il présente une vue cosmique du Maghreb : « Quand le vent des tempêtes monte de l’Ouest, aux rivages de la Géorgie ou de la Caroline, l’Océan se creuse et lance ses eaux vers l’Orient. Alors, sur mille lieux, sans autre obstacle que quelques flots enveloppés d’écume, la houle atlantique déferle. Inlassablement, elle pousse la massive puissance de ses ondes jusqu’à ce que la pointe extrême de leurs lames heurte une côte basse et inhospitalière où elle expire. C’est le Maghreb. » (39) Il poursuit quelques pages plus loin : « Le Maghreb est marqué du signe de la Terre. » (40) Cette terre, Baroudiel la retrouve dans tous ses mystères lorsqu’il poursuit sa mission géologique au désert. (41) « On ne peut voir le désert. On le perçoit. Il est là. Il est devant vous. C’est une extraordinaire présence. » (42) Mais c’est dans le Haut Atlas que Bosco découvre le signe le plus extérieur de l’harmonie avec la Terre. Le chapitre « Plein Sud » des « Sables à la mer » offre une description saisissante de la danse nocturne : « La danse est entrée dans le corps. Elle les saisit du dedans, et sur tout l’empire nerveux elle lance ses ondes. C’est la danse close, la danse captive, la danse emprisonnée par le sortilège, la danse prise pour une âme, qui ébranle l’être. » (43)
Une image identique apparaît d’ailleurs chez Novalis dans « Les disciples de Saïs » : « Si le penseur, dit le troisième, a raison d’imiter l’artiste en s’engageant sur le chemin de l’action, s’il cherche en utilisant de façon adéquate son activité spirituelle à réduire l’univers à une figure à la fois simple et mystérieuse, s’il « danse la nature » en quelque sorte, et reproduit en parole les lignes de ses mouvements, l’amoureux de la nature ne peut qu’admirer cette entreprise hardie et se sentir heureux de la réussite d’une telle virtualité humaine. » (44)
À Bosco de continuer : « La danse vient à nous du pied, de tout le corps le point le plus sensible au contact de la terre et, délicat ou dur, le plus perméable aux démons primitifs des ombres souterraines. Par-là passe l’onde dansante. Le talon bat, la pointe prend le fluide et la nappe électrique mande, en quête de figures expressives. Mais la prise de terre, au pied, ce talon, cette plante qui adhèrent seuls, alimentent de courants magiques les mollets nerveux, les cuisses sensibles, les hanches et les reins mobiles, jusqu’au bras, jusqu’aux mains d’où le fluide s’échappe vers l’éther. Ainsi la danse, chargée de ces forces qui rayonnent obscurément du sein de la terre, est-elle communicative. Elle tend le lien le plus fort qui rattache l’homme au rythme du monde. Et c’est pourquoi la nuit lui est si favorable, avec la marche cérémonielle des constellations dans le ciel. » (45) Le danseur, tel les derviches tourneurs d’Istanbul, héritiers de la tradition soufie, grâce à Roumi, devient le point de rencontre privilégié des harmonies terrestres et célestes. (45 bis)
Les intuitions convergentes de Bosco et de Novalis les conduisent à intégrer l’harmonie cosmique dans la vie de leurs héros. Bosco nous offre cette image magnifique de l’homme qui se couche pour dormir dans le sens des étoiles. (46) Ainsi, les rêves du poète seront-ils conduits par la ronde céleste. Le sentiment du mouvement de la terre provoque l’angoisse devant la chute de ce corps fantastique. « Or, cette nuit-là, je vis vraiment descendre la terre, et pendant un moment, j’eus peur. Je fermai les yeux et sentis sous moi la chute immense. Sourdement la terre vibrait. » (47) La même impression saisit le narrateur de « Hyacinthe » sur le Delubre (48). Novalis, lui aussi, a senti l’harmonie du monde intérieur avec la marche des astres qu’il décrit dans « Les disciples de Saïs » : « Alors il verrait les astres se lever en lui, il apprendrait à sentir l’univers de façon plus claire et plus diverse que par la vue qui ne lui montre jusqu’à présent que les contours et les surfaces. » (49)
Cette empathie cosmique s’avérera une piste dangereuse vers l’harmonie universelle. Elle ne saurait se confondre avec elle. Le feu en constitue un contre point efficace, mais ambigu, car s’il subit une attraction céleste, ses origines sont terrestres.
3) Le feu, signe de vie et de lumière :
Le feu, élément essentiel dans l’œuvre d’Henri Bosco apparaît plus rarement chez Novalis. À plusieurs reprises, Bosco nous livre l’image de la communication intime des flammes du foyer avec la terre. La cheminée est ce point de l’espace où les flammes de la terre apparaissent dans notre monde visible. La terre en effet, la « Mutter Erde » est origine du feu et de l’eau, les éléments contraires. « Oui, le feu naît du sol, il sort des profondeurs. La terre est chaude et, sous nos pas, c’est le feu caché qui l’habite dont les flammes de nos foyers sont l’émanation et le signe. Elles nous disent l’amitié du feu alors que, dans le ciel, l’éclair nous menace sauvagement de sa colère. » (50) : Bosco le rappelle dans « Le Jardin des Trinitaires ».
Dionysos, la divinité de Raphaël et de Déodore, est le dieu du feu. Les Antiquaires vénèrent ainsi l’Esprit de la Terre, qui ne manque pas de les envoûter.
Être mobile, communicatif, insaisissable, la flamme est symbole de vie chez Bosco. Vie instinctive, encore dénuée de pensée, et qui n’est en soi que force instinctive. Il n’y a donc pas harmonie possible avec le feu, mais seulement chaleur et lumière nécessaires à la vie. Cette divinité sera célébrée par les Caraques, lorsqu’ils plantent leur grande tente près de la Commanderie, la nuit de Noël. Ce feu est la condition de toute vie terrestre et sera la source impersonnelle de tout amour. Novalis écrit dans « Les disciples de Saïs » : « Qu’est-ce que la flamme partout présente ? Une étreinte intense dont le doux fruit ruisselle en gouttes de volupté. » (51)
Lorsque Frédéric Meyrel étreint Clotilde de Queyrande dans le parc de Loselée (51bis), l’idée du feu s’impose à son esprit. « Je n’avais plus, dans ma tête chaude, qu’un signe : la pensée du feu. » (52) Dans « Hyacinthe », le chapitre au cours duquel le narrateur découvre son amour pour l’héroïne, de « L’âne culotte », s’intitule « le feu ».
Signe de vie, nécessaire à l’amour, le feu est également source de lumière. Il se consume avec la lampe. Il a besoin de la nuit pour exprimer son ardeur ambivalente. Il brûle ceux qui s’approchent trop de lui, mais telle la flamme d’une chandelle, il aspire à se rapprocher du ciel.
II) La perception divine du poète : le mystère de la nuit, l’angoisse existentielle, la voie intérieure :
1) Le mystère de la nuit et l’angoisse de la solitude :
Les œuvres de Bosco et de Novalis, baignent dans une atmosphère de mystère. Il s’y produit des faits inexplicables, pour la logique humaine. Ces phénomènes n’en sont pas pour autant fortuits. Les poètes, comme leurs lecteurs, ne peuvent comprendre ces analogies profondes, mais les respectent. Bosco et Novalis sont profondément sensibles au « Mysterium Magnum », à l’âme du Monde selon Böhme. Leur intuition poétique les conduit à reconnaître son influence dans l’événement le plus insignifiant. Le Marquis de Pampelonne l’enseigne à Pierre Lampédouze : « Dieu sait si j’aime le soleil, et les vieux temples de la mer, et la sagesse de l’intelligence ! Mais je sais respecter ce que j’ignore et je mêle à ma religion le culte discret du Mystère. – Le Mystère ? dit Lampédouze. Le Mystère, répond le vieux Marquis de Pampelonne. Car il est là, Monsieur, derrière votre chaise (Lampédouze tourne la tête). Il domine partout ; il pénètre dans tous les corps, comme l’éther subtil des philosophes du Portique. Il contient une puissance latente, et il pèse directement sur quelques rares esprits préoccupés de sa présence taciturne. Il anime en secret tous ceux qui, par négligence, ou parce qu’ils le nient, s’agitent bien étourdiment sous ses regards attentifs, sans se douter qu’il les contemple. S’il est l’empire des chimères, il s’étend cependant sur nous, comme le ciel illimité où passent les grands rêves. Il est vain de penser qu’on peut en sonder le silence. C’est lui qui nous enveloppe, qui nous envahit, qui nous imprègne comme un fluide souple et léger, jusqu’à faire de nous la forme la plus décevante de son être. Parfois, nous le devinons, grave et discret, derrière les mobilités du voile de la vie. Il est l’unique Réalité. » (53) Ce respect du Mystère que le Marquis de Pampelonne enseigne au jeune Pierre Lampédouze, nous la retrouvons chez Novalis.
