Les Jacobites réfugiés en Avignon et dans le comtat venaissin au XVIIIeme siècle
LES JACOBITES REFUGIES EN AVIGNON ET DANS LE COMTAT VENAISSIN AU XVIIIEME SIECLE :
LES MEDITATIONS TARDIVES SUR LE SENS DE L’HISTORE D’UN PROVENCAL EMIGRE A PARIS
« Le climat anglais, célèbre pour ses variations climatiques, n’est pas moins connu pour ses variations politiques »
Bernard Cottret
« Dieu ! Me voilà sauvé, car je suis en terre papale »
Président de Brosses
«L’histoire de l’Angleterre est par excellence l’histoire du progrès, c’est l’histoire d’un mouvement constant dans les institutions d’une grande société. »
Thomas Babington Macaulay
Des exilés politiques d’Outre-manche se réfugient en terres papales
Lorsque le jeune Jacques-Edouard Stuart - il a vingt-sept ans - entre, en petit équipage - le 2 avril 1716, dans la bonne ville d’Avignon, peu de ses nouveaux concitoyens le connaissent. Ses attelages (trente-six chevaux, deux carrosses, …), sa vaisselle et son linge le rejoindront plus tard. Il est pourtant accueilli avec tous les honneurs par le vice-légat Alamanno Salviati (1), sur instruction du Pape Clément XI (2). Les Avignonnais apprendront bien vite que Jacques-Edouard est l’ancien Prince de Galles, « Prétendant » aux couronnes des trois Royaumes d’Ecosse, d’Irlande et d’Angleterre depuis le décès de son père, le roi Jacques II, en 1701 (3). Louis XIV, contre les avis de certains de ses ministres, mais aussi sous l’influence favorable de Madame de Maintenon, a confirmé les droits régaliens de son cousin après la « glorieuse révolution » de 1688. Pour le Roi Soleil, le fils unique de Jacques II restera, jusqu’à sa mort, le 1er septembre 1715, et en dépit des traités internationaux : Jacques III d’Angleterre et Jacques VIII d’Ecosse. Les adversaires du « Prétendant » lui donnent le titre quelque peu désobligeant, pour un monarque britannique, de « Chevalier de Saint-Georges ». Cette appellation est d’ailleurs partagée avec deux autres personnages - très différents - de l’histoire de France au XVIIIème siècle. Ses partisans d’outre-manche le considèreront comme le « King over the water » (« le Roi d’au-delà des mers »), ce qui est plus respectueux… et plus prometteur !
Jacques-Edouard prend ses quartiers dans l’Hôtel de Serre (4), libéré à cette occasion par le Commandant des troupes pontificales. Le « Prétendant » sera bientôt rejoint par de nombreux Jacobites, d’origines anglaises, écossaises ou irlandaises, de religion catholique ou protestante. Beaucoup viennent de quitter la Cour de Saint-Germain-en-Laye (5) et le « Château neuf », où réside encore sa mère, la très catholique, Marie de Modène (6). De prestigieux dignitaires jacobites, tel Ormond, irlandais et protestant, arriveront dès le 4 avril : James Butler, 2ème duc d’Ormond, (1665-1745), petit-fils du très royaliste et premier duc d’Ormond (1610-1688). Celui-là a été victime d’une procédure d’« impeachment », diligentée par le parlement de Londres, et a quitté définitivement l’Angleterre le 8 août 1715. Le comte de Mar, Lord Nairn, Lord Dunbar et le comte d’Inverness, prendront, plus tard, eux-aussi, leurs quartiers en Avignon ou dans le Comtat. D’autres encore profiteront du calme de l’exil avignonnais pour des séjours plus ou moins longs : le chevalier Ellis, les Keith, Lords Penmure et Drummond, par exemple… Ces deux derniers sont logés chez Monsieur de Villefranche, près du Sextier, dont nous aurons à reparler.
Le cas du Chevalier André-Michel de Ramsay (1686-1743), futur biographe de Fénelon (« Histoire de la vie de Fénelon », 1723) et précepteur éphémère des enfants Stuart à Rome est singulier. Converti au catholicisme par l’archevêque de Cambrai Fénelon (François de Salignac de La Mothe-Fénelon, 1651-1715, auteur des « Maximes des Saints » et défenseur du quiétisme de Mme Guyon), Ramsay développe ses activités maçonniques qui conduiront à la création de la première loge avignonnaise, sous l’appellation de Saint Jean. Elle sera un lieu important de réunion pour la noblesse provençale, derrière l’érudit marquis de Calvière (1695-1777), et certains Jacobites restés par la suite en Avignon. Cette loge de Saint Jean fut condamnée et supprimée par l’Archevêque d’Avignon, Monseigneur de Crochans, en 1743, année du décès de Ramsay, suivant ainsi les injonctions de Rome, mais aussi du ministre Fleury.
A côté de la « gentry » jacobite, les partisans des Stuart parvenaient de tous les horizons britanniques. L’officier « de fortune » Charles Wogan (1698 ?-1715 ?), qui rendra visite au « prétendant » en Avignon constitue une bonne illustration de cette variété sociologique. Nous aurons à évoquer son destin à propos du mariage de Maria-Clementina Sobieska, avec Jacques-Edouard en 1719.
Le très documenté opuscule de Monsieur Georges Dickson (7), consacré aux Jacobites en Avignon, auquel a collaboré la Présidente de l’Académie de Vaucluse, Madame Françoise de Forbin, reproduit la liste des « Anglais » qui séjournent dans la ville des Papes, l‘« Altera Roma », en avril 1716. On a estimé leur nombre à environ 400, ce qui inclurait vraisemblablement les membres des familles elles-mêmes. Ces « émigrés » pouvaient appartenir aux religions catholiques, anglicanes ou épiscopaliennes, preuve de la tolérance sincère des Stuart en la matière et de la diplomatie de leurs protecteurs romains du moment. Ces partisans de la dynastie Stuart, anglais, écossais et irlandais, provenaient de plusieurs vagues d’émigration (8) depuis la « glorieuse révolution » de 1688, la désastreuse défaite de la Boyne (9), en 1690, le siège de Londonderry et enfin le traité de Limerick de 1691 (10). Un grand nombre d’officiers et soldats avait été alors incorporés dans l’Armée de Louis XIV, au sein de la « Brigade Irlandaise » (11) ou, plus tard dans le fameux « Régiment Ecossais » (12). La diaspora jacobite s’est ensuite dispersée, dans l’Empire des Habsbourg, la Prusse de Frédéric II, l’Espagne de Philippe V, les pays scandinaves, voire même en Russie ou en Amérique.
On a fêté, le 23 juin 2014, le septième centenaire de la victoire de Bannockburn des Ecossais de Robert Bruce sur la cavalerie anglaise d’Edouard II. Les ascendants du Roi Robert 1er d’Ecosse, couronné en 1306, sont originaires du Cotentin. On peut encore apercevoir les ruines du château de Brix, près de Valognes. C’est une motte féodale typique du moyen-âge. Pour le prix de son courage à Bannockburn, le sixième sénéchal d’Ecosse, Walter Stewart, dont la famille avait quitté Dol de Bretagne pour l’Angleterre, un siècle plus tôt, épousera la fille du Roi Robert 1er, Marjory.
L’Ecosse y gagnera son indépendance - et sa nouvelle dynastie souveraine - pour plus de 300 ans.
Alors que l’Ecosse, unie à l’Angleterre pour former la Grande Bretagne en 1707, a renoncé, le 18 septembre 2014, par référendum, à son indépendance, il faut revenir sur les circonstances qui ont amené l’un des derniers représentants de la dynastie Stuart en terre papale, au XVIIIème siècle. La France est certes liée à l’Ecosse par la « Vieille Alliance » (« Old Alliance ») approuvée par Philippe le Bel et John Balliol au XIIIème siècle (25 octobre 1295), la « plus vieille alliance du monde », selon les déclarations de Charles de Gaulle en 1942. Comme on le sait, les familles régnantes en Europe ont entretenu des liens dynastiques à géométries variables selon les époques. Ceci est particulièrement vrai des Stuart, proche des royaumes de France et d’Espagne depuis le XIVème siècle. Ils seront ainsi, bien malgré eux, alliés, puis ennemis de la principale rivale maritime et marchande de la City, les Provinces Unies, au cours des époques successives qui nous intéressent.
L’histoire officielle du Royaume-Uni a été d’abord écrite et enseignée, comme il se doit, par les vainqueurs, c’est-à-dire, par les tenants de la dynastie régnante, d’abord orangiste, puis hanovrienne et Saxe-Cobourg-Gotha (13). Leurs descendants siègent encore sur le trône du Royaume Uni, sous l’appellation Windsor. En termes contemporains, on pourrait traduire par : « Winners take all »...
Les critiques habituelles adressées aux Stuart n’ont pas été remises en cause jusqu’à une date récente. Ainsi, T. B. Macaulay présentait, en son temps, les derniers Stuart comme des caricatures ultramontaines, fermées à l’évolution de leurs temps, des mentalités modernes et des mœurs libérales. Ils ont fait, pour certains, figures de conservateurs obscurs à l’époque des lumières. Ils comptaient néanmoins parmi leurs proches partisans la personnalité ambigüe mais brillante de Lord Bolingbroke (14), promoteur de la philosophie « éclairée » en Europe et grand amateur de salons littéraires. Celui-ci, cependant, ne rejoindra jamais Avignon, préférant les retraites intimes ou la proximité des cours royales des Bourbon ou des Hanovre, pour intriguer avec les puissants de ce monde. Francophone sinon francophile, il se consacrera également à une œuvre abondante écrite dans diverses retraites provinciales, anglaise (Dawley, près de Telford, West Midlands) et française (le château de La Source, près d’Orléans), où il recevra notamment Voltaire avec la plus grande cordialité.
Les trois derniers Stuarts restent fidèles à leur foi catholique, sous certaines et importantes réserves que nous soulignerons, mais ils ont la sagesse de s’entourer de nombreux conseillers protestants. Par leur ouverture d’esprit, ils étaient en avance sur bien des acteurs politiques de leur temps. Ils défendent une politique de tolérance religieuse qui avait l’ambition de s’appliquer à tous. Les membres de la « chapelle » des Quakers de William Penn (15), avant leurs départs pour les Etats Unis, en bénéficieront : ils doivent aux Stuart une grande part de leur liberté d’action puis de leur légendaire prospérité. Les succès ultérieurs de la diaspora dans les domaines culturels, économiques et politiques sur les cinq continents attestent de la qualité humaine des Jacobites et de leur remarquable esprit d’entreprise. Ils prennent ainsi une revanche, certes tardive, mais durable sur leurs détracteurs des siècles passés.
Les approches modernes de l’histoire, adoptent un point de vue global (« world history »), et non plus seulement nationaliste : elles remettent en cause bien des préjugés d’origines politique, grâce à une intégration équilibrée des données économiques, religieuses et sociales. Elles nourrissent de multiples interprétations - parfois et même souvent contradictoires - des comportements humains.
Plus modestement, je propose ici un « recentrement » de la perspective historique à partir de notre bonne ville d’Avignon et du Comtat Venaissin. En ce début du XXIème siècle, cette perspective singulière permettra d’éclairer d’un jour nouveau plusieurs zones d’ombres… soigneusement entretenues par certains historiens officiels. On découvrira ainsi que les riches contacts entre la diaspora jacobite et les gens de Provence, pendant près d’un siècle, leur ont permis d’exercer une influence décisive sur la scène européenne au plan politique, économique et social, philosophique et religieux.
Redoutables conflits religieux et dynastiques aux XVIIème et XVIIIème siècles et bouleversements des alliances de part et d’autre de la Manche
Jacques-Edouard, cet Avignonnais de passage, bénéficie d’un étrange mais sinistre privilège familial. Son grand-père, Charles Ier d’Angleterre (16), lui-même jugé trop tolérant avec les Catholiques et intransigeant avec les Presbytériens, a été décapité en 1649, sous la férule du sanguinaire Cromwell, suite notamment aux intrigues parlementaires des Whigs, opposants traditionnels des Tories Jacobites. Charles Ier a ainsi connu la même fin que sa propre grand-mère, Marie Stuart.
La guerre civile cromwellienne s’achèvera dans le sang, avec l’établissement d’un « Protectorat » proche d’une dictature coloniale à l’égard des sujets qui ont le malheur de ne pas être anglais et puritains. Ces guerres civiles à répétition déchirent également les clans écossais. Ainsi Ulysse Monroe, catholique et royaliste, s’opposera au chef de son clan devenu presbytérien. Au décès de Charles 1er, Ulysse passera en Irlande et poursuivra le combat contre la « new model army » de Cromwell avec le grand Owen Roe O’Neill (1590-1649). Après une alliance matrimoniale des Monroe avec la famille irlandaise O’Reilly (Catherine, épouse d’Owen Roe-Monroe, fils d’Ulysse, au château d’Oldcastel, comté de Meath), ses deux petits fils fonderont, au XVIIIème siècle, la célèbre branche française et catholique des Monroe. Les émigrés français de ce clan des Highlands se distingueront, sans esprit de revanche, de leurs cousins restés en Ecosse, par leur blason et par leur devise. Le « Nil sine labore » et les abeilles des Monroe établis en France évoquent déjà les vertus républicaines, tandis que le glaive des Monroe presbytériens et leur « Dread God », paraissent ne pas avoir dépassé les prescriptions morales du Pentateuque...
Cette transition sanglante de l’histoire britannique est cependant dépourvue d’issue dynastique. Les trois royaumes d’Angleterre, d’Ecosse et d’Irlande auront terriblement souffert de conflits incessants : les « Cavaliers », partisans des rois Stuart, et les « Têtes rondes » de la nouvelle armée de Cromwell (« new model army »), se sont affrontés sans relâche sur tout le territoire pendant près de dix ans. Cette guerre civile britannique ne cesse véritablement dans les esprits qu’au décès du « Lord Protector», en 1658. Elle laisse les souvenirs douloureux des atrocités commises aux noms des principes religieux, des intérêts économiques et des « luttes de castes » qui répugnent à cohabiter. Ces traumatismes historiques perturbent au premier chef l’Ecosse et l’Irlande, dans leur gouvernement et leur organisation ancestrale, sur les plans familiaux, sociaux et religieux.
La restauration monarchique de 1660 profite à l’oncle de Jacques-Edouard, Charles II, arrière petit-fils de Marie Stuart. Elle a permis de réunir, à nouveau, les trois couronnes britanniques sur la même tête, « penniless et powerless », selon certains historiens anglais. Ce retour des Stuarts au pouvoir est dû à l’intervention, surprenante mais décisive, du Général Monck, premier duc d’Albermale (17). Grâce à lui, les Stuart ont pu mettre mis fin à leur premier exil sur le continent, imposé par le fanatisme puritain, associé au goût du pouvoir solitaire, d’Olivier Cromwell. Le Général Monck, fervent partisan de l’ordre, sera récompensé par le don de terres dans de lointaines colonies anglaises, dans l’actuel Etat de Caroline du Nord. Les Stuarts avaient dû cependant faire de nombreuses concessions en matière religieuse pour retrouver leurs royaumes. Jacques II, le père de Jacques succède à son frère Charles II, décédé, en 1685. Il pratique d’abord une politique de tolérance religieuse en faveur des Catholiques et des dissidents protestants, face à la toute puissante église anglicane (« Church of England ») de Londres et aux Episcopaliens d’Ecosse, (« Church of Scotland ») ou encore aux Presbytériens (« Kirk of Scotland»), émules de John Knox (18). Le Roi Jacques II éveille de la sorte les soupçons des milieux antipapistes de toutes obédiences, à commencer par les aristocrates anglicans de la « High Church », jaloux de leurs prérogatives politiques et financières à Londres. Ceux-ci reprochent au Roi Jacques ses entorses à l’égard de l’« Habeas Corpus » devenu « obligatoire » depuis 1679. Les Whigs eux-mêmes sauront sacrifier, à leur avantage exclusif, cet admirable mais exigeant principe judiciaire de l’ « Habeas Corpus », dès 1694.