Dans « Grains de Pollen », Novalis compare les « esprits confus » et les « esprits clairs », à la façon pascalienne. Malgré la conclusion du fragment, reflet de l’attitude intuitive de Novalis, on devine où va la préférence du poète. « Plus un homme a l’esprit confus – un de ces esprits confus qu’on appelle souvent des imbéciles – plus il peut tirer de soi par l’étude assidue de soi ; les esprits clairs au contraire devront s’efforcer de devenir de vrais savants, de consciencieux encyclopédistes. Les esprits confus ont à lutter d’emblée contre de puissants obstacles, ils ne percent que lentement, ils peinent sur leur travail ; mais ensuite ils s’en rendent maîtres pour toujours. L’esprit ordonné pénètre rapidement au cœur des questions, mais en sort rapidement aussi. La confusion indique une surabondance de force et de talent, mais dans un dosage défectueux. La précision indique un juste dosage, mais une indigence de talent et de vigueur. C’est pourquoi les esprits confus sont si aptes au progrès, si perfectibles, alors que l’esprit ordonné tombe si vite dans le philistinisme. À force de travailler sur soi, l’esprit confus parvient à cette céleste transparence, à cette illumination de soi auxquelles l’esprit ordonné arrive si rarement. Le vrai génie unit ces extrêmes. Il a en commun avec le second la vivacité, avec le premier la plénitude. » (54). Nous reconnaissons bien en l’esprit confus les qualités de certains des « Disciples de Saïs » et celles de « Henri d’Ofterdingen ». Henri Bosco n’aurait pas hésité à se ranger dans la première catégorie, du moins si l’on en croit la confidence qu’il nous fait au début de « Le chemin de Monclar » : « Et il est vrai que je suis lent à comprendre, lent à répondre, lent à diriger une pensée même banale sur le chemin qu’honnêtement doivent prendre toutes les pensées pour être vraiment des pensées. Je ne le nie pas. Mais s’il en résulte parfois des inconvénients, si parfois j’ai comme un regret d’être inégal à ce jeu raisonnable, j’aime cependant d’un amour étrange cet étrange monde intérieur plus variable, plus profond, plus mystérieux et sans doute plus près de l’être. » (55)
Le poète découvre ce monde mystérieux en explorant l’infini de son âme. La logique humaine n’éclaire pas l’angoissant domaine de la Nuit. Pour les héros de Bosco, le plus souvent, la découverte de la solitude, aboutit à des perspectives inquiétantes. Cette crainte du vide intérieur rejaillit néanmoins souvent sur la compréhension des choses les plus naturelles. L’inquiétude ira de pair avec certaines présences. « Tout ce qui sommeille m’inquiète, et ces anses closes, ces canaux cachés, ces haies de roseaux, ces voûtes de saules touffus, la pénombre verte, l’immobilité de l’eau glauque, la présence de quelque fleur haute et mystérieuse, il n’était rien dans ces retraites qui ne me fit frissonner de crainte, quand je m’y risquais. » Le jeune Bosco a été habitué très tôt à voir le mystère du monde dans son environnement le plus familier. « … de la pénombre me vient (et je l’éprouve encore) une propension au désir, au pur désir. Il y entre toujours quelque réminiscence, des regrets, un espoir confus et le pressentiment d’une approche indéfinissable au contact de laquelle une puissance obscure entrepose son mystère. » (56) Il est cependant un moyen de conjurer cette angoisse. Tante Philomène Balesta dont « les réflexions s’inclinaient vers ce côté si mystérieux de la vie », l’utilise pour la direction des affaires familiales. Il convient d’accepter son destin, cet ensemble de convergences rapprochant a posteriori les faits les plus insolites, ainsi transformés en nécessité intérieure. « Elle pensait souvent au Destin. C’est sagesse. Car il n’est pas de connaissance profonde des choses et des êtres, de recherche qui nous conduisent à leur secret, si la présence du Destin, claire ou indéchiffrable, ne provoque et ne retient pas l’attention. » (57). L’habitant de Sivergues saura l’inventer pour expliquer au jeune Bosco l’aventure de la famille Vincent. (58) Ce voile tendu devant le mystère du monde ne saurait rester intact lorsque, comme la Titoune, on a la vision horrible : « Oui, vu, car je l’ai vue … Je n’ai pas vu autre chose … Non ! … Je n’ai vu que ça, ma peur, ma peur à moi, ce n’est pas drôle à regarder ! Ça n’a pas d’yeux, Monsieur René, pas de nez, pas de bouche, pas de regard, ça ne parle pas, ça ne bouge pas, ça n’a rien, rien, rien, pas même une forme de bête, et ça existe pourtant, c’est là ! là ! … on voit ça à deux ou trois mètres et ça se balance ... et pas de bruit, rien … Ca flotte au-dessus du sol … c’est horrible ! … » (59). Le roman ne révèle jamais quelle rencontre la Titoune a faite au Pas du Cerf. Il faut en retenir la crainte insurmontable qu’elle inspire à son esprit. On pense à l’hymne à la Nuit V de Novalis :
« Une pensée cependant, un rêve affreux
Venait épouvanter les convives en fête
Et frapper de terreur les cœurs bouleversés.
Les Dieux même ne connaissaient aucun remède
Pour rassurer les cœurs que l’angoisse étouffait.
Mystérieuse était l’approche de ce monstre,
Vaine était la prière et l’offrande inutile ;
C’était la mort, interrompant l’orgie
Par ses terreurs, ses douleurs, et ses pleurs. » (60)
Ces « thambos » terrestres, ces terreurs obscures de l’homme face à lui-même, qui aspirent à devenir « théophanie », suffiraient-elles à arrêter l’effort d’introspection du poète ? Bien au contraire, l’inconnu, plus que les certitudes raisonnables, l’attire. Bosco et Novalis poursuivent avec intrépidité, jusqu’aux extrêmes limites, l’exploration de leur monde intérieur, assumant les risques d’un parcours initiatique, découvrant que l’harmonie intérieure n’est pas dissociable de l’harmonie universelle.
2) L’idéalisme magique, la voie intérieure et le retour vers l’Autre :
« Je suis ainsi fait que, malgré mes faiblesses (et j’en ai beaucoup), quelque chose en moi, que je connais mal, s’obstine et me conduit là où je crains d’aller. » (61) Cette remarque écrite par Bosco, au moment où il hésite à entrer dans le jardin des Trinitaires, explique pourquoi, il s’aventure sur la voie de l’introspection. Les premières angoisses qui accueillent le poète au seuil de son âme, agissent comme une tentation, l’encourageant à aller de l’avant. Il s’agit d’une confrontation, et non d’une fuite. Des lecteurs trop pressés ne trouveraient chez Bosco et Novalis que ce retrait de la vie quotidienne. Mais la force, l’énergie qui anime Bosco et Novalis vers leur monde intérieur, cette recherche de l’absolu, leur semble devoir commencer sur notre terre. Presque tous les héros de Bosco ont éprouvé « l’amer plaisir de se quitter. » (62) Cette dissolution de l’être prend, à plusieurs reprises, la représentation symbolique de la descente dans les flots. L’esprit de perd dans sa propre substance. C’est l’expérience intime que Bosco lui-même vivra sur un lac de l’Atlas (63). Ce dédoublement de la personnalité s’accomplit au profit d’êtres vivants ou morts, dont le héros sent alors en lui la présence. L’introspection aboutit parfois à la découverte d’une présence anonyme, mais réelle. C’est le cas de Monsieur René, au moment de prendre la décision de monter à l’observatoire : « Ma décision se détacha si brusquement de mon manque de courage et, à partir de ce moment, me conduisit. Cet étrange dédoublement fut si net que j’eus la sensation d’être deux. Ma solitude s’effaça et j’accueillis avec joie ce second plus résolu que moi qui sortait de moi-même. Son apparition à mes côtés d’abord ne fut pas sans m’inquiéter, tant le jaillissement en fut subit et la forme vivante. Je n’avais pas le sentiment de subir la poussée d’une volonté intérieure, ni d’affronter un libre débat où j’aurais choisi la meilleure ou la pire démarche. Non, je voisinais avec une présence réelle, invisible et pareille à celle qui rôdait autour de moi, le soir de mon arrivée. Seulement celle-ci, au lieu d’engendrer le désordre, dirigeait ma chair vers un but. » (64) Cette présence, si elle n’est pas fortuite, reste du moins inattendue pour Monsieur René. Elle ne l’aurait pas été pour les héros qui le suivront, quelques années plus tard, dans la chronologie des romans de Bosco. Cette œuvre, comme l’écrit A. Duguet-Huguier, est le « journal de marche » de l’auteur. Il s’enrichit de l’expérience personnelle de Bosco. Saisissant la profondeur du retour sur soi-même, Bosco écrivait, à la suite de l’article de A. Duguet-Huguier : « Être seul, c’est nous mettre dans la position la plus apte à nous faire entendre, nous, à nous-mêmes. Danger grave. Il faut donc obtenir de soi le silence, d’abord. Ensuite, s’éloigner de soi, se créer sa propre absence, et ne pas la regretter. Perdre ainsi le sens de l’ailleurs. Devenir donc insitué. Alors peut être aura-t-on la communication d’une autre présence de nous à nous-mêmes. Laquelle ? » (65) Ce sera Dieu, ce « personnage de première grandeur, le personnage invisible et omniprésent » de l’œuvre de Bosco.