La naissance - inattendue mais tant espérée - de Jacques-Edouard, fils de Jacques II et de sa seconde épouse Marie de Modène, et surtout son baptême catholique, seront les prétextes, le 10 juin 1688, de la « glorieuse révolution » d’Angleterre. Contrairement à ses deux demi-sœurs ainées, Marie et Anne, filles de Jacques II et d’Anne Clarendon-Hyde, qui sont baptisées dans la confession protestante, Jacques-Edouard doit principalement ce choix confessionnel provoquant à sa mère, Marie de Modène, fille d’une nièce de Mazarin, ainsi qu’aux convictions religieuses encore récentes de son père. Cette révolution est fomentée à Londres par le parlement de Wesminster et les « sept Immortels », dont l’amiral Edward Russel que nous retrouverons à la bataille navale de La Hougue. Ceux-ci préfèrent un souverain étranger, en l’espèce, hollandais et calviniste, à un roi écossais et catholique. Outre sa proximité de la famille régnante, l’appel à Guillaume III d’Orange présentait également un avantage significatif pour la bourgeoisie émergente : un espoir de conciliation - ou en tous cas de moindre rivalité - en matière d’intérêts commerciaux pour les deux grandes puissances maritimes du moment. Selon le vocabulaire italien, le parlement anglais comptait, outre l’aristocratie, beaucoup de « populo grasso » et presqu’aucun « populo minuto ».La destitution sans violence de Jacques II, sur fond de trahisons de ses plus proches courtisans (John Churchill, Ormond, Sunderland, Dartmouth, Halifax,…) (19) amènera son gendre et neveu, Guillaume III d’Orange et sa fille Mary, elle-même protestante, sur les trônes britanniques. Mary (20), puis Guillaume d’Orange seul, vont régner pendant quatorze ans sur les trois royaumes, en accord avec le Parlement de Londres. La seconde fille de Jacques II, Anne (21), elle aussi protestante convaincue, succède à Guillaume III d’Orange, décédé en 1702. La disparition de Guillaume III d’orange n’est pas sans conséquence en pays rhodanien. La Principauté d’Orange revient alors à la France qui l’attribue dans un premier temps au Prince de Conti. Celui-ci en fera un objet d’échange conforme à ses intérêts familiaux avant que la ville ne devienne définitivement française en 1731.
La pacifique reine Anne gouverne notamment avec le tory Sidney Godolphin (1645-1712), en tant que Lord Trésorier, et avec le fluctuant John Churchill (22) qui restera à la tête des armées anglaises jusqu’en 1712, ainsi qu’avec des conseillers Tories, tels Henry Saint John, Viscount Bolingbroke, déjà cité. Le nouveau chef des armées, James Butler, 2ème duc d’Ormond, ce Grand d’Irlande, protestant et proche de la reine, arrivera bientôt en Avignon, déchu de tous ses titres par la dynastie hanovrienne. Le versatile et prolixe Bolingbroke, qui initiera par la suite Voltaire à la culture anglaise en général et aux pensées de Locke, de Newton et de Pope en particulier, joue un rôle décisif parmi les courtisans de la Reine Anne, en matière de politique étrangère, tout spécialement au moment du traité d’Utrecht.
Jacques II, trahi de toutes parts après trois ans de règne, ne disposant plus des moyens militaires, et surtout des soutiens politiques nécessaires, n’a pas voulu faire couler le sang de ses sujets face à l’armée de 25.000 hommes (dont 7.000 huguenots) levée par son redoutable et ambitieux gendre et neveu. Il s’exile en France jusqu’à sa mort en 1701, au château de Saint Germain en Laye. Le Comte de Lauzun (23), aidé par un noble Provençal, le chevalier de Saint Victor, ancien écuyer du duc de Vendôme, avait, en décembre 1688, convoyé secrètement d’Angleterre en France la Reine Marie de Modène et son enfant, Jacques-Edouard, qui n’a pas encore un an, sur instruction personnelle de Louis XIV (24).
Les Jacobites à Saint Germain en Laye de 1689 à 1715, la cour de Jacques II et les premières tentatives de reconquêtes des trois royaumes
Louis XIV, le roi très chrétien, hébergera généreusement son cousin germain Jacques II, lui octroyant honneurs et pensions (600.000 livres annuelles,…) pour des raisons autant politiques que personnelles et familiales : Henri IV n’est-t-il pas leur grand père commun ? Il est vrai que cette remarque pourrait s’appliquer à de nombreux descendants du « Vert Gallant »…
Louis XIV, lui-même, n’avait-t-il pas dû se réfugier avec sa mère à Saint Germain, quarante ans plus tôt, à l’époque de la fronde (1649-1651) ? La Cour Jacobite qui entoure Jacques II à Saint-Germain-en-Laye, compte, suivant les estimations généralement admises, environ 60% d’Irlandais, 35% d’Anglais, et 5% seulement d’Ecossais. Cette Cour en exil suit fidèlement l’étiquette de Londres, bien différente de celle de Versailles. Selon la plupart des auteurs, près de 40.000 personnes avaient au total quitté l’Ecosse, l’Irlande et l’Angleterre, depuis 1690.
Jacques II d’Angleterre a tenté de reprendre le pouvoir sur ses royaumes à plusieurs reprises. Il a participé lui-même à la bataille de la Boyne, le 16 juillet 1690, prenant ainsi les armes contre son ancien courtisan, qui sera un futur allié et compagnon d’exil en Avignon, le duc d’Ormond, mais aussi contre son propre gendre, Guillaume III d’Orange, avec l’aide militaire de la France. Le duc d’Ormond qui avait combattu pour Jacques II contre la rébellion de Monmouth, est maintenant colonel d’un régiment de horse-guards sous le commandement du nouveau souverain, Guillaume III d’Orange. Après la victoire des orangistes à la Boyne, notre duc d’Ormond, futur avignonnais, invite alors Guillaume III à festoyer dans son magnifique château de Kilkenny. Celui-ci a été épargné par les troupes françaises, alors commandées par un favori du Roi-Soleil, le duc de Lauzun. Louis XIV suivait l’affaire irlandaise de près, soutenant Jacques II avec un corps expéditionnaire de sept mille hommes. Ceux-ci seront battus par les vingt trois mille hommes de Frédéric Armand, marquis, puis duc de Schomberg (1615-1690) ; l’ancien marechal de France trouvera cependant la mort, en traversant la Boyne, sous les coups des gardes du corps de Jacques II. Ayant quitté la France à la révocation de l’édit de Nantes, Schomberg avait poursuivi sa carrière militaire auprès de l’électeur de Brandebourg, puis au Portugal, avant de se rallier à Guillaume III d’Orange à partir de 1680. Suprême honneur et marque d’allégeance définitive, celui-ci le fera chevalier de la Jarretière.
Une expédition maritime conduite par Tourville (25) et d’Estrées (1660-1737), à laquelle participe en tant que capitaine de vaisseau, Claude de Forbin-Gardanne, échouera encore en 1692, en dépit du soutien inconditionnel du Roi de France. Dans la précipitation imposée par l’impatience royale, il apparait, trop tard, que les poids des forces navales en présence avantagent considérablement les Anglais. Les Anglo-hollandais, sous le commandement de l’amiral Edward Russell (1653-1727), disposaient de 91 vaisseaux de ligne, 31 vaisseaux à vue et une cinquantaine de brûlots contre 44 bâtiments seulement pour Tourville et d’Estrées. Seignelay et Louvois étant décédés en 1691, les instructions malencontreuses et versaillaises du Roi-Soleil et de son nouveau ministre Pontchartrain, également ignorant des considérations climatiques du moment dans le Cotentin et d’un rapport de forces aussi inégal, avaient provoqué la destruction d’une partie importante de la flotte française présente au Cap de la Hougue. Les forces, impatientes mais inefficaces, du Roi Jacques II, de Patrick Sarsfield (1660-1693), le valeureux défenseur de Limerick et de ses Brigades irlandaises, ainsi que du Marechal de Bellefonds (1630-1694), sont restées à terre à Saint Vaast. Leur détermination à vaincre n’a pas suffi à dissiper le désordre régnant dans les rangs français face aux « vents protestants » qui resteront résolument hostiles aux Stuart. Patrick Sarsfield allait mourir l’année suivante à la bataille de Landen-Neerwinden, à la tête de la Brigade irlandaise, sous le commandement du Marechal de Luxembourg. En face, le duc d’Ormond, alors rallié au gendre de Jacques II, allait être blessé le même jour parmi les troupes anglo-hollandaises que dirigeaient Guillaume d’Orange contre la France.
Des vents contraires allaient encore souffler sur la flotte, conduite cette fois-ci sous le commandement de Claude de Forbin-Gardanne (26), qui devait amener en 1708 Jacques-Edouard en Ecosse. Ce célèbre marin provençal avait été le second de Jean Bart dans plusieurs campagnes navales contre les Anglais. Il avait déjà connu son heure de gloire, quelques années plus tôt, dans le golf de Siam puis aux Indes, à Pondichéry - où nous retrouverons plus tard, un certain Hector Monroe de Novar, brillant officier de l’armée des Indes - avant de reprendre du service dans la Manche.
En 1715, la guerre de succession d’Espagne est en principe terminée. Le petit fils de Louis XIV, Philippe V, règne à Madrid au grand déplaisir de l’Empereur germanique, Charles VI (27). En France le Régent Philippe d’Orléans assure une transition inspirée par la politique de l’Abbé et futur Archevêque de Cambrai et Cardinal Dubois, jusqu’au couronnement de Louis XV en 1723.
L’attitude du Régent a en effet évolué lorsqu’il réalise que la politique du premier ministre espagnol, Giulio Alberoni, ne visait pas moins qu’à placer Philippe V sur le trône de France… ou à défaut son ennemi le duc du Maine (conjuration de Cellamare de 1718). Et puis Georges 1er d’Angleterre n’est-il pas le cousin germain de la mère du Régent Madame Palatine ? Les négociations franco-anglaises sont menées par l’abbé Dubois avec James Stanhope (28), secrétaire d’Etat Whig le plus influent de l’époque et Walpole (1678-1757). Ces accords de « bonne intelligence politique» seront maintenus lorsque Robert Walpole sera devenu « Lord Trésorier » en 1721 (29).
Un monarque sans royaume mais non sans ambitions politiques réfugié en Avignon en 1716 et 1717 : le Prétendant (Jacques III d’Angleterre et Jacques VIII d’Ecosse)
Après plusieurs tentatives d’invasion de ses trois royaumes, Jacques-Edouard se réfugie à Bar-le-Duc puis à Commercy, en Lorraine (30), et enfin en Avignon. Il est inquiet pour l’avenir, car ses marges de manœuvre sont fort réduites, tant sur un plan politique que monétaire. Il est accablé par l’échec de l’infructueuse expédition conduite en Ecosse par le Comte de Mar, la fameuse « fifteen » des historiens anglais. Celle-ci ne dura que quelques semaines, sans résultat tangible pour aucune des parties, en dépit des efforts d’organisation et des secrets dont elle avait été l’objet. Pour mémoire, Jacques-Edouard avait déjà participé lui-même à une première tentative de débarquement en Ecosse en 1709 (31), provoquant une insurrection insuffisante des Highlands. A cette occasion, la flotte française était commandée par un Provençal, le Comte de Forbin-Gardanne, déjà évoqué.
Plus sérieuse, la tentative de « restauration » de 1715 reposait sur la coordination de plusieurs mouvements de rébellion, auxquels devait participer le duc d’Ormond à partir du Sud de l’Angleterre. Leur organisation s’avéra un fiasco, du fait d’une absence de « leadership » suffisamment visible face aux forces armées des Hanovriens. Pourtant, les maigres troupes Jacobites, sous le piètre commandement du Comte de Mar, parviendront, signe prometteur pour l’avenir, à mobiliser en 1715, plusieurs clans importants de Highlanders en faveur de la restauration des Stuart. Les forces écossaises et presbytériennes du duc d’Argyll, favorables au roi hanovrien Georges Ier, mettront cependant un terme à cet espoir suite à l’étrange défaite de Sheriffmuir du 24 novembre 1715 (32). Au-delà des intérêts dynastiques, il s’agit désormais aussi d’une guerre entre « malgré eux », des clans écossais, de religions différentes ou d’intérêts territoriaux divergents. Les représailles de Georges Ier et de sa cour de Londres sont particulièrement brutales : deux Lords Ecossais, Darwentwater et Kenmure sont décapités, d’autres resteront prisonniers dans la Tour de Londres. Certains réussiront pourtant à s’échapper, tels Lord Nithisdale ou Lord Penmuire, lequel avait été blessé à la défaite de Sheriffmuir. Les uns et les autres rejoindront, par la suite, Jacques-Edouard en Avignon.
Après une première et courte période marquée par l’hésitation, la politique du régent Philippe d’Orléans ne sera guère favorable aux Jacobites. Elle visera désormais à se concilier les bonnes grâces hanovriennes, grâce aux négociations secrètes, mais à visées diplomatiques et pacifiques, de l’Abbé Dubois avec ses correspondants britanniques, Stanhope (James, 1er Comte du nom, 1673-1721) et Lord Stair, d’origine écossaise (John, 2ème comte de Dalrymple, 1673-1747), le pugnace Ambassadeur de Londres à Paris. Le règne de Louis XIV, ses guerres préventives, ses ambitions territoriales et l’hostilité tenace à l’égard des nouveaux maîtres de l’Angleterre, et surtout des Provinces Unies, sont provisoirement révolus…, les finances du royaume étant durablement asséchées ! L’Europe va entrer dans l’ère de la triple (1716 : France, Angleterre, Hollande), puis quadruple (1717 : l’empereur en plus des trois premières puissances) alliance contre l’Espagne. Les guerres seront davantage subies que provoquées par la France : elles prendront cependant une dimension internationale qui s’étendra des Amériques aux Indes. Dans une publication récente (« 1715 », Perrin, 2015), Thierry Sarmant, conservateur au musée Carnavalet, a recherché les évolutions des arrière-pensées des principaux acteurs européens de cette époque, plongeant ainsi aux cœurs de leurs motivations secrètes.
En simplifiant, on peut dire que les conflits dynastiques prennent nettement le pas, à cette époque, sur les intérêts nationaux. Ainsi, les Hanovriens comptent sur la France pour neutraliser les ambitions du prétendant Stuart, tandis que le Régent s’inquiète des visées de Philippe V d’Espagne sur le trône de France et espère le soutien des Hanovriens d’Angleterre. Les futurs cardinaux Dubois, en France et Alberoni, en Espagne vont s’activer, à partir de 1716, pour mener des discussions diplomatiques, plus ou moins musclées, pour édifier ou ruiner, selon les circonstances du moment, ces « (més)ententes cordiales », de plus en plus provisoires. Si leurs ascensions politiques sont alors fulgurantes, les termes de leurs carrières s’avèreront bien différents. Cardinal le 12 juillet 1717, Alberoni provoquera finalement, par ses manœuvres désastreuses, l’invasion de l’Espagne par les troupes françaises commandées par Berwick, en avril 1719. La nouvelle épouse de Philippe V, la reine Elisabeth Farnese obtient son renvoi en novembre 1719 et le traitera de « cervello diabolico ». C’est pourtant Alberoni qui avait arrangé son mariage avec Philippe V, au décès de sa première épouse, Marie de Savoie, en 1714. Alberoni végètera jusqu’à sa mort, de nombreuses années plus tard, en Italie.
Fort de ses succès diplomatiques avec la perfide Albion, Dubois, ancien précepteur du Régent, devient Archevêque de Cambrai le 9 juin 1720, cinq ans après le décès de son célèbre prédécesseur, Fénelon. Cardinal le 16 juillet 1721, il entre à l’Académie Française le 4 décembre de la même année. Il meurt, au faite de sa gloire, trois mois après le Régent, le 2 décembre 1723. Une époque est révolue.
C’est en redoutant les conséquences de cet imbroglio dramatique sur la scène politique européenne, dont il risque fort d’être le jouet, que le « Prétendant », Jacques-Edouard, est arrivé, presqu’en cachette, en Avignon au début du printemps 1716. Il a certainement conscience que l’union de l’Angleterre et de la France contre l’Espagne est circonstancielle : c’est la crainte d’un Philippe V devenant trop puissant, en captant l’héritage français de Louis XIV, qui cimente une alliance contre nature de part et d’autre de la Manche. Peut-être le retour du Prétendant sur le trône d’Angleterre passe-t-il par Madrid ? En attendant, l’armée française, qui s’était tant battue pour mettre Philippe V sur le trône d’Espagne à la demande de Louis XIV, va donc lutter maintenant contre le souverain espagnol avec l’armée anglaise, à la demande du Régent. Parmi les troupes du roi d’Espagne combattront pendant quelques années de célèbres jacobites que nous retrouverons en Avignon.
Quelques jours plus tard après sa discrète entrée dans la ville des Papes, Jacques III est rejoint par le prestigieux duc d’Ormond, ancien Vice-roi d’Irlande et chancelier des universités d’Oxford et de Dublin, qui avait défendu, avec Bolingbroke, les intérêts Tories des Jacobites à la Cour de Westminster, pendant les dernières années de règne de la seconde fille de Jacques II, Anne.
Le duc d’Ormond et son entourage en Avignon : un général qui n’aime pas la guerre
En Irlande, les Butler, comte puis duc d’Ormond, protestants et royalistes, ont joué un rôle singulier. Notre deuxième duc d’Ormond, James Butler, est le petit-fils de son homonyme (1610-1688), lequel avait combattu Cromwell et les covenantaires écossais pour le compte de Charles 1er. Charles II, reconnaissant, lui confèrera les honneurs académiques de l’Université d’Oxford, dont héritera notre avignonnais, avant de s’en voir destitué par Georges 1er. Le parlement irlandais le prive de tous ses biens (y compris le domaine de Kilkenny et son château). Sa tête est mise à prix. Le duc d’Ormond devenu avignonnais est le fils de Thomas Butler, comte Ossory (1634-1680) et d’Emila von Nassau. Les mémoires du duc d’Ormond, publiées à La Haye en 1737, nous renseignent sur ses nombreuses activités politiques et militaires, ses relations avec le Prétendant, son intimité avec la « marquise de V… » en Avignon ; le vieux lord apprécie en connaisseur sa jeunesse et sa taille fine… ainsi que ses multiples et autres attraits féminins.
Une fois exilé sur le continent, Ormond intrigue activement avec le chef du gouvernement espagnol, le cardinal Giulio Alberoni (1664-1752), le bon ami (et disaient les mauvaises langues, ancien cuisinier ?) du Marechal de Vendôme, en faveur des intérêts jacobites. Cet « homme de rien », selon la terminologie aristocratique de l’Espagne d’alors, deviendra Evêque de Malaga puis, on l’a déjà indiqué, Cardinal. Grâce au soutien de la Reine d’Espagne, Elisabeth Farnèse, Alberoni fait alors office de Premier Ministre à Madrid, mais pour peu de temps encore. Il jouera un rôle décisif dans une nouvelle tentative de reconquête des trois royaumes, en 1719. Capitaine Général des armées du roi d’Espagne entre 1718 et 1720, le duc d’Ormond dirige en effet une expédition maritime qui part de Cadix pour l’Ecosse. Las, elle sera, elle aussi, victime des tempêtes atlantiques bien avant d’avoir atteint son but. Pour mieux suivre cette opération sur laquelle avaient été fondés tant d’espoirs, Jacques-Edouard s’était rendu en Espagne, au moment-même de son union avec Maria-Clementina Sobieska. Il avait résidé alors quelques temps à Madrid au Palais de Buen Retiro, son mariage étant conclu par procuration avec la riche princesse polonaise.
En Ecosse, le marquis de Tullibardine, les comtes Marishal et Seaforth s’emparent néanmoins du château de Doune, près de Stirling, avec les maigres troupes qui ont réussi à aborder les côtes britanniques. Ils doivent rapidement abandonner leur prise sous le feu des troupes hanovriennes du Capitaine Doyle. Les Jacobites de Murray sont battus à Glenshiel le 10 juin 1719 par les troupes du clan Monroe dirigées par le capitaine John Munro de Culcairn, farouche mais récent partisan des Hanovriens. Plusieurs insurgés rejoignent alors l’Espagne avec un jeune chef de guerre, Georges Murray, qui jouera plus tard un rôle essentiel dans l’insurrection jacobite de 1745 de Charles-Edouard.
Le duc d’Ormond choisit, quant à lui, d’abandonner définitivement les armes… Il avait pourtant participé au siège de Gibraltar contre les Anglais pour le compte du roi d’Espagne, en 1727, avec le duc de Wharton, et menait bien d’autres combats, aux résultats certes mitigés, en terre hispanique. Cet épicurien Irlandais a définitivement perdu le goût des intrigues politiques, et a fortiori des recherches patrimoniales en faveur de son roi. Il avait en effet imaginé, à une époque, de marier le royal prétendant avec une fille du Tsar de Russie, à partir d’une « combinazione » audacieuse impliquant les puissances du Nord… Vaste projet de nouvelles alliances européennes qui intégraient les royaumes proches de la mer baltique : elles ne verront jamais le jour !
Il achèvera sa vie en Avignon en 1745 (33). Il aura habité en premier lieu l’hôtel d’Ancézune. Situé sur le Plan de Lunel (N°4 aujourd’hui), cet hôtel a été construit pour Louise d’Ancézune de Codolet qui financera par la suite le superbe noviciat des Jésuites d’Avignon. L’hôtel d’Ancézune passera ensuite par succession à la famille des ducs de Gramont-Caderousse. Ce bel ensemble, aujourd’hui appelé « hôtel Charavin », a conservé son poche orné de deux lions et son escalier monumental. Sur le même Plan de Lunel, le N° 1 actuel abrite le célèbre hôtel des juristes avignonnais, les Laurens, restauré entre 1678 et 1683 par François Royers de Valfenière. L’hôtel de Villefranche (rue du Vieux Sextier) constituera ensuite un refuge provisoire en 1732-1733 pour l’ancien Vice-roi d’Irlande. Cette construction, qui n’existe plus aujourd’hui, était proche du grenier à grain municipal. Elle a été remplacée en 1749 par un ensemble de nouvelles boucheries et poissonneries, conformément au plan de rénovation du vice-légat Pascal Acquaviva d’Aragon. Le duc d’Ormond choisit alors l’hôtel de Donis (rue Dorée) comme nouvelle demeure, de 1733 à 1740. Il y recevra en 1738 Lady Mary Wortley Montagu, future auteur des « Lettres Turques », laquelle, dit-on, vécut quelque temps en terre papale dans un moulin transformé en habitation…
Cet hôtel des Donis remonte au début du XVIème siècle, les Donis ayant fui Florence pour Avignon à la suite de la conjuration des Pazzi contre les Médicis. La rue Dorée prend alors le nom de son plus célèbre occupant pendant ses sept années de présence. Jean Joseph Bechet, chef d’une célèbre dynastie médicale en Avignon (les Michel-Béchet) acquiert cette maison en 1865 et la restaure entièrement.
Le duc d’Ormond achèvera sa vie et sa retraite avignonnaise rue Violette, à l’hôtel de Caumont, de 1740 à 1745. Cet ensemble, où ce qu’il en reste, abrite aujourd’hui la collection Lambert. Ormond meurt un 16 novembre en Avignon, « exiled and insignificant », selon l’Oxford dictionnary. Ce monument littéraire de l’historiographie anglaise passe ainsi par pertes et profits l’aide apportée par Ormond à Jacques II contre Monmouth, sa blessure à la bataille de Landen (1693) sous les ordres de Guillaume d’Orange, ses combats (malgré les « restraining orders » de Londres…) dans les Flandres contre Eugène de Savoie en 1712, son soutien politique à Bolingbroke, son amitié avec Swift et les Anglicans d’Irlande... Pas plus que la reine Anne, le capitaine général d’Ormond n’aimait la guerre. La grande victoire française de Denain, qui conduira les belligérants vers la paix d’Utrecht, lui avait donné finalement raison, tout en l’écartant définitivement de toute carrière militaire au service de Londres.
L’hôtel de Caumont a été conçu par le célèbre architecte avignonnais Jean Baptiste Franque pour le très savant Joseph de Seystres, marquis de Caumont. Il ne sera définitivement achevé, par François Franque, qu’en 1751. Cette famille aristocratique sera à l’origine de la culture de la garance dans le Comtat. L’ingéniosité de l’Arménien Johanes Althanion en fera l’une des principales sources de richesses de la région pour plusieurs siècles. Il ne reste plus grand-chose des magnifiques jardins de l’hôtel de Caumont qui s’étendaient entre l’actuel boulevard Raspail et la rue Violette.
Le chevalier de Ramsay était resté en correspondance amicale avec l’érudit marquis de Caumont, lui recommandant de nombreux hôtes britanniques, le plus souvent des « Frères » effectuant le grand tour.
La douceur de la vie avignonnaise des exilés confiés aux bons soins d’un vice-légat bienveillant et le second séjour du Prétendant en 1727
Jacques-Edouard et sa cour jouissent donc pour quelques mois du climat paisible de la bonne ville d’Avignon et du Comtat Venaissin : ils bénéficient de la bienveillance du tout puissant et tolérant Vice-légat Alamanno Salviati. Estimant que son royaume ne vaut pas un culte anglican, et encore moins la privation d’une pension papale, Jacques-Edouard se consacre à ses dévotions quotidiennes dans sa paroisse, Saint Didier. Il reçoit les bons soins de très estimés médecins avignonnais, les Gastaldy (34), qui le guérissent, suivant les gazettes de l’époque, d’une « fistule aux fondements ». A cette époque la famille Gastaldy habitait dans l’hôtel de Cambis-Velleron, près du Couvent Sainte Claire, cher à Pétrarque et à Laure de Noves. Ces médecins avignonnais deviendront très populaires pour avoir choisi de rester dans la ville au moment de la grande peste de 1720-1721. Cette épidémie fit plus de 6.000 morts dans la seule région d’Avignon.
Après les privations du Carême, Jacques-Edouard le catholique fait honneur, avec sa Cour, aux bienfaits des fêtes pascales qui récompensent les sacrifices consentis pendant le carême. Le vice-légat Alamanno Salviati lui offre pour les Pâques de 1716 : « Un grand bassin de bécassines et de pluviers, un autre de perdrix et de bécasses, un autre bassin de levreaux et de lapins, une grande corbeille de poulardes, une cage dorée et peinte de dindons, une autre de poulets, et une troisième de pigeons. Un veau, trois agneaux, deux gros moutons, tout cela en vie, excepté le gibier et quantité de toutes sortes de vins de Champagne, de Vienne et d’ailleurs » (35). Selon toute vraisemblance, les réceptions officielles devaient avoir lieu dans les nouveaux appartements des Vice-légats aménagés de façon précaire dans l’aile Nord du Palais des Papes. L’ancienne chambre des Camériers, devenue salle des cavaliers ou des légats, porte encore l’inscription suivante : « Toi qui considères ces vastes constructions, ces murs et ces tours, œuvre d’un art démesuré, en y pénétrant, ne méprises pas nos humbles installations : nous n’avons cherché la beauté que dans la seule commodité ». A vrai dire les merveilles de la salle de La Mirande contredisaient ces excès de modestie…
Pendant son séjour de dix mois en Avignon, du 2 avril 1716 au 6 février 1717, Jacques-Edouard aura habité dans Hôtel de Serre de la Marine, provoquant quelques jalousies chez les notables avignonnais qui souhaitaient héberger le royal prétendant… Ces ressentiments ne se calmeront pas lorsque Jacques Edouard choisit l’hospitalité de Mr de Villfranche, lors de son second séjour de 1727.
Hélas, la triple alliance (Angleterre, France, Pays Bas contre Espagne), œuvre de l’abbé Dubois, a été conclue dés le 4 janvier 1717 et les espions de sa Majesté britannique veillent. Le Régent cède aux instances de Lord Stair, ambassadeur d’Angleterre en France et de l’anglophile abbé Dubois.
Les fêtes Jacobites en Avignon vont connaître une fin rapide. Pourchassé par le régime hanovrien de Georges Ier, Jacques-Edouard est obligé de quitter Avignon le 6 février 1717 après un dernier diner chez le Vice-légat et une messe à Saint Didier. Il rejoint, après une traversée difficile des Alpes en hiver, le palais ducal d’Urbino, qui fait alors partie des domaines pontificaux. A la demande de Jacques-Edouard, Alamanno Salviati sera nommé Président de la légation d’Urbino, poste qu’il occupera de 1717 à1728. L’ancien vice-légat d’Avignon ne reviendra à Rome, pour recevoir le chapeau de cardinal (Santa Maria in Aracoeli), qu’en 1730. Il participe donc au conclave, à Rome, qui élira Clément XII au décès de Benoit XIII.
Jacques-Edouard se rendra ensuite à Rome, où il résidera, pensionné par les Papes, jusqu’à son décès en 1766. Il séjourne au Palais Muti (parfois appelé Palazzo del Re), l’actuel Institut Pontifical d’Etudes Bibliques, Place des Saints Apôtres. Il abandonnera alors progressivement ses rêves de reconquêtes qu’il se contentera de transmettre à son fils Charles-Edouard. Louis XIV lui-même avait dû reconnaître la royauté du régime hanovrien sur les îles britanniques, mais seulement « de facto », conformément aux traités de Ryswick (1698), puis surtout d’Utrecht (1713) (36). Ces accords diplomatiques ne règleront, ni la succession d’Espagne, du fait d’une haine tenace entre Philippe V et l’Empereur Charles VI, ni la querelle dynastique des trois royaumes : Jacques-Edouard restera, aux yeux des rois de France, le monarque britannique « de facto », méritant un soutien de plus en plus mesuré.
Jacques-Edouard reviendra une dernière fois en Avignon pour quatre mois, du 23 août au 20 décembre 1727, et résidera cette fois-ci à l’hôtel de Villefranche, passage des Boucheries, dans l’actuelle rue du Vieux Sextier, près de l’ancienne église Saint Génies. Le « Prétendant » fera un don à sa paroisse d’alors pour décorer la chapelle Saint Jacques. La famille de Villefranche n’avait pas encore fait construire le château de la Nerthe, au milieu de ses excellents vignobles de Châteauneuf…
La mort de Georges Ier, le 2 juin 1727, avait en effet réveillé certains espoirs de restauration jacobite. Par ailleurs, l’affaire du renvoi des précepteurs des deux jeunes princes, Lords Inverness et Dunbar, avait obligé - provisoirement - le « vieux Prétendant » à quitter Rome pour Bologne, ce qui n’était guère glorieux pour un monarque mal-aimé, par sa reine et épouse.
Par défaut, Avignon paraissait à nouveau le refuge idéal pour ces déracinés qui rêvaient à de nouvelles tentatives de restauration royale au-delà de la Manche. L’action diplomatique et militaire des Hanovriens en Europe allait rapidement ruiner ces derniers espoirs de retour à Londres.
Le mariage de Jacques-Edouard, l’exil romain des Stuart et le premier passage de Charles-Edouard en Avignon
A son arrivée à Rome en 1717, Jacques-Edouard n’avait pas encore atteint ses trente ans. Après quelques autres tentatives d’alliances matrimoniales en Europe, il se marie donc avec Maria-Clementina Sobieska (1702-1735), petite fille du grand monarque polonais, Jean III Sobieski (37), vainqueur des Turcs au siège de Vienne en 1683. Elle a une sœur cadette Marie-Charlotte qui épousera Jules Hercule de Rohan en 1743 : nous aurons à évoquer le destin singulier de sa fille à propos des amours fugitives de Charles-Edouard.
Maria-Clementina est catholique, confite en dévotion et richement dotée, tant en espèces qu’en bijoux. A vrai dire, c’est l’une des plus riches héritières de son temps en Europe. Georges 1er d’Angleterre fera tout ce qui est en son pouvoir pour empêcher cette union qui met son trône en péril, en bonne intelligence avec l’empereur germanique qui a ses propres raisons, nettement différentes. Maria-Clementina est emprisonnée avec sa mère, sur ordre de l’empereur Charles VI, sur son chemin vers Rome, à Innsbrück ; elle réussit à s’échapper et, par mesure de précaution, épouse Jacques-Edouard par procuration à Bologne en 1719. Cette équipée rocambolesque a trouvé une issue favorable grâce à l’efficacité de Charles Wogan, entièrement dévoué aux intérêts matrimoniaux de Jacques-Edouard. Cet officier de fortune avait rendu visite à Jacques-Edouard en Avignon. Comme on le sait, le futur mari de Maria-Clementina se trouve alors à Madrid, préparant l’expédition suggérée par Alberoni et menée, à partir de Cadix, par Ormond vers l’Ecosse. Le mariage royal sera confirmé, en présence des deux époux, le 3 septembre 1719, dans la cathédrale Santa Margherita de Montefiascone. Le Pape Clément XI qui reconnait la légitimité du nouveau couple royal, le convie à Rome. Outre la jouissance du Palais Muti et de la villa d’Albano, Jacques Edouard bénéficie d’une pension papale annuelle de 12.000 couronnes. En respect du protocole royal, un cousin du Pape Innocent XIII deviendra chambellan (« Gentiluomo di camera ») de la Cour Jacobite à Rome. A ces bienfaits s’ajouteront, non sans succès, en 1719, les générosités intéressées de l’abbé Dubois qui achète l’influence de Jacques-Edouard auprès du Pape en vue de la pourpre cardinalice dont les avantages pourraient opportunément s’ajouter aux bénéfices de l’archevêché de Cambrai…
Deux enfants naîtront de cette union : Charles-Edouard en 1720, que l’histoire retiendra sous les noms de « Bonnie Prince Charlie » ou de « Jeune Prétendant », puis de « Comte d’Albany », et le futur Cardinal Henry-Benedict Stuart, en 1725, dit le « Cardinal d’York ».