Pour Novalis, ce dangereux dédoublement de la personnalité prend des formes plus subtiles encore. Ce cheminement sur la voie intérieure correspond à une tentation, qui paraît donner à l’homme sa dimension véritable. Ce n’est qu’après cet effort d’intériorisation authentique qu’il retrouvera sa liberté à communiquer, à réconcilier les harmonies humaines et divines. « Le but suprême de la culture doit être de se saisir de son moi transcendantal, de devenir en même temps le moi de son propre moi. Le manque d’une pleine intelligence, d’une pleine compréhension des autres n’a donc rien d’étonnant. Faute de se comprendre véritablement, on n’apprendra jamais à comprendre vraiment les autres hommes. » (66) On peut déceler dans cette volonté de devenir « étranger à soi-même » l’influence de Schiller dont Novalis, étudiant à Jéna, avait suivi l’enseignement (67).
Ce dédoublement assumé n’est plus gratuit, mais tentative de retrouver chez l’Autre ce qui nous est le plus personnel, en offrande à l’amitié, à la « philae » (67bis). Au-delà des couches superficielles de l’âme, nous progressons au plus profond de nous-mêmes. Cet effort d’intériorisation est destiné à percevoir de nouveaux accords, plus intenses, avec les êtres humains, dans leur parcelle de divinité : « Le renoncement à soi-même est la source de toutes les humiliations, comme aussi de toute véritable élévation. Le premier pas consiste à jeter un regard à l’intérieur de nous-mêmes, à contempler distinctement notre moi. S’en tenir là, c’est rester à mi-chemin. Le deuxième pas devra toujours consister à porter un regard actif au-dehors, à observer avec fermeté et énergie le monde extérieur. » (68) Cette voie vers l’intérieur est-elle la seule qui nous conduise vers les autres ? Sans doute, car cette forme de communion trouve son fondement dans notre personnalité la plus profonde. L’harmonie suppose des analogies intimes. « Comment un homme comprendrait-il une chose dont il ne porterait pas le germe en lui ? Ce que je suis destiné à comprendre doit se développer organiquement en moi ; et ce que je parais apprendre ne sert que de nourriture, d’incitation à mon organisme. » (69) Ainsi, Novalis exprime-t-il l’étape décisive, proche de la tentation de l’identification à Dieu, de l’appropriation des attributs divins. Ce germe commun à tous les hommes, ce chemin vers l’harmonie universelle, ces affinités cosmiques, ce reflet de Dieu en chacun seront sources de toute relation amoureuse. Dieu se laissera-t-Il atteindre sans médiateur ? Ou la seule médiation du Verbe sera-t-elle la voie privilégiée du poète ?
À moins que, comme pour tous les humains, l’étincelle de la grâce ne jaillisse au cœur du poète, sans prévenir … et sans compter !
III) Les voies de la sagesse et de l’amitié, les médiateurs, la révélation et l’issue de l’itinéraire spirituel :
1) Les voies de la sagesse et de l’amitié :
Au-delà de la recherche du paradis terrestre et l’expérience nocturne de la voie intérieure, se dessine la voie de la sagesse, de la philae. Les œuvres de Bosco et de Novalis retracent l’itinéraire spirituel de deux âmes, obsédées par la recherche d’une Présence qui les attend. Cette exploration s’effectue souvent dans la nuit et se trouve cependant, ici et là, éclairée par des phares qui indiquent de nouveaux caps de Bonne Espérance. Des hommes étranges, en qui les héros de Bosco et de Novalis décèlent les aspirations spirituelles les plus hautes, offrent leurs lumières précieuses.
Chez Bosco, les plus belles œuvres sont illuminées par la présence chaleureuse de tels personnages ; leur éclat brille d’autant plus fort que les acteurs du roman vivent dans les ténèbres. « L’antiquaire » et le « Rameau de la nuit », figurent parmi les œuvres les plus significatives à cet égard. Frédéric Meyrel, le héros de ce dernier roman, découvre à Loselée la profondeur de la solitude. Venu chercher le repos, après son aventure dans la cale de l’Altaïr, il se sent peu à peu possédé par le souvenir de l’ancien propriétaire des lieux, Bernard de Lutray. Après une visite mondaine chez Madame Millichel, où il a appris l’amour impossible de Bernard et de la fille du capitaine de l’Altaïr, devenue Maria Josepha de Jésus, il se sent attiré par la petite église du village. « Le soir donnait ses dernières lumières. L’église apparaissait, toute chaude encore du jour, sous le feuillage des platanes où l’ombre naissait. Je me dirigeai vers le porche, et j’avais dans le cœur une seule et large émotion qui en réglait les battements en accord avec la descente de la paix sur la campagne et la sérénité du sanctuaire. Le sanctuaire m’attirait. On ne voyait personne sous les vieux platanes. L’herbe épaisse indiquait assez qu’on ne venait plus guère sous leur ombre où jadis familièrement vivaient Dieu et les hommes. Mais en moi, que hantait, ce soir-là, la tristesse, après tant de paroles douloureuses, le sens de cette solitude me semblait d’un accès plus facile à l’âme. Car on n’avait parlé que d’âmes tout l’après-midi, et la mienne cherchait un refuge un grave et modeste refuge où communiquer avec elles, dans le silence. Or il n’est de silence que de Dieu, et les âmes le savent. Il se tait pour elles, et ainsi il leur crée d’authentiques solitudes. Elles y sont plus près de sa miséricorde. La nuit tombait quand j’entrai dans l’église. » (70). Frédéric sera, dans un premier temps, déçu par le vide apparent du sanctuaire ; il n’y trouve pas le Dieu qu’il espérait. La lampe chétive de l’autel semble, à elle seule, soutenir tout l’édifice. « J’enfonçais dans un froid désespoir. L’absence de Dieu, d’une désolante évidence, me devenait aussi sensible que, dans le sanctuaire déserté, le silence des prières. » (71). La manifestation vivante des choses, le craquement d’une planche, le pétillement d’une lampe, refusent d’exprimer plus que leurs simples réalités terrestres.
C’est alors qu’apparaît Elzéar (71 bis). Il s’installe dans l’église, tout près de Frédéric et allume une bougie, près de l’autel. Dès lors, ce mystérieux personnage se dépense pour redonner vie à Généval. Il aide les paysans, soigne le vieil abbé Bourguel, assiste Rose Manet pendant la maladie de Marcellin, apporte sa paix à Frédéric. Lorsqu’il aura abandonné l’illusion amoureuse dans laquelle Drot l’avait entraîné, le héros du « Rameau de la nuit » découvrira le vrai message d’Elzéar.
« Et devant moi, je n’ai qu’une pensée, une seule pensée. Généval me hante toujours.
Mais c’est le Généval où de ce drame vit le dernier témoin : Elzéar. Où irais-je, si je ne vais, un jour (demain peut-être), le retrouver à Vêpres dans l’église sombre où il allumait, sur l’autel, avec tant de ferveur, deux pauvres cierges, au temps de la tentation ?
« La plus belle église du monde … »
Je me souviens.
Oui, c’est bien là qu’il faut que j’aille … » (72).
Ainsi, au plus profond de la nuit, les héros de Bosco aspirent-ils à découvrir cette présence de Dieu grâce à celui que nous avons appelé un Sage et qu’il faudrait peut-être mieux, à l’instar de l’abbé Bourguel, considérer comme un Saint (73).