L’union de Jacques-Edouard et de Maria-Clementina Sobieska ne sera pas heureuse en raison, des frasques - supposées ou réelles - du « vieux Prétendant » avec, notamment, la Comtesse d’Inverness (38), épouse de l’un des précepteurs des deux héritiers royaux. Maria-Clementina se réfugiera, de dépit, dans un couvent romain, Santa Cecilia, après la naissance de son second fils, Henry. Avec le Comte de Mar, le malheureux chef militaire de l’insurrection jacobite de 1715, elle exige le renvoi de John Hay, Comte d’Inverness et de son épouse, Marjory Murray. Maria-Clementina quittera ainsi son mari pendant deux ans au profit d’austères refuges ecclésiastiques. Elle mourra jeune, à trente-deux ans, le 18 janvier 1735, au Palais Muti. Un superbe monument funéraire, édifié par Pietro Bracci (1700-1773) sur ordre du Pape Benoit XIV, rappelle sa mémoire dans la basilique Saint Pierre de Rome. Un tableau conservé au Musée de la ville de Rome (Palais Braschi, Place Saint Pantaléon) représente la basilique des Saints Apôtres décorée pour les funérailles de Maria-Clementina, le 23 janvier 1735.
Le comte d’Inverness, quant à lui, prendra sans regret ses quartiers définitifs en Avignon où il appréciera le vigoureux vin de Chateauneuf, en général, et de la Nerthe, en particulier… Il réside aussi dans sa campagne du Comtat, qu’il a achetée en 1731 : le domaine de Saint Turquat, (situé sur l’actuelle D.21, à la sortie de Sarrians en direction de Beaume de Venise). Il y fait construire une vaste demeure, « Bellevue », qui sera revendue en 1768 au Comte de Blauvac. Bien qu’ayant changé de destination (c’est désormais un centre de repos de la Caisse d’Allocations familiales du Vaucluse), elle est appelée, aujourd’hui encore, le « château de Mylord ».
Jacques-Edouard veillera scrupuleusement à l’éducation de ses deux fils. Charles-Edouard se montrera doué pour la musique et joue, fort habilement, du violoncelle. Il apprécie notamment les compositions d’Arcangelo Corelli (1653-1713), le créateur européen du concerto grosso. Il joue avec plaisir et non sans talent la partition de violoncelle de l’une de ses dernières et plus belles œuvres, le magnifique concerto N° 8 en sol mineur: « Fatto per la notte di natale ». Corelli avait été un grand maître de la musique romaine au début du siècle. N’était-ce pas lui qui avait dirigé au palais Bonelli, en 1708, la commande du marquis de Ruspoli auprès de Haendel : « La Résurrection » ?
Charles-Edouard parle trois langues : français, italien et anglais. Il se passionne pour la chasse et se forge un corps d’athlète, en vue de futures opérations militaires qui deviendront bientôt son obsession.
Les deux frères s’entendent bien et s’épauleront, encore qu’une certaine rivalité puisse parfois se faire jour dans la course aux honneurs que leurs naissances autorisent en milieu catholique. Le jeune Comte d’Albany - titre réservé au Dauphin d’Ecosse - est de nature impatiente. Déçu par les trahisons politiques à répétition, Jacques-Edouard, à 55 ans, abandonne ses prérogatives royales et nomme, en 1743, Charles-Edouard régent des trois royaumes britanniques. Il va lui laisser carte blanche pour la suite des évènements.
Une première tentative d’invasion de l’Angleterre est préparée par Charles-Edouard, fin 1744, à Gravelines, avec le concours du Marechal de Saxe (1696-1750) (39). Le fils naturel de l’électeur de Saxe, Frédéric Auguste , roi de Pologne sous le nom d’Auguste II, et de Marie-Aurore de Koenigsmark se révèlera peu soucieux - ou trop réaliste - à l’égard des intérêts des Stuarts. Des vents contraires, encore eux, achèvent de ruiner ce premier espoir de reconquête du fils ainé de Jacques-Edouard. La flotte française du comte de Roquefeuil est malmenée par la tempête au large de Dunkerque, tandis que les navires de l’amiral anglais John Norris (1670-1749) croisent sans cesse dans le Pas de Calais...
Avant que Charles-Edouard ne tente une nouvelle invasion de l’Ecosse, il rendra visite au duc d’Ormond en Avignon pour solliciter, en vain, ses conseils et son soutien militaire, politique et moral. Le duc d’Ormond, déjà âgé mais non sans vigueur, apprécie trop la compagnie de la marquise de Vaucluse, son hôtesse pour prendre de nouveaux risques vers d’hostiles rivages. Le marquis de Vaucluse, quant à lui, ne réside pas en Avignon et préfère les fraîcheurs de la campagne irriguée par la Sorgue, aux intrigues amoureuses… Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes avignonnais pour notre ancien et bien assagi vice-roi d’Ecosse qui écrira sur le tard de fort instructives mémoires.
L’insurrection jacobite de 1745 et 1746 : le duc d’Eguilles accompagne Charles Edouard dans sa campagne militaire Outre-manche jusqu’à la défaite de Culloden
Bien que soutenu par sept clans importants, tels les Mac Donald, les Cameron, les Mac Leod, Charles-Edouard et ses 36 régiments de Highlanders, échouera à reconquérir ses trois couronnes, malgré de brillantes actions militaires qui s’étendront du 2 juillet 1745 au 16 avril 1746 avec le soutien de certains renforts français à partir de l’automne 1745. Charles-Edouard s’est embarqué pour l’Ecosse moins de deux mois après l’éclatante victoire de Fontenoy (11 mai 1745), remportée par le Marechal de Saxe en présence du roi Louis XV et du Dauphin, sur la coalition commandée par le duc de Cumberland. Ce succès militaire éclatant, remporté par les Français à une dizaine de kilomètres de Tournai, le berceau de la dynastie mérovingienne (Childéric y meurt et Clovis y naît), ne suffit pas à convaincre les chefs de l’armée française de l’intérêt d’une nouvelle victoire avec un allié supposé incontrôlable dans la lointaine Ecosse. La personnalité de « Bonnie Prince Charlie » alimentera de façon prodigieuse la légende romantique des Jacobites au cours des siècles suivants. Charles-Edouard pourrait, en effet, produire de réelles circonstances atténuantes face au tribunal de l’histoire. « La perfide rébellion de l’aventurier» inquiète les milieux politiques anglais et surtout les whigs et le monarque hanovrien, qui sont eux-mêmes considérés par « Bonnie Prince Charlie » comme une bande d’«usurpateurs».
Son expédition en Ecosse n’a été rendu possible que grâce au soutien logistique de l’armateur jacobite d’origine irlandaise, Antoine Walsh, de Nantes, et ceci grâce à l’entremise du banquier écossais établi à Paris, Aenas Mac Donald. Si le Cardinal de Tencin et sa famille encouragent les entreprises de Charles-Edouard, Louis XV, roi de France depuis plus de vingt ans, ne lui accordera que tardivement le soutien du « Royal Ecossais » : celui-ci débarquera à Montrose le 26 novembre 1745, après les premières victoires du jeune prétendant en Ecosse. La maladie et la confession « précipitée » auprès de l’évêque Fitzjames à Metz, le décès de Mme de Chateauroux en 1744, puis la présentation de Mme de Pompadour à Versailles en 1745, semblent occuper davantage les pensées du roi bien-aimé que les péripéties militaires de Charles-Edouard en Ecosse et en Angleterre.
Le duc d’Eguilles, futur président du Parlement de Provence (40), accompagnera fidèlement Charles-Edouard au cours de sa campagne de reconquête, à partir du 15 octobre 1745. Le vaisseau « L’Espérance » sur lequel il a embarqué transporte onze mille fusils, onze mille sabres ainsi que des barils de poudre, sans compter d’importantes réserves d’argent. Un second vaisseau « Le Hareng Couronné » double la mise en matière d’armement. La faiblesse de l’armée de Charles-Edouard est cependant certaine en matière d’artillerie face aux troupes anglaises. Outre les conditions de terrain défavorables aux Highlanders, c’est en effet l’artillerie du Duc de Cumberland qui aura le dernier mot à Culloden. En attendant cette défaite finale, notre noble provençal souffre de la fraicheur écossaise, mais son mental tient bon à travers les brumes calédoniennes : il apportera un soutien personnel et amical sans faille à Charles-Edouard.
Un accord était enfin intervenu entre d’Argenson et le Colonel D. O’Bryen, à Fontainebleau, peu après les premiers succès militaires de Charles-Edouard en Ecosse, en date du 12 octobre 1745. Des conseillers militaires, tels les colonels John William Sullivan ou John Mac Donald et de nouveaux renforts militaires français sont également promis. Ce « Traité de Fontainebleau » reconnaît Charles-Edouard comme régent d’Ecosse, qualifie Georges Ier d’« ennemi commun » et appelle à des relations de « bon voisinage, amitié et alliance » entre le royaume de France et les Jacobites.
Charles-Edouard est rentré en vainqueur à Edimbourg, après la victoire de Prestonpans (41). Il poursuit sa course en Angleterre jusqu’à Derby, à un peu plus de deux cent kilomètres de Londres. Malgré les soutiens de la Brigade Irlandaise (« Irish Picquets ») du colonel Lally, de la Fitzjames Cavallerie, du Régiment Berwick, de la Compagnie Maurepas et de quelques canons, ses généraux, Georges Murray (42), Donald Cameron de Locheil (43), le Duc de Perth, James Drummond et son frère John accouru de France (44) ainsi que le représentant du clan Lovat (45), préfèrent une retraite prudente vers l’Ecosse. Le Marquis d’Eguilles proteste alors auprès du cabinet de Louis XV pour obtenir des soutiens plus substantiels contre « l’ennemi commun ». Certains clans, dont les Campbell, les Mac Kay et les Monroe, une partie des Gordon et des Fraser,… ont malheureusement pris parti pour les Hanovriens. Le rapport de force est devenu très défavorable à Charles-Edouard.
La traque de Charles-Edouard dans les Highlands dure près de six mois après la défaite sanglante des 36 régiments de Highlanders à Culloden, en avril 1746. Bonnie Prince Charlie, dont la tête a été mise à prix à la somme considérable de 30.000 Livres, échappe finalement aux troupes anglo-hollandaises du cruel Duc de Cumberland. L’un des épisodes les plus connus porte sur le déguisement féminin prêté fin juin par la belle et jeune Flora Mac Donald (1722-1790). Fait également prisonnier, Alexandre d’Eguilles sera relâché par le duc d’Albermale, suite en particulier aux démarches diplomatiques de Bachaumont. Les interventions des proches de son frère, le marquis d’Argens, Frédéric II lui-même et la reine douairière de Prusse, ne sont sans doute également pas restées sans effet favorable.
Après bien des péripéties, Charles-Edouard débarque discrètement du navire français « L’Heureux », à Roscoff, en octobre 1746. Une seule héritière, reconnue bien tardivement, Charlotte Wilkinshaw (46), la future Duchesse d’Albany (47), veillera sur ses derniers jours à Rome. Charlotte est la fille de Clementina Wilkinshaw, originaire de Glasgow, fréquentée à Paris. Il faut aussi mentionner les « affaires », supposées ou réelles de Charles-Edouard avec Mmes de Montbazon et de Talmond ainsi qu’avec Marie-Louise de la Tour d’Auvergne (1725-1793). Fille de la sœur cadette de Maria-Clementina Sobieska, Marie-Louise est la cousine germaine de Charles Edouard. Un enfant illégitime naîtra de leurs liaisons, le 28 juillet 1748 : Charles-Marie de Rohan. Charles-Edouard, déjà engagé auprès de Clementina Wilkinshaw dont il a eu une fille, Charlotte, cinq ans plus tôt, ne le reconnaîtra pas, si bien que cet enfant né des amours passagères de Charles-Edouard en France portera le nom de l’époux de Marie-Charlotte, Jules Hercule de Rohan…
En Ecosse, les terribles représailles du duc de Cumberland, le « boucher » des Highlands, après sa victoire de Culloden sur les Highlanders, s’exercent contre les clans ralliés à la cocarde blanche (48) des Jacobites. Les plus chanceux furent incorporés dans l’armée anglaise, d’autres furent exécutés ou encore envoyés dans les colonies : Antigua, Jamaïca, Cap Breton,… Le jeune fils de Georges II prend ainsi une terrible revanche, sur la défaite qu’il venait de subir à Fontenoy, l’année précédente. A l’époque, les actions décisives de la « Brigade Irlandaise » et du « Régiment Ecossais », sous le commandement du vieux Marechal de Saxe et d’un célèbre jacobite, futur maréchal de France et gouverneur du Languedoc, Charles O’Brien de Thomond, Colonel du régiment Clare (1699-1761), avaient provoqué la déroute des armées coalisées contre la France. Celles-ci étaient pourtant bien supérieures en nombre. Le Duc de Cumberland commandait les troupes alliées pour le compte de l’Angleterre, des Pays Bas, du Hanovre et de l’Autriche. Le duc disposait, entre autres, du régiment du clan Monroe le « Black Watch », créé en 1739, et dont le colonel Robert Monroe de Foulis (1684-1746) restera le premier chef emblématique.
La « Garde Noire », qui connaîtra diverses appellations jusqu’à aujourd’hui (42th Foot,…), marquera profondément l’histoire militaire de la Grande Bretagne et de ses colonies, jusqu’en 1997 à Hong Kong. Le régiment participera d’abord à la « pacification » honteuse (« clearences ») des Highlands, dans un contexte de prétentions exacerbées de la plupart des Lairds (tel Lord Stafford et la Comtesse de Sutherland), pendant les deux siècles qui suivront. Les évolutions économiques et sociales et le train de vie des courtisans à la Cour hanovrienne jouent un rôle déterminant pour vendre au meilleur prix ou convertir les terres en réserves de bétail (les fameux moutons « Cheviots » ou « Blackfaces » fournissant la laine des nouvelles manufactures textiles de Manchester) ou encore en terrains de chasse pour les aristocrates désœuvrés (« Deer forests »). Les Monroe de Novar feront appel à la puissance de feu du redoutable « Black Watch » contre leurs propres Highlanders lors de l’insurrection de 1792… mais conserveront leurs immenses possessions territoriales, jusqu’à aujourd’hui, avec l’accord du gouvernement de Londres.
Le second passage de Charles-Edouard en Avignon en 1749 et son errance européenne imposée par le gouvernement de Kensington à la recherche de nouvelles alliances et de postérité dynastique
La bataille de Culloden (16 avril 1746) a donc sonné la victoire définitive des Hanovriens sur les Stuarts. La monarchie parlementaire a éliminé les souverains de droit divin des terres britanniques. Les espoirs de restauration jacobite sur les trois royaumes disparaissent à jamais. Charles-Edouard se comportera désormais en fugitif, protégé de loin par la papauté, suivant les circonstances et les intérêts européens du moment. Benoit XIV (1740-1758), Clément XIII (1758-1769) puis Clément XIV (1769-1774) souhaiteront se concilier, simultanément ou successivement, les bonnes grâces de l’Empereur, de Louis XV, de Philippe V d’Espagne et de ses successeurs, ou même des Hanovriens. Ce n’est guère aisé… : « vaste programme » aurait dit notre grand Charles ! La lutte pour la reconquête des territoires de la couronne d’Espagne en Italie et la défense des Etats Pontificaux primeront sans conteste sur les querelles d’héritages britanniques dans les nouvelles préoccupations vaticanes.
Le dernier prétendant Stuart va errer de pays en pays, en commençant par la France. A Paris, il mène une vie mondaine. Il y deviendra vite « persona non grata », malgré les sympathies du Comte d’Argenson (49) et sans doute en raison de l’opposition persistante de Madame de Pompadour. Louis XV et son cabinet, sensibles à la pression diplomatique anglaise, cherchent à se débarrasser de ce trublion arrogant, sans le moindre ménagement. Ils le font arrêter à la sortie de l’opéra en 1748. La « Paix d’Aix la Chapelle», peu soucieuse des intérêts de la France et aux effets bien provisoires…, consacre la fin officielle et définitive du soutien français aux Stuart (50). Selon la formule de Louis XV, cette trêve durement acquise allait être négociée « en roi et non en marchand », pour ne pas dire, bradée... au détriment des intérêts de la France.
Le Roi n’acceptera de recevoir Charles-Edouard à Fontainebleau et à Versailles que pour lui dispenser quelques bonnes paroles, mais sans lui promettre de nouveaux soutiens militaires. C’était une attitude peu éclairée, alors que le long ministère Fleury (1726-1743) avait rétabli les finances de la France après les ruineuses campagnes de Louis XIV et les aventures financières de l’époque de la Régence. Une manœuvre de diversion aurait peut-être modifié le cours de la désastreuse guerre de sept ans qui allait enflammer plusieurs continents dix ans plus tard.
Blessé dans son honneur, Charles-Edouard part alors en Avignon pour quelques semaines au début de l’année 1749. Il y est accueilli par le vice-légat Pasquale Acquaviva d’Aragona (51). Appartenant à une famille très en cour à Rome, Acquaviva est neveu et petit-neveu de cardinal. Son patronyme est bien connu par la Curie romaine. Le vice-légat suivra fidèlement les instructions de Rome, laissant Charles-Edouard seul face à son destin, trouvant l’hébergement en Avignon du nouveau prétendant bien gênant, tant sur un plan politique que financier. Les Anglais, furieux de cette présence arrogante et désinvolte en terre papale, ne menacent-ils pas d’ailleurs de bombarder Civitavecchia ?
Le jeune Prétendant séjourne néanmoins à l’Hôtel d’Ancézune (52), où il retrouve Milady Inverness, veuve du comte Hay, ainsi qu’un autre de ses anciens précepteurs, James Murray, comte de Dunbar. Celui-ci restera en Avignon jusqu’à sa mort en 1770. Anobli par le « Vieux Prétendant », John Hay, Comte d’Inverness était, quant à lui, décédé en Avignon depuis 1740 : le médaillon ornant son tombeau est conservé au Musée Calvet. Sa veuve, Marjory, soupçonnée par Maria-Clementina d’être aimée de son royal mari, survivra plus de vingt ans au comte d’Inverness. Elle habitera également l’Hôtel d’Ancézune, jusqu’en 1768.
Sous la pression amicale mais déterminée du vice-légat, Charles-Edouard quitte donc rapidement Avignon le 25 février 1749. Les Hanovriens menacent toujours et encore le Pape de bouleverser, à son détriment, l’état des alliances européennes si le Vatican continue à soutenir la dynastie catholique des Stuart. Horace Mann, ambassadeur de Londres à Florence depuis 1740 est chargé, avec ses espions, de pourchasser Charles-Edouard sur tout le continent. Outre Avignon, l’errance de Charles-Edouard à travers l’Europe passe alors par Madrid, Venise, Anvers, Chambéry, Leipzig, la Pologne, la Suède, la Lorraine, les Ardennes, Liège et même Londres, où il se convertit, dit-on, à l’anglicanisme sans aucun bénéfice pour son avenir politique… La maîtresse de Charles-Edouard le suit fidèlement sous le nom de comtesse d’Alberstroff. Clémentine lui a donnée une fille, Charlotte, baptisée à Liège le 29 octobre 1753. La patience de Clémentine Wilkinshaw est cependant à bout du fait des excès de boisson et de la violence de Charles Edouard. Le vieux prétendant la prend alors sous sa protection sous le nom de baronne de Douglas.
A 79 ans, Jacques-Edouard rend le dernier soupir à Rome, le 1er janvier 1766. Clément III lui ménage des funérailles royales : tout vient à point à qui sait attendre… Après la veille de trois jours par les gardes pontificaux, vingt-deux cardinaux et cinq cents prêtres participent aux obsèques. Il rejoint ainsi avec les honneurs sa femme, la dévote et soupçonneuse, Maria-Clementina Sobieska, sous les coupoles de Saint Pierre, accompagné de son sceptre, de l’hermine et de la pourpre. Charles Edouard revient à Rome qu’il a quitté il y a 22 ans et lui rend un dernier hommage. Il se fait reconnaître par le Pape comme le nouveau souverain britannique, sous le nom de Charles III, au grand dam des hanovriens, de Walpole et d’Horace Mann.
Dans le duché de Bouillon, dans les Ardennes, chez les La Tour d’Auvergne, Charles-Edouard avait séduit sa cousine germaine. Il en résultera, à l’occasion d’une partie de chasse au château de Navarre, prés d’Evreux, à l’été 1747, selon l’expression anglaise imagée, une « issue » (heureuse). Ce fils naturel portera cependant le nom des Rohan… sans répondre aux besoins de descendance masculine des Stuart. A qui la faute ?
Tout est à recommencer et le temps presse !
A Berlin, un célèbre Jacobite écossais, Georges Marishal (53), tente - sans succès - de susciter une forme d’alliance entre la Prusse de Frédéric II et l’héritier de la dynastie Stuart contre les Hanovriens. Georges et son frère James Keith avaient également séjourné en Avignon du temps de Jacques-Edouard. Le Président Charles de Brosses, baron de Montfalcon, auteur des « Lettres familières », avait qualifié peu aimablement - et bien à tort - les Ecossais d’Avignon de « vieux ruinés » (54). C’est oublier la fortune des armes… et quelques beaux restes monétaires. L’enclave des Papes en terre française n’était, pour la plupart des Jacobites, qu’un refuge provisoire avant qu’ils reviennent aux métiers des armes, de la politique ou des affaires, à une échelle européenne sinon mondiale. A titre d’exemple, James Keith (55), qui avait participé, armes à la main, aux tentatives d’invasion de 1715 et 1719, comme son frère Georges, est passé aux services du Tsar Pierre II, avec le grade de Colonel. Il est par la suite devenu général dans l’armée prussienne de Frédéric II et sera Gouverneur militaire de Berlin. Il est tué, le 14 octobre 1758, pendant la guerre de sept ans, aux cotés du roi de Prusse, à la bataille de Hochkirch, en Lusace, contre les Autrichiens du Maréchal Daun. D’autres Jacobites encore exerceront grâce aux lettres de marque du roi de France le dangereux mais honorable et rentable métier de corsaires à partir de la côte ouest de la France, et de Saint Malo en particulier, ou encore des Caraïbes… Las, ceux-là n’ont même pas pris le temps de visiter la bonne ville d’Avignon !
Le mariage de Charles-Edouard, la comtesse d’Albany, ses amants florentins et son correspondant comtadin, le chevalier de Sobirat
Le Pape Clément XIII prend peu à peu ses distances vis-à-vis de Charles-Edouard à qui il reproche une (supposée ?) conversion à l’anglicanisme et une vie personnelle déréglée. Son successeur, Clément XIV, en 1769, adopte une attitude encore plus réservée, ce qui accentue cruellement la solitude familiale et morale de « Charles III ».
En France, cependant, les retournements diplomatiques s’accélèrent. A la mort de Madame de Pompadour, Madame du Barry a obtenu la disgrâce de Choiseul qui n’avait jamais caché son hostilité à l’égard des Stuart. Le nouvel homme fort, le duc d’Aiguillon, a une revanche à prendre sur les hanovriens depuis la guerre de sept ans. Il intègre très logiquement les Stuart dans sa stratégie d’affaiblissement de la perfide Albion. Il fait pression pour éloigner définitivement Clémentine Wilkinshaw de Charles-Edouard qui retrouverait ainsi sa liberté matrimoniale. Il fait rechercher pour lui une héritière à marier, digne du destin de restauration qui reprend des couleurs.
Charles-Edouard se marie en 1772 avec une Princesse dont la famille est originaire de Thuringe, Louise de Stolberg (56). Par sa mère, elle est alliée à de vieilles familles écossaises et à celle des comtes de Horne, de Bruxelles. Le « Jeune Prétendant » est malheureusement un homme usé de 52 ans, sa fiancée n’en a que 20… Bonnie Prince Charlie tient cependant à créer une descendance royale ! Ils n’auront hélas pas d’enfant et vivront à Florence, à partir de 1774. La jeune Louise se consolera des rudesses de son royal époux dans les bras du célèbre dramaturge Vittorio Alfieri. Charles-Edouard et Louise, comtesse d’Albany divorcent en 1783. Après la mort de Charles-Edouard en 1788, Louise et Vittorio tiendront un salon littéraire qui réunira les célébrités intellectuelles et artistiques de toute l’Europe à Paris jusqu’en 1791 (57).
La comtesse d’Albany entretient une correspondance assidue avec diverses relations qui apprécient son intelligence, sa finesse politique… ainsi que les mondanités parisiennes et florentines.
Ce sera le cas du chevalier de Sobirat, gentilhomme comtadin et fidèle sujet du Pape, qui répond régulièrement à sa correspondance pendant douze ans, de 1808 à 1820. Les Sobirat sont coseigneurs de Saint Didier et de Vénasque, au pied du Ventoux. La sœur de la comtesse d’Albany, la princesse Augusta de Stolberg, avait épousé en premières noces le fils naturel de Jacques II, le duc de Berwick. A son décès, elle se remarie avec le Prince de Castelfranco (1740-1815), d’origine napolitaine. Ce Prince, passé au service de l’Espagne était Capitaine Général du prestigieux régiment des « Gardes Wallones ». Il se trouve que le chevalier François de Sobirat appartenait à cette même unité et entretenait ainsi des liens d’amitié avec son Capitaine Général. La généalogie confirme, par ailleurs, que coulent dans le sang des Sobirat quelques gouttes écossaises, grâce à d’anciennes alliances avec la célèbre famille Chisholm. De cette proximité familiale et militaire va naître une amitié durable entre la comtesse et notre chevalier comtadin. Un heureux hasard d’affectation fit que le chevalier de Sobirat habita Florence jusqu’en 1807. Il retourne par la suite à Mazan, dans le Comtat Venaissin, d’où il écrira régulièrement à la comtesse, qui lui répondra fidèlement. Certains se demandent si la comtesse d’Albany ne lui a pas rendu visite alors qu’elle séjournait en Avignon en 1822. Ce qui est sûr, c’est qu’elle fréquentait en Provence le baron de Castille, le marquis d’Arbaud… et quelques autres notoriétés anti-bonapartistes d’Avignon, d’Aix ou de Carpentras. Les lettres échangées commentent ses lectures plutôt éclectiques : Fénelon, Ancillon, Pétrarque, Chateaubriand, Saint Augustin, Racine, Bossuet, Massillon, Saint Simon, et aussi Mmes de Genlis et de Stael… La comtesse d’Albany s’informe, à l’occasion, des vendanges de Châteauneuf du Pape, elle vante le climat de Barcelone, elle condamne sans appel les Parisiens et la capitale, la grande Babylone du Nord ! Elle recommande à Sobirat de se marier… En revanche, pas un mot dans toute cette correspondance sur la mémoire de feu son mari, Charles-Edouard, le roi d’Angleterre « Charles III » de qui elle tient son nom de comtesse d’Albany.
Suite aux conquêtes italiennes de Napoléon, Louise n’hésite pas à exprimer de virulents sentiments anti-bonapartistes, à la manière de Madame de Staël, dont elle est amie. A la formule de Napoléon « J’ai quatre ennemis, l’Angleterre, l’Autriche, la Prusse et Madame de Stael », on peut ajouter, sans hésiter, le nom de la comtesse d’Albany. On est loin des premières intrigues matrimoniales de Choiseul à visées anti-hanovriennes…
Le compagnon de la comtesse d’Albany, Vittorio Alfieri, sera l’un des inspirateurs du Risorgimento qui fera de l’Italie une république. Au décès d’Alfieri, en 1803, et après vingt-six ans de vie commune avec le célèbre dramaturge italien, Louise fait sculpter par Antonio Canova (1757-1822), sur la recommandation de François-Xavier Fabre, le superbe tombeau qui sera placé à Santa Croce. Louise succombe alors, pour un temps, aux charmes du jeune poète italien Ugo Foscolo. Sa préférence ira finalement au peintre François-Xavier Fabre (58) qui deviendra son légataire universel. Le portrait de Louise, peint en 1812 par Fabre, est conservé au Musée Fabre de Montpellier, comme ceux d’autres habitués de ses salons, telles Ladies Holland et Chalmont. L’hôtel de Massilian, restauré en 1825, abritera ces premières collections, qui seront récemment (2010) complétées et mises en valeur par le département des arts décoratifs installés dans l’hôtel de Cabrières-Sabatier d’Espeyran, patronymes bien connus en Avignon.
En dépit de ces amours successifs, Louise conserve son titre de Comtesse d’Albany, bien qu’elle n’ait pas engendré le dauphin d’Ecosse, tant espéré par certains et puissamment redouté par d’autres. Peu regardante sur l’origine des fonds, elle bénéficiera de pensions importantes, en particulier grâce à l’action de son beau frère, Henry, le Cardinal d’York, avec qui elle n’avait pourtant pas entretenu des rapports bien cordiaux. Georges III d’Angleterre l’honorera d’une rente, du chef des avoirs anglais de la reine Marie de Modène, et ceci jusqu’à son décès.
Les trois derniers Stuart, incarnation redoutée du complot papiste contre le pouvoir anglican et nationaliste à Londres
Suivant de peu Guillaume de Normandie en Angleterre (Hastings, 1066 ; Monmouth, 1102) les premiers Stuart, issus de la petite noblesse bretonne, auront régné, en partie ou en totalité, sur les îles britanniques pendant près de quatre siècles. La dynastie comptera quinze souverains depuis Robert II d’Ecosse, couronné à Scone en 1371. Originaires de Dol-de-Bretagne, près du Mont Saint Michel, ils s’établiront en Angleterre puis en Ecosse et sauront s’allier avec la plupart des dynasties européennes malgré - ou en raison - des tribulations de l’histoire. La littérature a retenu la figure emblématique de la très catholique Marie Stuart : dauphine et reine éphémère de France, reine d’Ecosse et prétendante malgré elle à la couronne d’Angleterre, elle sera décapitée en 1587 sur ordre de sa cousine Tudor, Elisabeth 1ère, Reine d’Angleterre. Proche par sa mère, Marie de Guise, du parti catholique français, elle laissera à ses successeurs, en commençant par son fils (Jacques VI d’Ecosse et Jacques Ier d’Angleterre), le soin de réunir sur leurs têtes, certes de façon provisoire, les trois couronnes d’Angleterre, d’Irlande et d’Ecosse. Mais, avec quelle confession religieuse et quel régime politique ce regroupement « britannique » devait-il se produire ?
L’histoire n’a tranché ce nœud gordien, dans le sang, qu’au XVIIIème siècle.
Contrairement à une idée largement répandue, la foi catholique des derniers Stuart a connu des épisodes plus que variables. Ainsi Charles II, prédécesseur de Jacques II, ne s’est converti au catholicisme que sur son lit de mort, en dépit de ses engagements pris envers Louis XIV au traité de Douvres de 1670, quinze ans plus tôt… Cette conversion constituait en effet la contrepartie diplomatique d’une forte pension tirée sur le Trésor français qui devait rester secrète à l’égard des sujets britanniques…
De son côté, Jacques II d’Angleterre, marié deux fois, reconnaissait sept enfants illégitimes avec onze maîtresses, dont quatre enfants Fitzjames avec Arabella Churchill (1648-1730). La performance peut paraître faible au regard de 38 maîtresses du Régent de France… Comme on le sait, le record en la matière est pulvérisé par le roi bien-aimé, Louis XV, surtout si l’on tient compte aussi de la fécondité des habituées des « petits soupers » et que l’on ajoute enfin les rejetons royaux des « petites maîtresses » du Parc aux cerfs (Marie Louise O’Murphy, par exemple). Malgré - ou peut-être en raison - de ces écarts de conduite par rapport à la morale catholique, Jacques II se révèlera confit en dévotion sur la fin de sa vie. Il fait alors des séjours fréquents au monastère de la Trappe auprès de l’abbé de Rancé que Chateaubriand, autre repenti tardif, rendra célèbre par ses écrits de pénitence. Jacques II devient sur le tard un familier des religieuses de la Visitation de Chaillot et des Jésuites de la rue Saint Antoine à Paris. Dans cet étrange contexte, certains familiers de la cour jacobite de Saint Germain en Laye mentionnent perfidement l’atmosphère de bigoterie qui régnait autour de la famille royale, telle que l’a peinte, unie et apaisée, Pierre Mignard en 1694. Après son décès, Jacques II fera l’objet d’un procès en béatification qui n’aboutira pas. Quant à sa femme, Marie de Modène, elle est enterrée en 1718 dans les habits de l’ordre de la Visitation auquel elle souhaitait appartenir avant son mariage.
Jacques III est resté fidèle à son baptême catholique voulu par ses parents. Son attitude lui vaudra la protection vaticane, à des degrés variables, en Avignon, à Urbino, Bologne et Rome. Par ailleurs, il jouira de la bienveillance généreuse de son cousin germain Louis XIV ainsi que des bénéfices d’une épouse polonaise fort richement dotée.
En revanche, ses deux fils connaîtront des évolutions religieuses contrastées. Si la conversion de Charles-Edouard à l’anglicanisme reste à l’état de soupçon, la carrière d’Henri s’effectuera au plus haut niveau de la sphère catholique : camerlingue, cardinal et évêque de Frascati. Il jouit par ailleurs de nombreuses prébendes qui lui permettent d’amasser une fortune colossale. Curieusement, à la fin de sa vie (1807), il lègue au monarque hanovrien Georges III ses biens et les 100.000 pièces d’archives de la dynastie Stuart, dernier aller-retour entre la Rome des Stuart et Londres.