Nous ressentirons cet appel à la sainteté dans « l’Antiquaire », où Baroudiel, après les plus sombres tentations dans lesquelles l’ont plongé le monde ténébreux des antiquaires, aperçoit la lumière. Il quitte la maison de Raphaël et Déodore et la compagnie de l’énigmatique Mathias pour se réfugier chez son ami Méjean (73bis). Un dimanche, il l’accompagne à la Messe à Vaugines. L’office est célébré par un moine aveugle et servi par Elzéar, dont nous retrouvons le nom au moment de cette révélation.
« Jamais messe à laquelle j’ai assisté ne fut célébrée avec tant d’amour. Tous les gestes étaient de louange et d’extase.
Baroudiel, qui s’était écarté de moi, le dos appuyé contre un gros pilastre, ne perdait pas de vue l’autel. À l’Élévation, il ne broncha pas. Son regard resta attaché au prêtre.
L’évangile du jour fut lu par Elzéar, à voix très basse « Veillez donc, vous ne savez pas à quelle heure viendra votre Seigneur … » (74)
Baroudiel s’entretient avec le moine à l’issue de l’office. Méjean, qui doit alors partir pour l’Afrique, perd sa trace. Sur les conseils de sa femme, il écrit, sans grand espoir, au monastère de « Bonnesterel ». Une réponse arrive, rédigée par le moine aveugle. « Il ne lui restait qu’une voie. Il y est entré … » (75). Ainsi Baroudiel, après avoir été victime des plus puissantes tentations de la Terre, retrouve-t-il la paix dans la voie religieuse. Son espoir terrestre est donc apparemment comblé, mais sous une forme inattendue pour son ami.
Cette communion intime avec Dieu, voilà pour Bosco le signe authentique de l’union mystique, chemin singulier et risqué vers l’harmonie universelle.
De ce trésor intérieur, Saint-Jean Bosco, comme Elzéar, comme le moine aveugle, ne parlent pas, car « le silence est le seul mode d’expression de ceux qui ont réalisé Dieu » (76).
Ces lumières sont offertes dans l’œuvre de Novalis, par les Mages ou les Ermites, qui indiquent, au plus profond de la détresse du héros, la voie de l’espérance. Ce n’est pas la mission des poètes, qui cherchent et disent leur vision, comme Klingsohr, sous une forme allégorique, celle du conte. Les « étrangers » dévoilent explicitement aux poètes, le chemin de la lumière, peut-être de leur salut. Contrairement à eux, ils ne possèdent pas de personnalité originale, seul leur message importe. Ainsi s’agit-il d’une voix venue d’ailleurs qui s’adresse à l’âme du héros. Un dialogue intérieur s’établit, reflet de l’effort d’introspection du poète. Cette expérience prend des formes diverses, depuis l’Étranger dont les récits inquiètent, la nuit, le jeune Henri, jusqu’à celui qui vient trouver Hyacinthe. Cette voix étrangère et intérieure, résultat de la recherche du moi profond trouve son expression accomplie en Sylvestre, qu’Henri rencontre, après la mort de Sophie, et sur les paroles duquel s’achève hélas ! Le manuscrit d’Henri Ofterdingen. Il y a donc concordance et affinité profondes avec l’expérience personnelle de Bosco. Cette révélation personnelle n’est pas « communiquée ». Elle jaillit de l’intérieur, du silence des corps qui permet le dialogue des âmes. Ainsi se trouvent restituées à leur juste place, et selon un éclairage nouveau, les querelles de la grâce et de la prédestination. Au-delà des dogmes et des principes de la grâce « suffisante », c’est à la fois le destin et la volonté de chacun qui rendent possible le don de l’amour et de la rencontre divine.
Seul le message importe. Sylvestre, comme Elzéar, offrent l’illumination de la présence divine. C’est vers elle que, par les sentiers déjà explorés avec Novalis, Sylvestre, le médecin – jardinier, conduira Henri. Sylvestre révèle la conscience, la mission d’exploration du poète, l’omniprésence divine par rapport au monde de la nature. Le début de sa dernière réplique illustre l’enseignement profond qu’il prodigue : « L’innocence de votre cœur fait de vous un prophète. Tout vous deviendra compréhensible, et le monde et son histoire se transformeront pour vous en Écriture Sainte. De même, vous avez dans l’Écriture Sainte, l’exemple magnifique de la manière dont, avec des paroles et des histoires saintes, l’univers peut nous être révélé, sinon directement, du moins médiatement, par la stimulation et le réveil de nos sens supérieurs. » (77). Ces lignes contiennent ce que Novalis appelle la « révélation », expérience bouleversante pour son âme de poète, réconciliant les mondes naturels et surnaturels, en une illumination soudaine.
La condition du prophète imposera d’abord l’innocence du cœur, cette sensibilité, cultivée, entretenue, qui éveillera aussi les héros de Bosco à leur propre solitude et les attirera vers la quête de la rencontre divine. Sous cette impulsion, ils s’acheminent vers l’église de Généval. L’approfondissement de cette révélation, cette théophanie, permettra la « stimulation et le réveil de nos sens supérieurs ». L’écoute, l’attention portée aux choses invisibles, constituent les multiples voies de la recherche de Dieu. La révélation elle-même est la porte ouverte sur la paix du royaume, enfin possible sur la terre. Ces simples mots dissimulent ce qui fut une expérience personnelle bouleversante dont Novalis témoignera tout au long de son œuvre. Frédéric Meyrel et Baroudiel la découvrent à leur manière, à l’issue des tentations d’ « Un rameau de la nuit » et de l’ « Antiquaire », échappant de justesse au vertige prométhéen et à la mélodie séduisante de Pan.
Les trois étapes initiatrices de l’union mystique en ce monde : la recherche du paradis terrestre, l’amour humain, la Sagesse, sont intensément vécues par les héros de Bosco et de Novalis. Leurs espoirs sont-ils récompensés ? Seuls Bosco et Novalis pourraient le dire : le contact divin lui-même ne saurait être exprimé. Cette harmonie universelle à laquelle invitent Novalis et Henri Bosco reste hors d’atteinte pour le lecteur qui ne communierait pas à la même expérience. Bosco écrit à propos de Saint-Jean Bosco : « Le cœur même, le cœur lointain qui touche à Dieu et que Dieu touche, il est pour nous inaccessible. Pour l’essentiel, on peut seulement deviner de quelle main puissante le saisit l’amour dont l’étreinte, cruelle parfois, exprime de lui, comme d’un fruit riche et inépuisable, le suc même de sa sainteté. Sans doute, nous le comprenons, la charité est son secret. Mais le dire, c’est bien peu dire et le secret demeure. Car elle est cette charité d’un tel feu, d’une telle ardeur, que le mot dont nous la nommons n’en donne qu’une idée infiniment pauvre. En elles, se rencontrent et se mêlent deux flammes, celle du Saint brûlant pour Dieu, celle de Dieu brûlant cette âme. » (78). Le mystère de ce témoin secret domine les œuvres de Bosco et de Novalis, pénétrant leurs styles qui trouvent là leur point de rapprochement le plus évident, preuve de l’authenticité de leurs expériences personnelles, en tant que poètes mystiques.
Cet espoir de la mystique terrestre se double pour Novalis d’une aspiration passionnée pour retrouver les êtres aimés au-delà du décès. La victoire provisoire de la mort sur la vie, s’exprime par la disparition de Sophie. « Allègre lumière, tu éveilles encore, tu appelles au travail mon corps las ; tu installes en moi la vie et la joie ; mais tu ne m’arracheras pas à la pierre moussue du souvenir. Je suis prêt à mouvoir mes mains laborieuses, à chercher activement le poste où tu me veux, à vanter ta splendeur éclatante, à sonder sans relâche les lois qui donnent l’unité à ton œuvre d’artiste, à examiner la marche ingénieuse de tes rouages robustes et étincelants, à scruter l’équilibre des forces et les règles du jeu prodigieux qui se déploie à travers les espaces infinis et les temps qui s’y déroulent. Mais mon cœur, au-dedans de moi, demeure voué à la Nuit et à celui dont elle est la mère, l’Amour créateur. » (79). Cette conversion à la Nuit prend une forme moins tragique, mais non moins réelle chez Bosco. Il explique à la fin du premier libre des « Souvenirs », comment, à la suite des compagnons d’Emmaüs, il a espéré, sur cette terre, la rencontre divine et il conclut : « Je crois en Lui. Pourtant, celui qui croit, n’est-il pas toujours dans l’attente ? Et voilà ce que, pour finir, j’avais à dire. » (80). Cette impatience ne saurait cesser avec l’existence terrestre. C’est vers ce passage, vers cette autre « transfiguration » qui nous guide et précède le médiateur.