L’une des principales décisions du Parlement de Westminster, au début du XVIIIème siècle, visait à imposer définitivement la religion anglicane, indépendante de Rome, aux monarques d’Angleterre, ainsi qu’à leurs officiers et à leurs fonctionnaires, par l’« Act of Settlement » de 1701. Au décès de la Reine Anne, en 1714, Georges 1er (1660-1727), luthérien, fils ainé de Sophie de Hanovre (1630-1714) (59) et petit fils d’Elisabeth Stuart (1596-1662), l’épouse de l’électeur palatin, Frédéric V est sur les rangs. Sophie vient de décéder et son fils accède ainsi, par défaut, au trône d’Angleterre. Il ne parle pas anglais et séjourne rarement à Londres, le plus souvent accompagné de son amante, Mélusine von der Schulenburg. C’est un excellent soldat qui a participé à la lutte contre le Turc au siège de Vienne en 1683. Les Hanovriens, luthériens convaincus, devront donc faire allégeance à l’église anglicane et se convertir en bonne et due forme à une nouvelle forme de protestantisme :c’est le prix à payer pour une couronne qui sera amorti sur plusieurs siècles.
En définitive, l’unité du royaume britannique s’est construite sur - ou plutôt contre - le mythe du complot papiste, lequel était supposé ramener, avec un monarque catholique, incarné par les Stuart, l’absolutisme à Westminster. Les considérations économiques et financières n’étaient pas étrangères au comportement des différents protagonistes. Dès le XVIème siècle, la Cour de Londres et la « gentry » supportaient mal les fastes d’une Eglise catholique plus riche que l’Etat… et que leurs propres familles. Les souvenirs de l’excommunication d’Henri VIII et des transferts massifs de propriété des monastères catholiques au profit des Lords, étaient encore vivaces aux XVIIème et XVIIIème siècles... Dés 1534, le parlement avait soutenu Henri VIII en entérinant la rupture de la nation anglaise avec le Vatican. Les membres de l’establishment sont devenus les principaux bénéficiaires de ce mouvement d’émancipation religieuse, économique et sociale. Les réactions brutales antiprotestantes de sa fille, issue de son premier mariage avec Catherine d’Aragon, la très catholique Marie Tudor (« bloody Mary ») ne modifieront pas le cours de l’histoire. Sa demi-sœur, la reine protestante Elisabeth 1ère, rétablira, avec son secrétaire d’Etat William Cecil, l’hégémonie de l’église anglicane en confirmant ses privilèges exclusifs.
Le « Bill of right » anglais de 1689, l’un des quatre socles de la constitution coutumière anglaise, ne dresse-t-il pas l’inventaire de tous les griefs religieux adressés par ses adversaires à Jacques II le catholique ? Les Membres de ce parlement n’étaient-ils pas toujours plus avides de reconnaissance sociale, de propriétés foncières et de richesses commerciales ? Ce sera le début prometteur de la monarchie parlementaire d’une Grande Bretagne anglicane, commerçante et fière de sa toute nouvelle Banque d’Angleterre, animée par l’esprit d’entreprise et l’expansion coloniale face aux puissances continentales.
Après l’acte d’union avec l’Angleterre, l’Ecosse reste à majorité presbytérienne, fidèle à la réforme de John Knox et à la « Kirk of Scotland ». Les épiscopaliens ont droit de cité, mais les catholiques sont définitivement minoritaires et émigreront rapidement vers des cieux plus cléments. Il en résulte des clivages définitifs dans certains clans, tels les Monroe de la région d’Inverness et de Cromarty. La branche catholique minoritaire émigrera et se réclamera d’un ancêtre, que certains veulent « mythique », Ulysse Monroe. On retrouve les traces de sa nombreuse descendance, en Autriche, en Prusse et surtout en France, dans les régions de Lyon et d’Avignon. Dans cette dernière ville et dans le Comtat Venaissin, les Monroe seront alliés, au cours de générations successives, aux familles de vieille souche, telles les Amic, Aubanel, Aulan, Baroncelli, Bonnet, Bouzanquet, Cassin, Charavin, Girardon, Julian, Lagier, Meynier, Michel-Bechet, Siaud, Vincenti,… Il en résultera de prolifiques cousinages que les arbres généalogiques peinent parfois à retracer.
Certaines personnalités de cette branche catholique connaîtront des carrières militaires brillantes, y compris au cours de la seconde guerre mondiale, dans les Forces Françaises Navales Libres (FFNL) organisées par le général de Gaulle, à partir de Londres. Ce sera le cas du futur amiral Robert Girardon (1917-2003), originaire de Vedène, près d’Avignon. En tant que capitaine de corvette, il rallie, comme plusieurs de ses frères, le général de Gaulle en Angleterre, dès Juin 1940. Sur le contre-torpilleur français « Le Triomphant », il participera, avec son équipage sous le commandement du futur amiral Auboyneau, à la guerre navale du Pacifique jusqu’en 1942, avant d’être affecté à l’Etat major des FNFL à Londres puis à l’Etat Major Général de la France Libre à Alger. Il poursuivra sa carrière dans la Marine Nationale en Indochine, dans l’Océan Indien et l’achèvera comme inspecteur général des armements nucléaires français en 1976. L’amiral Girardon (1917-2003) sera le dernier président des FFNL. Ses funérailles auront lieu à la chapelle de l’Ecole Militaire de Paris.
Quant à l’Irlande, elle sera partagée entre la région de Belfast, l’Ulster, farouchement orangiste et protestante, et le reste de l’ile, majoritairement catholique, considérée pendant longtemps par Londres comme une colonie à exploiter. On connait les drames humains qui en résulteront : émeutes, émigrations, famines,… jusqu’à notre XXIème siècle commençant.
Les derniers feux des Stuart, déclins et renaissances d’une diaspora mondiale
En dépit du soutien déclinant de la papauté et de la France, les trois derniers Rois Stuart, Jacques II, Jacques III et Charles III n’ont pas pu - ou su - maîtriser les évolutions religieuses et sociales de leur époque, associées à l’ambition politique et à la cupidité foncière, financière et marchande prévalant à Londres. Ils ont été victimes d’une conception de l’histoire qui néglige les intérêts croisés des conquêtes territoriales, de l’enrichissement commercial et des aspirations sociales de leurs sujets les plus actifs. Leur légitimité, d’origine religieuse et dynastique, ne correspondait plus aux nouvelles théories de l’Etat issues des Lumières, telles que les exprimaient, entre autres, John Locke (60) et Lord Shaftesbury (61), puis David Hume (62) en Ecosse. La dynastie des Stuart, du fait de leur conception de la monarchie de droit divin, ne pouvait accepter l’endettement de l’Etat, la versatilité des partis politiques et leurs obscures intrigues. Grâce à leur quiétude, Avignon et le Comtat Venaissin auront été, pour quelques temps seulement, le refuge idéal pour eux-mêmes et pour certains de leurs partisans, face à l’hostilité de leurs adversaires. Plus que le retour des Stuart sur leurs trônes, les alliances européennes prenaient en compte les enjeux territoriaux liés aux successions royales, les intrigues courtisanes, voire les agitations d’alcôves…
Charles-Edouard n’a pas résisté aux revers qui s’abattent sur lui à partir de Culloden. Il sombre dans l’alcoolisme, séduit par les charmes du vin de Chypre, tant vanté en son temps par Richard Cœur de Lion. Sa santé déclinera rapidement à partir de 1785 et de son dernier séjour à Rome.
« Vae victis » : « Malheur au vaincu ». En effet, à la même époque, le vieux duc de Cumberland soignait sa santé chancelante en Avignon et résidait à l’hôtel Crillon. Ce magnifique bâtiment (actuellement : 7, rue du roi René) avait été édifié en 1648 pour Louis III de Berton, baron de Crillon. Le duc de Cumberland était reçu par l’avant dernier vice-légat du Pape, Jacques Filomarino delle Rocca (1776-1787), avec le plus grand faste, le 10 novembre 1785, dans la salle des fêtes de la Mirande, en présence de la fine fleur de la noblesse avignonnaise. La Mirande avait été construite pour le cardinal de Clermont-Lodève en 1518 : elle complétait agréablement les appartements des vice-légats lorsqu’ils logeaient au Palais des Papes. En Avignon, aussi, la dynastie hanovrienne triomphait, mais la révolution française allait, dix ans plus tard intégrer la ville d’Avignon à la France et supprimer les privilèges de la noblesse, y compris d’origine vaticane.
Charles-Edouard meurt un 30 janvier 1788 - jour anniversaire de la décapitation de son aïeul Charles 1er à Londres - dans les bras de sa fille naturelle, Charlotte Wilkinshaw, à qui il avait donné sur le tard le titre de Duchesse d’Albany. Charlotte a déjà trois enfants des œuvres de son amant, le Prince cardinal Ferdinand de Rohan, frère cadet du Marie de Louise de Montbazon : on reste en famille… mais seul Charles-Edouard est ignorant de tout… puisqu’on lui cache tout ! Le destin lui épargnera aussi de connaître la révolution française. Le cardinal d’York le fait enterrer dans sa cathédrale de Frascati. Comme disent nos amis italiens, son destin n’aura jamais permis à Charles Edouard d’être : « la persona giusta al posto giusto ».
Son frère, le cardinal Henry, de retour d’un exil napolitain, puis grec et autrichien, à la suite des avancées napoléoniennes en Italie, décèdera en 1807, à vingt kilomètres de Rome, dans son palais de Frascati. Il y réside encore, bien qu’il soit aussi archevêque d’Ostie. Il n’aura pas fait valoir la moindre prétention aux trônes d’Angleterre et d’Ecosse, laissant la voie définitivement libre aux Hanovriens. Il est vrai que Georges III lui a alloué une pension de 4.000 livres… sans lui restituer l’intégralité de la dot de sa grand-mère, Marie de Modène.
En accord avec le Pape - tout danger de restauration étant désormais écarté - et grâce aux finances du futur Georges IV d’Angleterre, le célèbre Canova sculpte, en 1819, le superbe tombeau de Jacques III le « vieux Prétendant » et de ses deux fils, pour la basilique Saint Pierre de Rome, avec l’inscription suivante :
« Ci-gisent Jacques III fils de Jacques II, roi de Grande Bretagne, Charles-Edouard et Henri, Doyen du collège des Cardinaux, fils de Jacques III, dernier de la lignée des Stuarts ».
A vrai dire, le cœur de Charles-Edouard est resté dans le monument funéraire de la cathédrale de Frascati…
Charlotte, duchesse d’Albany, meurt d’un cancer un an seulement après son père, en 1789 à Bologne, sans avoir revu sa mère et ses enfants. Elle n’a que trente six ans et n’aura guère profité de l’héritage des Stuart. Louise de Stolberg, comtesse d’Albany, s’éteint, quant à elle, en 1824 et fait de son bon ami, le peintre François-Xavier Fabre, son légataire universel.
De passage à Saint Germain en Laye, en 1855, la Reine Victoria (1819-1901) s’inclinera devant les restes de Jacques II. Saisie d’un accès de générosité, quelques années auparavant, elle avait financé, sur ses deniers, un mausolée qui porte l’inscription : « Regio ceneri, pietas regia » : « Aux cendres d’un roi, la piété royale ». On ne pouvait mieux signifier au gotha européen la captation officielle et définitive d’un héritage moral : celui d’une dynastie éteinte au profit d’une reine au sommet de sa puissance impériale.
Après la révolution française, la plupart des familles jacobites quittent Avignon. Elles connaîtront de brillants succès dans le commerce, l’industrie et le métier, des armes de par le monde. Les anciens partisans de Stuart vont tenter leurs chances en Europe, en Amérique, ou en Inde et en Extrême Orient, et plus tard en Australie ou en Nouvelle Zélande. On retrouve leurs traces sur les cinq continents jusqu’à aujourd’hui. Ils rejoignent les membres de plusieurs vagues d’émigrations écossaises plus précoces. Ce sera le cas en particulier pour certains Highlanders jacobites, après 1746, dans les colonies anglaises d’Amérique : Virginie, Caroline du Nord et du Sud, Géorgie,…
Au XXIème siècle, les chefs de clan organisent des réunions périodiques (« gatherings ») en Ecosse pour réunir des descendances qui ont parfois gardé la religion de leurs ancêtres. Les Lairds qui ont fait allégeance aux Hanovriens ont, pour certains, conservé leurs terres, leurs châteaux et leurs fortunes. Celles-ci sont parfois considérables, grâce aux « acts of attainder », qui ont permis les saisies des fiefs des clans qui avaient combattu avec les Jacobites. Ainsi, les Lord Seaforth et Elcho seront-ils notoirement dépossédés par les Monroe de Foulis après 1746 et la défaite de Culloden. Les terres du baron aveugle Robert Monroe n’avaient-elles pas été ravagées lors des insurrections jacobites ? Tout a un prix… dans ce bas monde !
Le refuge avignonnais et comtadin, bénéficiant de la stabilité des structures vaticanes et romaines, aura permis de laisser au temps de faire son œuvre. Catholiques, Episcopaliens, Presbytériens et Anglicans, descendants des anciens Lairds ou victimes des Clearances ou encore des enrôlements de force dans les armées européennes, boivent désormais ensemble les mêmes « single malts »… en portant les toasts traditionnels, en fin de repas, aux Stuart d’antan… sur un flacon d’eau fraiche : « Long life to the King over the water » !
Ainsi peut-on se réjouir aujourd’hui que tous rendent durablement les honneurs, d’une même voix, mais rarement dans la même langue et sans convictions religieuses uniformes, au feu « Roi d’au-delà des mers », grâce à une solidarité transnationale originale. Sans doute s’agit-il d’une forme efficace de réseaux sociaux des temps modernes qui n’a pas attendu l’avènement des nouvelles technologies de l’information pour s’épanouir.
Vents contraires aux ambitions des Stuart? Trahisons chez les Jacobites? Hasards ou nécessités en Europe au XVIIIème siècle? De multiples questions aux réponses de plus en plus controversées… qui invitent nos contemporains à réécrire l’histoire à partir de nouvelles perspectives
L’histoire des Stuart est remarquablement documentée. Outre les archives du cardinal d’York, les documents laissés par Charles-Edouard à la duchesse d’Albany sont parvenus, après bien des péripéties à Windsor, à l’initiative du Prince-régent, le futur Georges IV. Leur ensemble forme la précieuse collection des « Stuart papers », forte de 541 volumes. Les accès informatiques facilitent les recherches. En France, il reste peu de choses des archives du Collège des Ecossais, dépositaires des documents fournis par Jacques II en 1701 et 1702. La révolution française est passée par là… L’histoire jacobite a fait, par ailleurs, l’objet d’une littérature historique et romanesque impressionnante (63). Les « Jacobite Studies » prospèrent, notamment en France, grâce, entre autres à Mr Edward Corp et à Mme Genet-Rouffiac, en Grande Bretagne, grâce à Lady Cruickshanks et Paul Monod, ainsi qu’aux Etats Unis et dans les multiples pays de la diaspora… Les différences de points de vue sont ainsi garanties, significatives et enrichissantes.
C’est encore trop peu le cas en Provence en général, dans le Comtat et en Avignon. Les sources sont loin d’être épuisées et de multiples interprétations se font jour peu à peu en ce qui concerne les motivations et les comportements des divers acteurs à divers moments et en différents lieux. Le dernier représentant reconnu de la dynastie, Henri, le Cardinal d’York, frère de Charles-Edouard, n’a pas eu de descendance. Il a confié, trop docilement, l’essentiel des actes officiels et les correspondances en sa possession à la dynastie régnante à Londres, les Hanovriens, qui les conservent également au château de Windsor. Les archives vaticanes n’auraient-elles pas pu faire aussi bien l’affaire pour un cardinal ?
Une relecture globale de cette masse considérable d’informations, de première ou de seconde main, s’impose désormais pour tenir compte des rapides progrès de l’heuristique contemporaine et de ses outils les plus performants. Nul doute que de nouvelles interprétations apparaîtront, à partir de perspectives originales, chez de jeunes chercheurs de diverses origines. Notre approche vise à mettre en lumière les « pratiques royales » singulières des Stuart au XVIIIème siècle. Précisons que nous ne nous réclamons pas des théories de Foucault en la matière, y compris quand elles ont été reprises, sous des formes plus élaborées, dans ses enseignements au Collège de France, par notre voisin et ami Paul Veyne (« Comment on écrit l’histoire », 1971). En revanche, les autres références de Paul Veyne à ses maîtres, Dilthey, Max Weber et ses réflexions sur les jugements de valeur des historiens me paraissent fécondes. Si certains cadres méthodologique devaient être évoqués de notre part, ils seraient plus proche, de l’historien marseillais André-Irénée Marrou (« De la connaissance historique », 1954), de Marc Bloch (« Esquisse d’une histoire monétaire de l’Europe » et de René Girard (en liaison avec les travaux de l’Association de recherches mimétiques). Dans une moindre mesure, Arnold Toynbee (« L’histoire et ses interprétations, entretiens autour d’Arnold Toynbee », 1961) reste une autorité pertinente à mes yeux en la matière.
Nos analyses économiques et sociales privilégient les conceptions d’A. Schumpeter, de W. Baumol et de J. Ullmo, et plus récemment du prix Nobel Robert Shiller, pour interpréter les comportements des acteurs face aux contraintes et aux opportunités de leurs environnements spécifiques.
Ma grille d’analyse et mes efforts de synthèse, dans la limite de la perspective spécifique que j’ai retenue, s’inspirent aussi de Paul Ricoeur (« L’histoire, la mémoire et l’oubli ») : il ne doit pas y avoir abus de mémoire ou d’oubli, mais recherche permanente de l’équilibre entre amnésie et amnistie. Dans une certaine mesure aussi, les débats survenus à propos de l’œuvre récente d’Ernst Nolte avec Jürgen Habermas (« Historiker Streit » des années 1990 et présentation des Europäische Bürgerkriege ») nous paraissent significatifs pour notre sujet. Comment ne pas citer enfin Pierre Nora (ses essais écrits entre 1977 et 2013 : « L’histoire, la liberté, l’action ») dans ses recours lumineux aux « lieux de mémoire » ? Les « leçons indiennes » actuelles sur l’histoire « connectée », telles qu’elles sont données ces dernières années par Sanjay Subrahmanyam au Collège de France sont enfin prometteuses. A mon avis, il est cependant indispensable de dépoussiérer cette « dernière » approche d’un certain « marketing sémantique » en vue de s’en tenir à l’essentiel : la volonté de briser les frontières de toutes sortes pour multiplier les éclairages à partir de mines d’information qui s’apparentent aux « big data », lesquels méritent et justifient des « screenings » croisés, critiques et novateurs. Pour revenir aux concepts chers à Jacques Le Goff, la multiplication des travaux concernant notre sujet devrait aboutir à considérer, non seulement qu’il y a eu une « culture Stuart » impliquant les idées d’utilité sociale, de sécurité et de création de richesse, mais encore une « civilisation Stuart » reposant sur des valeurs essentielles de type esthétique et spirituel, pendant plusieurs siècles en Europe. A titre d’illustration récente, les travaux et la méthodologie de Kevin Kruse de Princeton University à propos des Etats Unis (« One Nation, One God », 2015) me paraissent dignes d’intérêt et féconds par rapport à la perspective de la présente étude.
De laborieuses comparaisons ont été effectuées entre les sorts des deux monarchies de droit divin, les Bourbon et les Stuart. Avec plusieurs décennies d’avance pour les Stuart, les chutes de ces deux dynasties séculaires paraissent, pour certains, similaires, mais en première analyse, seulement :
- Les décapitations des rois Charles Ier (1649) à Londres et Louis XVI (1793) à Paris, sur ordre de tribunaux d’exception, après des jugements sommaires
- L’instauration d’un régime républicain à tendance dictatoriale avec Cromwell (« Commonwealth », « dominions » et « Protectorat », …), d’une part et la révolution jacobine puis l’Empire napoléonien à visées européennes (confédérations, républiques,…) d’autre part
- Les restaurations provisoires des dynasties avec Charles II (1660-1685), puis avec son frère Jacques II Stuart (1685-1688) d’un côté de la Manche, les couronnements de Louis XVIII (1815-1824) et de son frère Charles X (1824-1830), pour les Bourbon, de l’autre côté
- Les derniers espoirs liés aux « enfants du miracle », selon la belle expression de Lamartine : Jacques-Edouard, né en 1688, restera un prétendant au décès de Jacques II (1701) comme le comte de Chambord, né en 1820, prétendant à la couronne de France de 1844 jusqu’à son décès en 1883.
- Les dernières tentatives menées par Charles-Edouard (1745) à partir de la France et par la duchesse de Berry (en 1832) à partir de l’Ecosse (Holyrood), où elle s’était réfugiée avec sa famille.
Cette présentation simplificatrice se heurte, à mon avis, à quelques objections fondamentales :
- Il y a prédominance du contexte économique, politique et religieux en terres britanniques (aspirations marchandes, antipapisme et mouvements protestants divers) alors qu’émerge avant tout la question sociale en France (justice, droits de l’homme et du citoyen)
- De véritables projets politiques sont conçus dans le cadre d’un code civil, par le Napoléon d’après l’an II, pour l’Europe, à l’apogée des lumières, alors que les abus dictatoriaux de Cromwell en Angleterre, en Ecosse et en Irlande favorisent la guerre civile sur la base d’une hégémonie religieuse à visée nationaliste au seul profit d’un establishment jaloux de ses privilèges.
- Les nombreuses victimes du fait des guerres civiles britanniques sont bien antérieures à la « glorieuse révolution » de 1688 alors que les crimes de la « Terreur » sont consécutifs à la révolution française de 1789.
Selon nous, la compréhension globale des situations politiques repose, en dernière analyse, sur les motivations profondes des principaux acteurs, interprétées à la lumière des mentalités évolutives des différentes composantes des sociétés concernées, eu égard à leurs perspectives économiques, religieuses et sociales. Ce travail exige l’appréciation réaliste des marges de manœuvres effectives des personnalités et des groupes qu’ils constituent.
Derniers hommages aux Stuart, Jacques, Jacques-Edouard et Charles-Edouard
L’ambiance d’intrigues, de secrets et d’espionnages qui caractérise la cour des Stuart en exil favorisait complots et trahisons. Face à cet environnement plus que mouvant, les trois derniers Stuarts se sont certes inclinés, chacun à sa manière, mais seulement après de multiples et courageuses tentatives de restauration pendant un siècle, de la glorieuse révolution de 1688 à la mort de Charles-Edouard en 1788. A côté des conflits dynastiques armés qui concernent directement le Royaume uni, il ne faut pas sous-estimer les effets désastreux d’obscures conspirations, le plus souvent non souhaitées par les trois monarques. Ces initiatives malheureuses auront alimenté bien des fantasmes politiques sur le territoire britannique. En définitive, aucun d’entre eux n’a disposé, aux moments favorables, des alliances diplomatiques et des appuis militaires à la hauteur des enjeux qui auraient pu modifier le destin politique de l’Europe… à partir d’Avignon et de Rome.
Ainsi, les derniers Stuart, malgré leurs manœuvres politiques infructueuses sur un échiquier européen dont ils étaient devenus des pièces mineures, ont manifesté, à titre personnel, des talents exceptionnels dans un siècle de luttes fratricides et de retournements incessants des alliances entre les grandes puissances européennes:
- En exil en France, le Duc d’York, futur Jacques II, avait servi dans les armées françaises de 1652 à 1658. Turenne avait vanté sa conduite à la bataille des Dunes (1656) pendant la guerre franco-espagnole. Sous le règne de son frère Charles II, le Duc d’York était Grand Amiral d’Angleterre et modernisait la Navy en inventant de nouvelles techniques de combat. Il formalisait les instructions nautiques, restées des modèles de guerre navale, pour les capitaines de vaisseaux. Il participait personnellement aux combats sur mer contre le redoutable amiral hollandais de Ruyter. Ainsi, sur le « HMS Prince », sur lequel le jeune John Churchill faisait ses premières expériences navales, il résistait aux attaques néerlandaises à la bataille navale de Solebay (1672). Il a donné son nom à la ville de New York au grand dam des Hollandais qui perdaient ainsi leur nouvelle et prometteuse colonie américaine : New Amsterdam (64).
- Jacques-Edouard, incorporé dans l’armée royale de Louis XIV à vingt ans, se comportait de façon exemplaire à la bataille de Malplaquet (65), faisant l’admiration du Marechal de Villars (66), futur Gouverneur de Provence (67) qu’il allait rencontrer par la suite en Avignon. Cette bataille décisive contre le célèbre Malborough barrait la route de la France et de Paris aux troupes anglaises. Entre 1708 et 1710, il s’était aussi illustré à Audenarde puis à Douai, pour le compte du Roi-Soleil.
- Charles-Edouard a conduit, à vingt cinq ans, les contingents de Highlanders et les renforts français pendant près de quinze mois dans des conditions éprouvantes, menaçant la ville de Londres elle-même. La coordination de ses généraux sur le terrain constituait un défi de tous les instants : les trahisons se multipliaient au gré des saisons, des ambitions personnelles et des ralliements politiciens et religieux de divers bords.
En dépit des tentatives répétées de restauration, les soutiens diplomatiques et financiers du Vatican, de la France et parfois de l’Espagne, joints aux charmes provisoires du refuge avignonnais, n’auront pas suffi à inverser le sens de l’histoire en faveur des derniers Stuart. En revanche, leurs partisans prospéreront durablement (68) de par le monde. Leurs descendants ont fait résonner dans les allées du pouvoir, de l’industrie et du commerce international, les noms de nombreuses familles jacobites d’origines anglaises, écossaises et irlandaises (69), de différentes confessions : une minorité pleine d’avenir sera passée par Avignon et le Comtat Venaissin au XVIIIème siècle.
Gérard Valin
Docteur en lettres - Membre de l’Académie de Vaucluse
« Montre ta puissance, destin ! Nous ne sommes pas les maîtres de nous-mêmes, ce qui est décidé doit être, et qu’il en soit ainsi ! »
William Shakespeare
« La société des Jacobites a disparu, et, avec elle, sans aucun doute, d’absurdes préjugés politiques ; mais ont aussi disparu les vivants exemples d’une fidélité désintéressée aux principes de loyauté que ces hommes avaient appris de leurs pères, et des vieilles coutumes écossaises : la foi, l’hospitalité, le courage et l’honneur. »
Walter Scott (Waverley)
« Le départ des Jacobites fit aussi germer l’idée d’un régime constitutionnel dont l’influence sera considérable au XVIIIème siècle. Les partisans de Jacques II jouèrent un rôle politique et économique fort important tout au long de la période des lumières. »
Emmanuel Leroy-Ladurie
Notes
(1) Alamanno Salviati (1669-Florence ; 1733-Rome), Cardinal en 1730/Santa Maria in Coelis a été Vice-légat d’Avignon de 1711 à 1717. Jusqu’en 1693, les vice-légats dépendaient d’un Légat qui résidait le plus généralement à Rome. A partir de cette date, ils sont placés sous l’autorité d’une commission cardinalice, appelée : « Sacrée congrégation d’Avignon ».
(2) Gianfrancesco Albani (1649-1721), 243ème Pape (1700-1721), sera, dans un premier temps, l’un des pontifes les plus favorables aux Jacobites. Il rédigea la bulle « Unigenitus » en 1713 contre le jansénisme. Le Régent sera suspect, à ses yeux, de compromission avec le milieu janséniste, ce qui nuira, par la suite, à la bonne entente des partisans de l’abbé Dubois avec les milieux jacobites. Il est le promoteur de la ligue européenne contre les Turcs. Son successeur, Innocent XIII (1655-1724), 244ème Pape (1721-1724) soutiendra également la cause jacobite. il acceptera de mettre en cause l’action des Jésuites auprès des Cours européennes. L’intègre Benoit XIII (1649-1730), 245ème Pape de 1724 à 1730, sera moins favorable aux Stuart. Il est aussi connu pour avoir accordé son chapeau de Cardinal au précepteur et Ministre Fleury de Louis XV. Clément XII (1652-1740), 246ème Pape (1730-1740) promulgue une bulle (« In eminenti », 1738) condamnant la franc-maçonnerie, alors répandue sur le continent, en particulier en Avignon, par les milieux jacobites (le chevalier de Ramsay, Derwentwater, Wharton,…). Benoit XIV (1675-1758), le 247ème Pape des lumières (1740-1758), dénonce (1742) les méthodes des Jésuites en Chine (« Querelle des rites ») et modernise l’approche économique de l’église (Encyclique : « Vix pervenit », 1745) en admettant le prêt à intérêt. Il allège l’index de l’église catholique et reconnait l’héliocentrisme. Clément XIII (1693-1769), 248ème Pape, s’élèvera contre l’expulsion de l’ordre des Jésuites dans de nombreuses cours européennes, et en particulier les dynasties des Bourbon (France, 1764 ; Espagne, 1767). Les Jésuites sont expulsés d’Avignon et de Parme en 1768.
Clément XIV (1705-1774), 249ème Pape (1769-1774) est le candidat des Bourbon : son bref « Dominus ac Redemptor » (1773) liquide les possessions jésuites dans les Etats Pontificaux et laisse toute liberté aux autres souverains à cet égard. A titre de « négociation », Avignon avait été occupée par la France, sous son « règne » de 1769 à 1774.
Pie VII rétablira la Compagnie en 1814.
(3) Selon les (nombreuses et populaires) chansons jacobites, Jacques-Edouard était aussi appelé le « little blackbird », le « petit merle noir » en raison de la couleur sombre de ses yeux et de ses cheveux.
(4) L’hôtel de Serre, aujourd’hui détruit, s’étendait de la rue Saint Marc à la rue Dorée, non loin de l’hôtel Perussis, ancienne maison de la famille Aubanel, avant que cette dernière ne s’installe près de la place Saint Pierre(actuel musée Aubanel).
(5) La cour jacobite séjourna presque trente ans à Saint Germain en Laye (1689-1718) dans le « vieux » et le « nouveau » château, ainsi que dans la ville et ses environs. On estime à un peu moins de 10.000 les effectifs jacobites exilés à cette époque dans la région de Saint Germain en Laye. Autour de la cour du roi Jacques. Beaucoup y naîtront, tel le futur Marechal de France et gouverneur du Languedoc, l’Irlandais Charles O’Brien de Thomond (1699-1761).
(6) Marie-Béatrice de Modène ou d’Este (1656-1718) est la seconde épouse de Jacques II, veuf depuis 1671 d’Anne Hyde (1638-1671), elle-même fille du premier baron Clarendon, Edward Hyde, homme d’Etat proche de Charles II. Anne Hyde est la mère de Marie et Anne Stuart qui seront toutes deux reines d’Angleterre après l’éviction de leur père. Ce second mariage de Jacques II avec la nièce de Mazarin, célébré en 1673, avait les faveurs de Louis XIV, qui l’avait dotée de 400.000 écus, mais le Roi Charles II, son frère, le désapprouvait. Le confesseur de Marie de Modène est un Jésuite formé au noviciat d’Avignon, Claude La Colombière. Il sera emprisonné à Londres, avant de décéder à Paray le Monial en 1682. Fidèle au culte du Sacré Cœur, inspiré par Sainte Marguerite-Marie, Marie de Modène fera confectionner un vitrail inspiré de cette dévotion dans l’église paroissiale de Saint Germain en Laye, en face du château.
(7) Georges Dickson, Secrétaire Général, puis Président de l’association franco-écossaise, Contrôleur d’Etat honoraire. Il s’agit de l’ouvrage : « Des Ecossais à Avignon, Jacques III, un roi sans couronne », imprimerie Paul Dupont, 1993. L’auteur s’appuie notamment sur le « Courrier d’Avignon », imprimé par un Provençal d’ascendance écossaise, Pierre Guillaume Cheisolme (« Chisholm » ou « Chicholm », orthographe variable…), ainsi que sur la Gazette de Hollande et le journal du Docteur Brun. Le clan Chisholm sera jacobite au XVIIIème siècle, après avoir été favorable aux intérêts de Marie Stuart deux siècles plus tôt.
(8) A la suite des premières guerres de religion en Ecosse, William Chisolme, Evêque de Dumblane, avait été nommé à Vaison. Il avait joué auparavant un rôle diplomatique décisif en faveur de Marie Stuart au XVIème siècle auprès des Papes Pie IV et Pie V. Il a contribué, via les mystérieuses influences de diverses sphères vaticanes, aux premières migrations « durables » d’Ecossais de haut rang en France, si l’on fait abstractions des « grands tours » des jeunes Lairds ou encore des fréquents engagements de mercenaires, parfois de très haut niveau, dans les armées européennes. A titre d’exemple, Robert Stuart d’Aubigny (1470-1544), après ses années de service dans les Cent-Gardes écossais de la garde royale était devenu connétable des Deux-Siciles sous Louis XII et Marechal de France sous François Ier.
(9) La défaite des troupes du Duc de Lauzun et de Jacques II face à celles du vieux Marechal de Schomberg (1615-1690), protestant, et du Prince d’Orange, le 1er juillet 1690, est devenue la date symbolique des processions orangistes des Anglo-protestants d’Ulster, jusqu’à aujourd’hui. Le colonel O’Neill de la Brigade Irlandaise perdra la vie à la bataille de la Boyne.
(10) Après la capitulation de Limerick, le 3 octobre 1691, le traité du même nom permit aux restes de l’armée jacobite, sous le commandement de Patrick Sarsfield, comte de Lucan et du duc de Tyrconnel, de gagner le continent. Il s’agit de ce que l’on appellera l’envol des « oies sauvages » (« Wild Geese »). Ces hommes de guerre expérimentés participeront avec succès à la mise sur pied de nouveaux régiments « étrangers » dans divers pays d’Europe.