2) Les Médiateurs, la Révélation et l’issue de l’itinéraire spirituel :
Le culte de Novalis pour l’ombre de Sophie se transformera en vénération divine. « J’éprouve un sentiment religieux pour Sophie, non l’amour. », écrit-il en automne 1797. Il explique : « L’amour absolu, qui ne dépend pas du cœur, qui est fondé sur la Foi, c’est la religion. » (81). La célèbre formule « Christus und Sophie » (82), affirme, quelques mois plus tôt, une identité de chemin vers Sophie et vers Dieu. Il semble qu’il faille d’abord considérer Sophie comme un médiateur (82bis), voie d’accès à la présence divine. Certains hymnes à la Nuit, le sixième en particulier, expriment cette émotion sous forme de rêve :
« Descendons vers la Fiancée,
Vers Jésus-Christ, le Bien-Aimé !
Courage ! Le soir va s’étendre
Sur les cœurs aimants et pieux.
Un rêve, en brisant nos liens,
Va nous plonger au sein du Père. » (83)
L’union par l’Esprit exprimée par le Verbe, constitue l’étape décisive de cette évolution mystique. La nature du médiateur exerce son influence sur la forme même de la Révélation. Novalis a classé les religions en fonction des médiateurs qu’elles proposent.
La rencontre divine prendra, pour lui, l’image de la volupté humaine.
« Ombre chérie, attire-moi,
Aspire-moi dans l’autre monde !
Que je puisse enfin m’endormir
Et goûter l’amour à jamais !
La mort déjà m’inonde
D’un flot réparateur ;
Mon sang n’est plus que baume
N’est plus qu’éther subtil.
Je vis tout au long des journées
Plein de courage et plein de foi
Et je meurs tout au long des nuits,
Embrasé de flammes sacrées. » (84)
La rencontre suprême (le « Telos ») se dévoile en la Personne de Dieu, source de toute relation amoureuse. « Pour Dieu nous faisons à vrai dire le chemin inverse : de la vieillesse vers la jeunesse. » (85). Le cinquième cantique est construit sur cette idée de la possession réciproque : « Pourvu que je le possède, pourvu qu’il soit mien. » Abolition du temps, l’échange amoureux est promesse d’éternité, de communion universelle entre ciel et terre,
« Accueille-moi, héros de l’amour !
Tu es ma vie, mon univers.
Dussé-je tout perdre, des biens de la terre,
Je sais qui me les rendra et au-delà.
Mes bien-aimés, tu me les rendras.
Tu es en moi pour l’éternité.
Toi que le ciel adore à genoux,
Tu consens à prendre soin de moi. » (86)
Marqué par le piétisme de Zinzendorf, le neuvième cantique illustre l’essence de l’illumination divine selon Novalis. En elle sont définitivement réconciliées les aspirations terrestres et spirituelles. La fusion dans l’identité suprême comble l’âme du poète sensible aux beautés de la terre. Bosco en ressent l’intuition au sanctuaire de Chella :
« Franchis la porte et garde le silence.
Ces lieux sont le refuge
Où reposent des ombres apaisées.
Depuis longtemps elles n’errent plus sous les feuillages
Car elles ont atteint l’identité suprême
Lui
L’être pur, le Rayon que reflètent les eaux. » (87)
Ces ombres apaisées ont atteint cette forme d’union mystique préparée par l’enstase et accomplie en extase personnelle, grâce à la Révélation intime d’un Dieu personnel et aimant.
« Ici contre le mur et à l’ombre de l’arbre
Dort celui qui vécut de son âme sur cette terre.
Il a voulu l’étendre et l’élever. Sa vie
L’a conduit dans la paix vers cette tombe.
Uni au Principe suprême
Il connaît maintenant
La grandeur de l’Exaltation et de l’Amplitude. » (88)
Pour Bosco et Novalis, l’accomplissement simultané dans la vie et la mort, aboutit à l’harmonie universelle, communion du ciel et de la terre, grâce à la rencontre mystique offerte à chacun. Elle constitue la révélation d’une Présence aimante jusqu’ici voilée par les mystères de la nuit, mais prête à jaillir au cœur de l’homme :
« L’Esprit qui hante les ténèbres
Peut-il entendre
Dans toute l’étendue du monde
Cette oraison d’une seule âme ?
O Christ, campé dans les étoiles
Brise la porte. » (89)
La mort, descente au sein de la terre ou errance éternelle sur une mer infinie, s’avère n’être qu’un passage, aboutissement provisoire. Elle appartient aux réalités des deux mondes, visible et invisible, réconciliant le créateur et ses créatures. Henri Bosco et Novalis sont doués de l’antique « thambos » à l’égard des ombres, et communiquent avec elles comme avec les vivants, par la force de l’amour. C’est grâce à ce don sacré qu’ils pressentent et rêvent l’intuition de ce que sera le bonheur de l’accomplissement mystique. Leur découverte consiste en ce que l’harmonie universelle, tout en puisant sa source dans le jaillissement divin, intègre les résonances terrestres prémonitoires. Les âmes des poètes créent, dans leurs œuvres, les atmosphères de recueillement favorisant ces échanges. Là s’arrête leur itinéraire spirituel. Au cœur de la quête mystique, tout se fixe dans l’éternité et le temps s’efface. Ce caractère éternel de l’ultime union avec ce Dieu d’Amour, inspire les œuvres des deux hommes, avant de les inviter au silence. Henri d’Ofterdingen se serait achevé sur l’image symbolique du « mariage des saisons » (90), symbole de l’abolition du temps. L’avant dernière stèle invisible du jardin de Chella exprime puissamment cette même révélation :
« Tout se meut : le vent, les oiseaux, les nuages
Et les astres étincelants du Zodiaque.
Mais moi, qui ai atteint le Milieu immuable,
Je me tiens hors du temps et de l’espace. » (91)
Ainsi, l’homme rejoint-il l’éternité.
« Usque dum vivam et ultra
Laus Deo »
Ecrit Jérôme à l’issue du « Récif ».
Pour Novalis et Bosco, cette rencontre personnelle avec Dieu, source de tout amour est attendue et espérée autant dans ce monde que dans l’autre. Novalis, comme Bosco, n’ont jamais désespéré d’atteindre le but ultime de la relation amoureuse divinisée, grâce à la force de l’Esprit. Ils subliment leurs aspirations les plus profondes, du plan poétique à la dimension mystique. En se nourrissant de leurs racines terrestres, ils rêvent à l’accomplissement de leurs aspirations humaines ici et au-delà. Cette attitude originale, associée à leurs rêves les plus intimes, constitue l’affinité la plus profonde de nos deux auteurs. Ici s’impose une nouvelle perception de l’union mystique qu’ils proposent en renvoyant chacun à son destin personnel : nous avions seulement suggéré les chemins qui y mènent. Cet abandon final restera, d’après Bosco et Novalis, un merveilleux mystère :
« … Même pour nous
Qu’il ramène à son Unité
Son unité est un mystère. »
Cet accomplissement s’avère incompréhensible, d’après les principes de la raison humaine, et folie par rapport à la sagesse divine. Novalis confesse : « Nous ne nous comprendrons jamais tout à fait, mais nous pouvons et pourrons faire beaucoup mieux que de nous comprendre. » (92) L’auteur de « Grain de Pollen » insiste sur les risques et les enjeux de cette quête mystique, qui n’est pas compatible avec l’esprit de système en tant que force de domination.
La poursuite de la quête mystique reflète chez Bosco et Novalis l’aspiration fondamentale de tout homme, à revivre la pureté des origines dans un accomplissement éternel. Chacun est dangereusement attiré par les séductions de la mystique naturelle, celle de la terre. Bosco comme Novalis en ont fait l’expérience authentique : le poète sait être particulièrement vulnérable aux harmonies illusoires. Leur démarche spirituelle s’achève grâce à un acte de volonté consciente, par l’abandon à l’Autre, dont ils acceptent le Don de la Grâce. À travers cette liberté aux dimensions nouvelles, ils découvrent l’immensité de la Révélation : la Nuit, rappelle A. Béguin, d’une façon qui restera parfaitement paradoxale pour la raison humaine : « est pour Novalis ce qu’elle est pour un Eckhart ou un Saint-Jean de la Croix le royaume de l’Être, qui se confond avec le royaume du Néant, l’éternité enfin conquise et dont la plénitude ne peut humainement s’exprimer que par l’image de l’Absence, de toute créature, de toute forme. » (93) Cet accomplissement en Dieu, rencontre intime, constituent, simultanément, abandon et réalisation dans l’amour universel. Henri Bosco l’exprime merveilleusement dans la stèle finale du sanctuaire de Chella :
« Ma poussière est tombée, ma forme a disparu
J’ai perdu ma pensée, mon âme, tout.
Et pourtant Je Suis.
Ne cherche pas. » (94)
En guise de conclusion :
Poésies mystiques, spiritualités des civilisations du monde : vers de nouveaux personnalismes pour le XXIème siècle ?
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L’aurore de la présence divine se lève peu à peu sur les vies et les œuvres de Bosco et de Novalis. Comme le soleil chasse la lueur artificielle de la chandelle, ainsi l’illumination divine dépasse-t-elle les harmonies terrestres. Les modestes luminaires des hommes seront prêts à servir, dès que le ciel s’assombrira. Mais ces flammes discrètes ne sauraient remplacer pour toujours la lumière solaire. Ainsi, fallait-il traverser la nuit avant de nous émerveiller, avec Henri Bosco et Novalis, devant la splendeur des rayons divins.
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Nous n’avons pas ici fait référence aux riches évolutions de la pensée philosophique et religieuse contemporaine, liée à l’universalisation des connaissances et des contacts. La réintégration des mythes ancestraux dans la genèse et les fondements des grandes religions du monde d’aujourd’hui s’avèrent d’une grande portée dans l’exégèse conjointe des œuvres de Bosco et Novalis (94 bis). Nous pensons en particulier à René Girard (95), à Eugen Drewermann (96) ou encore à Pietro Citati (97). Leur hauteur de vue relativise les querelles des dogmes au profit d’une intelligence profonde de l’homme et de ses affinités spirituelles, ouvrant la voie au dialogue entre les religions, grâce à une nouvelle compréhension de l’expérience mystique personnelle. Ils s’interrogent sur le patrimoine spirituel commun à l’humanité : ses origines, ses évolutions, ses différentes formes de transmission et surtout sa recomposition au cours du troisième millénaire. Le respect de chaque personne, de son expérience de vie, sera-t-il conciliable avec le développement vertigineux des moyens de communication planétaires ? Il en va du risque de nouveaux totalitarismes aux dimensions universelles auxquels nos poètes mystiques opposent un œcuménisme élargi, non seulement aux religions monothéistes, mais aux civilisations de monde (97bis). Ils participent activement aux expériences spirituelles vécues par les générations depuis des millénaires, et non réductibles à un exercice intellectuel désincarné.
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- Extase ou enstase, spiritualité d’Orient ou d’Occident, mystiques de l’immanence ou de la transcendance, aspirations à la résurrection ou à la réincarnation : où situer Henri Bosco et Novalis après avoir revisité certaines de leurs plus belles pages ? À vrai dire, ces classifications intellectuelles devront céder le pas devant la force du témoignage spirituel. Au-delà des systèmes de pensée et de leurs divergences inévitables, l’expérience de la rencontre fonde l’essence de leurs approches mystiques. Ayant victorieusement traversé l’épreuve de la nuit, sur laquelle plane les tentations prométhéennes et dionysiaques, Novalis et Henri Bosco se laissent guider, confiant leur volonté personnelle à l’Autre, en qui ils reconnaissent la lumière divine. C’est au plus profond d’eux-mêmes qu’ils identifient cette étincelle de divinité, comprenant enfin que la rencontre authentique avec toute personne implique une affinité singulière et élective, reposant sur le caractère sacré que chacun revêt, dès ici-bas. Ainsi réconcilient-ils l’effroi du thambos des origines avec la théophanie d’un Dieu d’amour prêt à jaillir pour sceller au cœur de l’homme cette religion universelle de l’harmonie et de la paix, royaume que tous sont invités à construire dès aujourd’hui. Le Médiateur, ce sera, après tant de doutes et de recherches, finalement, pour Novalis et Henri Bosco, l’Esprit, le Verbe, devenant lui-même le Feu de l’Amour, tel qu’il est décrit dans le cantique XII de Novalis : celui de la Pentecôte. Celui-ci efface définitivement toute solitude : les mondes naturels et surnaturels ne s’opposent plus pour Bosco et Novalis. Ils coexistent dans leurs expériences de poètes enracinés au plus profond de leurs êtres.
Nous suggérons que cette grande famille des poètes mystiques, de Jean de La Croix à Mira Baï, de Théodore Aubanel à G.M. Hopkins, de Hafiz à Roumi (97ter), de Marie Noël à Verlaine, de Nerval à Dante, de François d’Assise à Cankara, sont appelés à témoigner de leur rencontre avec le Verbe dans sa dimension la plus sacrée. Sensibles au caractère divin de toute vie, ils expriment la beauté de la fusion de deux personnes destinées à s’aimer.
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Cette vocation n’ignore pas, mais dépasse, et parfois intègre, la gnose (98), même celle d’origine chrétienne, par laquelle les initiés seraient, du fait de leurs connaissances intellectuelles, à même de participer au Royaume. Novalis, en écrivant Henri d’Ofterdingen, voulait proposer une nouvelle Bible (99) s’inspirant de toutes les confessions, réconciliant la présence de Dieu en soi et chez les autres. Bosco n’oppose pas la foi de son enfance et ses explorations en « terra incognita », tout en se défendant vaillamment, si l’on en croit Robert Ytier, contre le Teillardhisme du Père Combaluzier, son ami de Vaugines (100). Novalis et Henri Bosco bénéficient d’un don exceptionnel de vision onirique, portant leur cœur et leur regard au-delà des frontières dressées par la raison humaine. Ils trouvent sur leurs parcours de profondes résonances chrétiennes : Johanniques (l’ « Apocalypse »), Pauliniennes (« Dans le monde et hors du monde ») et surtout Augustiniennes (« L’illumination d’Ostie »).
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Perplexes devant les combats des religions, nos deux rêveurs d’infini sont à la fois poètes et hommes de paix et d’action, fidèles à leurs engagements personnels. Ils discernent les dangers d’une personnalité non assumée et d’un rationalisme excessif. Ils nous invitent à une nouvelle attitude de compréhension universelle, tout en réalisant l’intrépidité de leur exploration de l’invisible, source d’ambiguïté, de risques et de contresens (100bis). Ainsi, après avoir parcouru les chemins obscurs de la psychologie des profondeurs (101), ils conservent la mémoire de leurs rêves d’enfance et poursuivent obstinément leurs destinées. Si Novalis n’avait pas été arrêté par la phtisie dans son parcours terrestre, il aurait épousé Julie de Charpentier et serait devenu intendant des Mines de Weissenfels. Bosco a assumé ses fonctions de Professeur de Lettres, d’animateur de la Fondation du Château de Lourmarin, de responsable de l’Alliance Française au Maroc. Il ne s’agit pas pour eux du renoncement de Wilhelm Meister, qui privilégiait l’utilité sociale en condamnant ses rêves de jeunesse. Ils proposent, au contraire, la participation à un rêve magnifique, celui de Dieu sur l’humanité, acceptant les risques de nouveaux progrès spirituels. Ce faisant, ils engagent leur responsabilité personnelle selon une orthopraxie rigoureuse qui authentifie leurs témoignages d’homme et de poète, dont la contribution à la vie de la cité s’avère indispensable (101bis).
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Cette attitude, profondément originale, appelle au dialogue authentique entre les religions, au-delà des dogmes et des critères sociologiques. Hans Küng (102), Michel Malherbe (103) et tous les autres quêteurs de réconciliation (104), ont donné un élan salutaire à cet œcuménisme élargi aux dimensions du monde, proposant un sens à l’évolution des civilisations. Ces nouvelles ouvertures des religions deviennent aujourd’hui la condition nécessaire à la paix entre les civilisations, au progrès des échanges qui s’oppose à la violence des conflits humains conduits au nom de Dieu : la paix des cœurs précède la paix du monde, comme l’harmonie intérieure féconde l’harmonie universelle, leçons des sagesses et des religions séculaires sur tous les continents appelés aujourd’hui à se rencontrer. De façon concrète, le dialogue ouvert en 1986 entre les religions, à Assise, se poursuit, animé notamment par Andrea Riccardi, fondateur de la Communauté Sant’Egidio (104bis), soucieuse de résoudre les conflits suivant une approche religieuse authentique et profonde.
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Ainsi, ces deux poètes mystiques ouvrent la voie de personnalismes rénovés pour le monde du XXIème siècle. Ils exaltent l’unique vocation de chacun, la singularité de toute rencontre et la merveilleuse interdépendance de tous en vue de la construction d’un univers enchanté (105), à la fois humain et divin. Ils ont rêvé à la communion de la Terre et du Ciel, réunissant toutes les générations passées, présentes et à venir, dans un temps enfin aboli par l’Amour universel.
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Henri Bosco :
« Ce ne sera peut-être qu’une étoile humaine, et pourtant à la voie s’allumer, une étrange émotion saisira notre cœur. Elle sera un signe de fidélité, un signe, il est vrai, de la terre, mais qu’y-a-t-il en nous qui ne soit de la terre et dans toute la terre qui ne soit la pensée de Dieu ? »
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Novalis :
À Julie :
« À ses côtés nous pouvons avec courage,
Supporter le poids de la vie.
Et saintement nous dire l’un à l’autre
Le royaume du ciel commence ici déjà.
Et quand d’ici il nous faut disparaître,
Nous nous retrouverons dans ses bras. »
NOTES (1 à 105)
COMMENTAIRES ET REFERENCES
(1) Novalis : « Petits Écrits »
(2) Henri Bosco : « Des sables à la mer »
(2bis) Je proposerai plutôt « Weltinnenraum, voire Weltverinnerung » …
(3) Notamment : « La flamme d’une chandelle », « La Terre et les rêveries de la volonté », « Le droit de rêver », « L’intuition de l’instant », « La poésie est une métaphysique instantanée », exercices spirituels qui ont animé ce grand philosophe des sciences au soir de sa vie
(3bis) Et sans doute aussi à la marge par le souvenir de « l’ennéagramme », les neuf «portes de l’âme»
(4) « L’âme romantique et le rêve », « Création et destinée », A. Béguin a succédé à E. Mounier comme rédacteur en chef de la revue « Esprit »
(5) « Novalis et la pensée mystique »
(6) « Un voyageur des deux Mondes »
(7) « L’âme insurgée, écrits sur le romantisme »
(8) « Des métaphores obsédantes au mythe personnel », écrits précurseurs d’une certaine veine critique dans la seconde moitié du XXème siècle
(9) « L’Amour et l’Occident », « 28 siècles d’Europe », « La part du diable »
(10) « Genèse du Romantisme Allemand » : situation spirituelle de l’Allemagne dans la deuxième moitié du XVIIIème siècle
(11) « Le Romantisme », T. 1 : « Le savoir romantique », T. 2 : « L’homme et la nature»
(11bis) Docteur en médecine et en théologie de l’Université de Strasbourg, il a ouvert de profondes voies d’intelligences réciproques et d’actions concrètes, entre religions et continents. Il va de soi que cette liste est loin d’être exhaustive, en particulier pour la France (Lacoue-labarthe, Margentin,…)
(12) « Histoire des croyances et des idées religieuses », « Mythes, rêves et mystères», « Mythes de l’alchimie ». On pourrait aussi évoquer G. Minois : « Histoire du mal » et J. Delumeau : « Histoire du Paradis », nouvelles recherches historiques françaises sur ce sujet
(13) « Aurora », notamment
(14) Me Eckart : « Œuvres et sermons » – J. Bizet : « Suso et le Minnesang », « Mystiques allemands du 14ème siècle », « L’étincelle dans l’âme s’empare de Dieu sans médiation », Me Eckart a vécu à Strasbourg. Il est mort à Avignon, quelques années avant que ses thèses ne soient condamnées par le Pape Jean XXII
(15) « Le Roi du Monde », et toute son analyse ésotérique des religions du monde, conduite avec beaucoup d’érudition et de persévérance
(16) À travers les œuvres de Louis Massignon et aussi Henri Corbin : « L’islam iranien », lien nécessaire entre diverses mystiques musulmanes
(17) Les « Ennéades » et aussi les commentaires (anti-chrétiens !) de Porphyre
(18) « Les Troubadours », Saint-Augustin et la fin de la culture antique. L’amour
Courtois, sous ses différentes formes, constitue un point de jonction entre Troubadours, Trouvères et Minnesänger, cultures celtiques et méridionales, langues d’oil et d’oc H.I. Marrou était proche du mouvement personnaliste pendant l’entre deux-guerre
(19bis) Ce texte s’inspire de ma thèse de doctorat en lettres : « Novalis et Henri Bosco, deux poètes mystiques » soutenue à l’université de Paris X Nanterre en 1972
(19) Voir Hilda Graef : « Histoire de la Mystique » - L. Gardet – « La mystique » et la terminologie technique de la mystique, selon Mircea Eliade. Voir aussi Saint-Augustin « Les confessions », en particulier livre 9, ainsi que le « Soliloque »
(20) Novalis : « Henri d’Ofterdingen » - Aubier, p. 68
(21) Novalis : « Petits Écrits » - Aubier – « Les disciples de Saïs » - p. 235
(22) Cf. référence précédente
(22bis) Les « Bodhisattva » sont précisément les humains qui ont atteint le nirvana et reviennent sur terre pour indiquer le chemin, par compassion pour leurs semblables, comme le Bouddha lui-même
(23) Henri Bosco : « L’Antiquaire » - Gallimard, p. 61
(24) Henri Bosco : « L’Antiquaire » - Gallimard, p. 49
(25) Novalis : « Petits Écrits » - Aubier – « Les disciples de Saïs » - p. 185
(26) Cf. référence précédente
(27) Henri Bosco : « L’Antiquaire » - Gallimard, p. 50
(28) Cf. référence précédente, p. 52
(28bis) Ces aspects sont particulièrement développés dans notre thèse : « Novalis et Henri Bosco, deux poètes mystiques ». Ces éléments, si bien analysés et magnifiés par Bachelard, constituent les principaux repères symboliques des itinéraires de nos deux poètes.
(29) Novalis : « Petits Écrits » - Aubier – « Les disciples de Saïs » - p. 230
(29bis) La Thuringe, autour du village d’Arten, où furent composés les Hymnes à la Nuit et surtout Heinrich von Ofterdingen fait néanmoins figure de « Plaine d’or », au pied du Kyffhäuser. C’est la « Goldne Aue » du rêve du père dans Heinrich von Ofterdingen, le « Lubéron » de Novalis…
(30) Novalis : « Henri d’Ofterdingen » - Aubier, p. 170
(31) Novalis : « Henri d’Ofterdingen » - Aubier, p. 158
(32) Référence précédente, p. 146
(33) Référence précédente, p. 290
(34) Référence précédente, p. 228
(35) Henri Bosco : « Pierre Lampédouze » - Gallimard, p. 53
(36) Henri Bosco : « Le Sanglier » - Gallimard, p. 15
(37) Référence précédente, p. 188
(38) Henri Bosco : « Le roseau et la source » - Gallimard, p. 127 – 187
(39) Henri Bosco : « Des sables à la mer » - Gallimard, p. 13
(40) Référence précédente, p. 16
Voir aussi Henri Bosco : « Sites et mirages » - Gallimard, p. 40
(41) Henri Bosco : « L’Antiquaire » - Gallimard, p. 196 – 269
(42) Henri Bosco : « L’Antiquaire » - Gallimard, p. 227
(43) Henri Bosco : « Des sables à la mer » - Gallimard, p. 135. Il s’agit de la Danse Sacrée du « Haidouze »
(44) Novalis : « Petits Écrits » - Aubier – « Les disciples de Saïs » - p. 238 – 239
(45) Henri Bosco : « Des sables à la mer » - Gallimard, p. 137 et 138
(45bis) Roumi apparaît ici comme le médiateur de la mystique soufie entre Bagdad, la Perse et Khonia
(46) Henri Bosco : « Hyacinthe » - Gallimard, p. 48
(47) Henri Bosco : « L’Antiquaire » - Gallimard, p. 124
(48) Henri Bosco : « Hyacinthe » - Gallimard, p. 224
Voir aussi Henri Bosco : « Mon compagnon des songes » - Gallimard, p. 95 étranges analogies avec le conte de Novalis : « Hyacinthe et Bouton de Rose » raconté par l’un des « Disciples de Saïs »
(49) Novalis : « Petits Écrits » - Aubier – « Les disciples de Saïs » - p. 222 – 223
(50) Henri Bosco : « Le jardin des Trinitaires » - Gallimard, p. 218
(51bis) Analogie à l’île de « L’Oiselée » au Nord de la Barthelasse
(51) Référence précédente, p. 242 – 243
(52) Henri Bosco : « Un rameau de la nuit » - Gallimard, p. 292
(53) Henri Bosco : « Pierre Lampédouze » - Gallimard, p. 169
(54) Novalis : « Petits Écrits » - Aubier – « Grain de Pollen », p. 52 – 53
(55) Henri Bosco : « Le chemin de Monclar » - Gallimard, p. 33
(56) Henri Bosco : « Antonin » - Gallimard, p. 110
(57) Henri Bosco : « Sabinus » - Gallimard, p. 20
(58) Henri Bosco : « L’habitant de Sivergues » - Gallimard, p. 152
(59) Henri Bosco : « Le sanglier » - Gallimard, p. 68
(60) Novalis : « Hymnes à la nuit » - Aubier, p. 98 – 99
(61) Henri Bosco : « Le jardin des Trinitaires » - Gallimard, p. 249
(62) Cf. Jean Lambert : « Un voyageur des deux mondes » - Gallimard, p. 137
(63) Henri Bosco : « Des sables à la mer » - Gallimard, p. 182
(64) Henri Bosco : « Le sanglier » - Gallimard, p. 140
(65) Cahiers du Sud n° 343 (1957), p. 443 – 444 Cf. aussi Henri Bosco : « Des sables à la mer » - Gallimard, p. 142
(66) Novalis : « Petits Écrits » - Aubier – « Grain de Pollen », p. 42 – 43
(67) Gerhard Schulz : « Novalis » - Rororo, p. 31 – 32
(67bis) On pense à l’étincelle sacrée de R. Otto : « Synderesis »
(68) Référence précédente, p. 40 – 41
(69) Novalis : « Petits Écrits » - Aubier – « Grain de Pollen », p. 36 - 37
(70) Henri Bosco : « Un rameau de la nuit » - Gallimard, p. 268 – 269
(71) Référence précédente, p. 270, Elzéar et Delphine de Sabran, les époux Vierges d’Ansouis, sont deux Saints de Provence, enterrés à l’Église des Cordeliers d’Apt
(72) Référence précédente, p. 410
(73) Référence précédente, p. 409
(73bis) Nom de lieux et de personnes très répandus entre Avignon et Camargue.
C’est même le nom d’un vieux quartier de la ville d’Arles, le long du Rhône.
(74) Henri Bosco : « L’Antiquaire » - Gallimard, p. 382
(75) Référence précédente, p. 396
(76) Jean Lambert : « Un voyageur des deux mondes » - Gallimard, Lettre de Henri Bosco, p. 196
(77) Novalis : « Henri d’Ofterdingen » - Aubier, p. 386, 387, 388, 389
(78) Henri Bosco : « Saint-Jean Bosco » - Gallimard (Soleil), p. 306
(79) Novalis : « Hymnes à la nuit » - Aubier, p. 90 – 91
(80) Henri Bosco : « Un oubli moins profond » - Gallimard, p. 331
(81) « Historisch-Kritische Ausgabe » - Novalis Schriften – 2ème volume, p. 395
(82) Paul Kluckhohn – Novalis Schriften – 4ème volume, p. 397
(82bis) Voir les développements de notre thèse, « L’Amour Sacré », sur le rôle de la femme, en tant que Médiateur. La femme de Loth et Eurydice restent prisonnières des Ténèbres, car elles ne savent – et ne peuvent – en détacher leurs regards, comme Ameline Amelande. À l’inverse, Laure de Noves ou Béatrix, glorifiées par Pétrarque et Dante, invitent, par leur Médiation, à l’Amour Divin, comme Geneviève, Maria Josepha, Mathilde, Bouton de Rose et tant d’autres !
(83) Novalis : « Hymnes à la nuit » - Aubier, p. 116 – 117
(84) Référence précédente, p. 94 – 95
(85) Novalis : « Fragmente 2 », p. 107, n° 2136 – Verlag Lambert Schneider
(86) Référence précédente, p. 162 – 163
(87) Henri Bosco : « Des sables à la mer » - Gallimard, p. 97
(88) Référence précédente, p. 98
(89) Henri Bosco : « Le roseau et la source » - Gallimard, p. 23
(90) Novalis : « Henri d’Ofterdingen » - Aubier, Notice de L. Tieck, p. 412 – 413
(91) Henri Bosco : « Le roseau et la source » - Gallimard, p. 107
(92) Novalis : « Petits Écrits » - Aubier – « Grain de Pollen », p. 32 – 33. La « Docta Ignorantia » s’oppose ici à la « Libido docendi », en tant que voie d’épanouissement
(93) A. Béguin : « L’âme romantique et le rêve » - J. Corti, p. 213, et aussi Pierre Cheymol : « Les empires du rêve »
(94) Henri Bosco : « Des sables à la mer » - Gallimard, p. 103
(94bis) Publications de l’Association de l’Amitié Henri Bosco et W.A. O’Brien Novalis : « Signs of revolution » ainsi que Michel Le Bris : « Le défi romantique »
(95) René Girard : « Des choses cachées depuis la fondation du Monde », « Je vois tomber Satan comme l’éclair », « Le bouc émissaire »
(96) Eugen Drewermann : « De la naissance des Dieux à la naissance du Christ », « Les voies du cœur », Jung : « L’homme à la recherche de son âme », « L’homme et ses symboles »
(97) Pietro Citati : « La lumière de la nuit » et l’illumination de l’instant mystique : Nirvana, Sartori, Moksha
(97bis) La force du témoignage personnel, opposée aux aspirations de puissance et de domination de l’esprit dépourvu de cœur, fait partie de la personnalité de nos deux poètes. Ils séduisent par leur capacité à aimer – et à être aimés – en prenant appui sur leurs racines terrestres les plus profondes, à la fois sources de résonances et de pressentiment.
(97ter) Compte tenu de l’importance majeure de la mystique soufie pour Henri Bosco, rappelons que Goethe citera expressément Roumi dans les premières notes et dissertations de son « Diwan », presque quinze ans après le décès de Novalis
(98) Y compris celle qui peut procéder de Clément d’Alexandrie ou même d’Origène. Les quatre premiers siècles de l’Église chrétienne ont été profondément marqués par ces débats tranchés au cours des Conciles fondateurs.
(99) Thomas Merton : « Zen, Tao et Nirvana », H. Waldenfels : « Méditation en Orient et en Occident », Rudolf Otto : « Le sacré, mystique d’Orient et d’Occident », voir aussi Jean Onimus : « Béance du Divin »
(100) « Henri Bosco : L’Amour de la vie »
(100bis) Par leurs expériences personnelles, Novalis et Henri Bosco, pressentent les dangers de l’appropriation exclusive de la relation divine, sources des guerres de religions. « Si Deus nobiscum quis contra nos ? lit-on aujourd’hui encore à l’entrée du château des Jagellon, la Wawel, à Cracovie …
(101) René Girard : « La violence et le sacré », « J’ai vu tomber Satan comme l’éclair », « Des choses cachées depuis le commencement du monde », « Celui par qui le scandale arrive » et « La voix méconnue du réel » : une théorie des mythes archaïques modernes »
(101bis) Contrairement à l’aversion de Platon pour les poètes engagés en politique, les expériences personnelles de Bosco et Novalis les conduisent à participer à la vie de la cité, quelle qu’en soit les épreuves (les difficiles relations avec Goethe pour Novalis, la tragédie du Pasteur Vesper pour Bosco). À ce point de vue, ils sont proches, l’un et l’autre, de John Donne, poète mystique anglican du XVIIème siècle, dont l’esprit de compassion appelle à la solidarité de tout le genre humain face au drame de sa destinée. E. Hemingway a repris sa célèbre formule au début de « Pour qui sonne le glas ? »
(102) « Le christianisme et les religions du monde » et aussi H.U. Von Balthazar : « Le visage intérieur », R.C. Zaehnder : « Inde, Israël, Islam » et Odon Vallet : « Une autre histoire des religions »
(103) « Les religions de l’humanité » et Louis Massignon : « Mystique en dialogue »
(104) L’Art, à la fois objet de séduction et chemin d’initiation, constitue un moyen de spiritualisation universelle. À titre d’exemples, voir pour la peinture, l’approche critique de Kandinski et l’œuvre polynésienne de Gauguin. Pour la musique, Olivier Messiaen a ouvert des voies d’une profondeur insondable.
(104bis) A. Riccardi : « Il y a une force intérieure dans les religions vécues qui indique le chemin du bien », Palerme, 1er septembre 2002
(105) Laissons le dernier mot au Livre de la Sagesse : « C’est en partant de la grandeur et de la beauté des créatures que, par analogie, on arrive à contempler Celui qui les a appelées à l’existence » (Ch. 13, Verset 5).