(11) La « Brigade Irlandaise » se composait, en France, d’une unité de cavalerie commandée parle duc de Tyrconnel à Saint Germain en Laye et de six Régiments d’infanterie. Hommes de troupe et officiers ont bénéficié de mesures de naturalisation française en 1702 puis 1715. Les six régiments (Berwick, Dillon, Lally, Rooth, Bulkely, Clare) s’illustreront à Fontenoy (11 mai 1745) sous le commandement de Charles O’Brien (1699-1761), Pair d’Irlande, vicomte de Clare et futur Marechal de France (à partir de 1757). Lally Tollendal commandait son régiment.
Robert Monroe, 6ème baronet de Foulis, et chef de clan, a été le premier colonel du « Black Watch » cantonné à Fort Georges, avec mission de « pacifier » les Highlands après les insurrections jacobites. Fort Georges connait encore une activité militaire, tout en étant le site de l’actuel musée des Highlanders à l’entrée du Firth de Cromarty.
Mme Nathalie Genet-Rouffiac, conservateur général du patrimoine, (SHD de Vincennes) a fait un point intéressant concernant l’évolution des formations militaires d’origines écossaises et irlandaises dans sa thèse de doctorat et poursuit d’intéressantes recherches sur le milieu jacobite.
(12) Le « Royal Ecossais » ne sera créé qu’en 1743 en France, sous Louis XV, puis incorporé au Régiment Dillon. Il participera à la bataille de Culloden du côté de Bonnie Prince Charlie.
(13) L’intermède de Guillaume III d’Orange et des règnes des deux filles d’Anne Hyde (Mary à partir de 1688, Anne à partir de 1704) survient grâce à l’action des « Sept Immortels », notables de l’assemblée de Westminster, qui avaient « invité » Guillaume à ceindre la couronne britannique à la place de son beau-père, Jacques. L’amiral Herbert avait transmis de façon confidentielle leur lettre d’ « invitation » à Guillaume d’Orange le 30 juin 1688.
C’est Georges V qui substituera, en 1914, l’appellation Windsor à Hanovre en 1914.
T.B. Macaulay, célèbre auteur de l’ « Histoire d’Angleterre depuis l’avènement de Jacques II jusqu’à la mort de Guillaume II », fait l’apologie de cette évolution politique. L’ouvrage paraît entre 1848 et 1861. Son point de vue d’historiographe du XIXème siècle s’inspire de quatre convictions personnelles :
1° La prédominance du Parlement sur l’initiative royale ; 2° La responsabilité des Ministres à l’égard du Parlement ; 3° L’incarnation du protestantisme « national » dans l’église anglicane ; 4° La liberté d’entreprise individuelle. Le ton est donné dès le premier chapitre de son ouvrage :
« Je raconterai les fautes qui firent perdre en peu de mois, à la Maison Stuart l’appui jusqu’alors loyal des classes moyennes et du clergé… Comment sous ce nouveau gouvernement, l’autorité de la loi et la sécurité de la propriété devinrent compatibles avec une liberté de discussion et d’action, jusque-là inconnues. »
(14) Henri Saint Jean de Bolingbroke (1678-1751) appartenait à une célèbre famille traditionnellement Whig, mais il se déclare Tory à titre personnel. Secrétaire d’Etat de 1704 à 1708, il est ensuite Ministre des Affaires Etrangères, sous la Reine Anne, de 1710 à 1714. Il est proscrit par Georges Ier, comme le duc d’Ormond, du fait de ses accointances-supposées ou réelles- tories et jacobites. Les Whigs lui reprochent les termes défavorables du traité d’Utrecht dont il est l’un des principaux négociateurs pour l’Angleterre. Le corollaire de la guerre de succession d’Espagne dans les Amériques, que les historiens britanniques appellent la « Guerre de la Reine Anne », avait pourtant valu, grâce aux négociations d’Utrecht, le contrôle de Terre Neuve et de l’Acadie à l’Angleterre… On sous-estimait alors gravement à Londres l’intérêt à de ces lointains territoires coloniaux.
Opposant farouche de Robert Walpole et des monarques hanovriens à partir de 1715, Bolingbroke est un auteur prolifique, en particulier pendant son séjour en France. Bolingbroke et Ormond quittent l’Angleterre à l’avènement de Georges Ier et se retrouvent dans un premier temps à Paris où Bolingbroke fréquente, notamment, le salon de Mme de Tencin.
L’écrivain et philosophe français Jean François de Saint Lambert (1716-1813) alors qu’il résidait à Eaubonne, chez Madame d’Houdetot, bonne amie de Jean Jacques Rousseau, a écrit d’intéressantes « Mémoires sur la vie de Bolingbroke » (1796). Académicien et encyclopédiste, amant d’Emilie du Chatelet - comme le fût Voltaire - Saint Lambert était un familier des salons littéraires, tel celui de Suzanne Necker. Bolingbroke, trop disert, surtout avec sa maîtresse Mme Claudine Guérin de Tencin (1682-1749), n’a pas apporté au Prétendant, une fois sur le continent, le soutien politique que ses précieuses compétences permettaient d’espérer. La grenobloise Claudine de Tencin, mère de d’Alembert (des œuvres du duc d’Arenberg ?) qu’elle n’a pas reconnu, sœur du Cardinal Pierre-Paul de Tencin (1680-1758), est la maîtresse de l’Abbé Dubois, devenue une célèbre « salonnière » (sa « ménagerie » selon ses propres termes).
Le cardinal de Tencin avait converti l’Ecossais jacobite John Law au catholicisme, ayant aussi favorisé, puis largement profité de son « système » avant sa faillite. Jacques-Edouard avait incité Clément XII à créer Tencin cardinal en 1739. A l’époque où il n’était qu’archevêque d’Embrun, Tencin avait présidé le concile qui avait condamné les jansénistes en 1727 à travers la personne de Jean Soanen, évêque de Senez.
(15) William Penn (1644-1718). Grâce aux libéralités de Charles II et le soutien actif du duc d’York, les Quakers développent, à partir de 1682, la ville de Philadelphie et la future province de Pennsylvanie. De retour à Londres en 1684, Penn influencera positivement le Duc d’York, puis Jacques II en matière de tolérance religieuse à l’égard des minorités.
(16) Arrêté en mai 1646, Charles 1er est jugé, en une semaine, par une « commission » (Tribunal), dont les Membres et le Président Bradshaw seront exclus de la « loi d’indemnité et d’oubli » de Charles II d’août 1660 (« Act of Indemnity and Oblivion »). Ils avaient jugé et condamné le roi sur les ordres de Cromwell, lequel envisageait alors d’établir une forme de « République » autoritaire en Angleterre.
(17) Commandant des armées de la République cromwellienne, puis du Protectorat, le Général Monck (1608-1670), Premier Duc d’Albermale, est en 1660, détaché en Ecosse. De retour à Londres, il invite le parlement anglais à s’auto-dissoudre puis impose à Charles II les conditions de sa restauration, reprises et acceptées par le monarque dans sa déclaration de Breda. Après de sinueux détours politiques, Monck revient ainsi à ses premières fidélités royales, se révélant avant tout un farouche partisan de l’ordre dans le royaume.
En 1660, Charles II a trente ans. Il est marié à Catherine de Bragance.
(18) John Knox (1505-1572), fondateur de l’église presbytérienne d’Ecosse (« Kirk of Scottland »), proche de Calvin, sera un ennemi redoutable de la reine Marie Stuart pendant son règne à Edimbourg. Dans la capitale du royaume d’Ecosse, la Cathédrales Saint Gilles sera le siège historique de la « Kirk of Scotland ».
Ce Robert Monroe a, dans un premier temps, soutenu Marie Stuart dans l’assaut du château d’Inverness, pendant l’été 1562, en raison notamment de querelles territoriales avec le clan Gordon voisin (et son chef catholique, le fameux Huntly). Monroe devint néanmoins l’un des farouches opposants à la Reine Marie, après sa propre conversion à la religion presbytérienne, quelques temps plus tard. Dès lors le clan Monroe restera presbytérien, à quelques remarquables exceptions près (deviendront catholiques : la branche lorraine et française ; presbytériennes puis épiscopaliennes : de nombreux émigrants en Amérique), et ceci, jusqu’à nos jours.
(19) Outre ses deux gendres (Guillaume d’Orange et le Prince de Danemark), son beau-père Clarendon, les nombreux « traîtres » à la cause du roi Jacques II se comptaient alors parmi ses plus proches conseillers : Rochester, Churchill, Ormond, Sunderland, Hamilton… Son jeune fils naturel Berwick, futur Marechal de France, constituait une remarquable exception en matière de fidélité familiale : il fait preuve d’une probité sans faille qu’honorera également son propres fils : James, duc de Lliria (1696-1738). Celui-ci fera faire ses premières armes à Charles-Edouard au siège de Gaète, dans le contexte des guerres de reconquête des Etats de Naples par les Espagnols. Chevalier de la Toison d’Or et Grand d’Espagne, le duc de Lliria introduit de nombreux Irlandais dans l’armée espagnole.
(20) Fille ainée de Jacques II et d’Anne Clarendon-Hyde, Mary a épousé son cousin germain, Guillaume III d’Orange, dans la perspective d’une alliance anglo-hollandaise. Mary incite son mari à accepter la couronne d’Angleterre, sur invitation des « Sept Immortels » membres tories et whigs du Parlement anglais auxquels il faut ajouter l’évêque de Londres, Henry Compton. Plus jeune de onze ans que son mari, elle décède en 1694 de maladie, sans descendance, à 32 ans. Abandonnant le palais de Saint James, les Hanovriens règneront dès lors à partir du palais de Kensington.
Le père d’Anne Hyde, Edward, Premier comte de Clarendon (1609-1674) était un protestant convaincu et n’entretenait pas de bons rapports avec son gendre, le futur Jacques II. Son nom est associé au « Code Clarendon » qui visait à maintenir la suprématie politique de la « Church of England ». Exilé en France à la fin de sa vie, il vit et décède à Rouen après avoir écrit une intéressante chronique de la guerre civile britannique.
(21) La reine Anne, seconde fille de Jacques II et d’Anne Hyde a épousé le Prince Georges de Danemark. Ses nombreux enfants meurent sans atteindre leur majorité. Elle décède en 1714, sans héritier, après 12 ans de règne marqué par des alliances tardives avec les Tories et la signature du Traité d’Utrecht si importante pour la suite de l’histoire jacobite.
(22) Ce premier John Churchill (1650-1722), premier duc de Marlborough et comte de Blenheim, partisan éphémère des Stuart, est le mari de Sarah Jennings et frère d’Arabella, maîtresse de Jacques II et mère du duc de Berwick. Malgré sa trahison de 1688 à l’égard de Jacques II, il restera en disgrâce à la cour de William et Mary, jusqu’à l’avènement de la Reine Anne en 1701. Celle-ci deviendra, jusqu’en 1711, une amie intime de son épouse, Sarah (1160-1744). Churchill compte alors plusieurs victoires militaires sur le continent : Blenheim (1704), Audenarde (1708), Malplaquet (1709). Il tombe à nouveau en disgrâce en 1711, en raison de ses contacts supposés (et sans doute réels…) avec les milieux jacobites. Le duc d’Ormond lui succède comme Capitaine Général de l’armée anglaise. En 1715, Marlborough croit encore prudent d’adresser au Prétendant des subsides personnels à hauteur de 4.000 livres. Précaution inutile puisqu’il avait déjà été réintégré dans tous ses droits par Georges Ier en 1714…
Au XIXème siècle, sa personnalité a inspiré la chanson populaire : « Malbrough s’en va t’en guerre » qui connaîtra des versions en allemand, espagnol, russe, suédois et en anglais (versification du poète Longfellow). Bizet participera à la composition d’un opéra sur le même thème en 1867.
Grâce à une traversée du désert consécutive à la défaite des conservateurs en 1929, Winston Churchill a écrit une instructive biographie, panégyrique sinon hagiographique, de son belliqueux ancêtre. Elle est parue à Londres, en plusieurs volumes, entre 1933 et 1938. Il n’en fallait pas moins pour compenser les appréciations fortement négatives de Swift, Macaulay, ou Chesterton à son égard… Le rôle politique, délibérément favorable aux Whigs, de Sarah Churchill auprès de la Reine Anne, puis sa déchéance finale au profit des tories, tient une bonne place dans l’ouvrage du plus célèbre premier ministre de l’empire britannique.
(23) Antonin Nompart de Caumont, premier duc de Lauzun (1633-1723), favori puis emprisonné par Louis XIV à Pignerol (1671-1681), après avoir été arrêté par Louis de Forbin, Major-Général des Gardes du Roi. C’est un séducteur invétéré (Mlle de Montpensier en avait fait les frais, ou plutôt les profits…) et un ennemi personnel de Mme de Montespan. Selon la belle formule de Mme de Sévigné : « Grâce à Marie de Modène, Lauzun avait retrouvé le chemin de Versailles en passant par Londres ». Ils conserveront une affection et une admiration mutuelles.
(24) Louis XIV accueille son royal cousin germain, sa seconde épouse et leur enfant Jacques-Edouard avec les honneurs dus à leurs rangs, manifestant ainsi son opposition à l’accession au trône d’Angleterre du jeune Stadthouder de la province de Hollande, lequel s’appuie d’ailleurs sur des troupes huguenotes exilées de France après la révocation de l’édit de Nantes (1685).
(25) Anne Hilarion de Cotentin, comte de Tourville (1624-1701), Maréchal de France en 1693, avait servi en 1672 sous le Maréchal d’Estrées à la bataille de Solebay, à laquelle participait le duc d’York, Grand Amiral d’Angleterre et futur Jacques II. Il s’agissait alors d’une exceptionnelle - et peu durable - alliance maritime franco - anglaise contre les Hollandais.
(26) Claude de Forbin, chevalier puis comte de Gardanne (1656-1733). Il participe aux bombardements d’Alger sous Duquesne (1682-1683), puis s’illustre dans la guerre de course contre les Anglais avec Jean Bart. Il commande le vaisseau « La Perle », à la défaite française de La Hougue : son navire sera abordé par un brûlot. Il est Amiral et Général des armées du roi de Siam en 1685, et même Gouverneur de Bangkok pour le compte de sa Majesté : Phra Naraï. Il séjourne ensuite à Pondichéry avant de rentrer en France. Il est nommé chef d’escadre en 1707. L’expédition de 1708 en Ecosse est menée avec le comte de Gacé, futur Maréchal de Matignon. Forbin démissionne de la Marine en 1710 et écrit des mémoires destinées à sa gloire, relativisant le rôle des très grands marins que sont Jean Bart et Duguay-Trouin.
Claude de Forbin appartenait à un réseau nobiliaire influent, aux XVIIIème et XIXème siècles, dont les branches ainées étaient représentées au plus haut niveau :
- dans l’armée et l’épiscopat pour les Forbin-Janson
- au Parlement d’Aix et dans l’Intendance Générale pour les Forbin-Meynier
- à la Chambre des Comptes pour les Forbin-Issart
- dans la Marine pour les Forbin-Gardanne.
Cette énumération n’épuise pas la liste des lignées de cette famille prolixe, catholique, et à certaines époques, proche de la Ligue (les « carcistes » de Provence, du nom de leur chef, le comte de Carcès). Les Forbin se rapprocheront également de la fronde des princes (les « Sabreurs » de Provence opposés aux « Canivet » royalistes). Il faudrait également mentionner les Forbin-Lambesc, les Forbin-La Fare, les Forbin-Sainte Croix, les Forbin-La Roque, les Forbin-Turriez, les Forbin-La Barben,…
Quelle ascension depuis le premier Forbin connu, Guillaume Fourbin, tenancier d’une boutique de peausserie à Aix en Provence, et mentionné pour la première fois en 1391 !
(27) Charles VI (1685-1740) est Archiduc d’Autriche à partir de 1711. Son père Léopold 1er le destinait au trône d’Espagne, en contradiction avec le testament de Charles II, décédé en 1700. Il édicte la « pragmatique sanction » en 1713 pour permettre l’élection impériale de Marie-Thérèse en Autriche.
(28) Dès l’accession au trône d’Angleterre de la dynastie hanovrienne : Georges 1er (1714-1727), Georges II, (1727-1760), Georges III (1760-1820), le parti Whig joua un rôle essentiel dans la politique intérieure et extérieure, ce qui n’avait pas été le cas sous Guillaume d’Orange. Parmi les leaders whigs les plus influents, James, Comte de Stanhope (1673-1721), est au pouvoir à partir de 1717, en tant que Premier Lord du Trésor. Il sera en relation de confiance en vue d’une paix européenne durable, avec l’abbé Dubois, ce qui nuira durablement aux Jacobites et infléchira la politique française à l’égard de l’Angleterre. Stanhope rencontrera Dubois à La Haye et à Hanovre et lui donnera l’occasion d’un contact direct avec Georges 1er. Le plus farouche et constant adversaire des Jacobites sera Robert Walpole (1676-1745), Secrétaire d’Etat de 1721 à 1742, frère ainé du diplomate et écrivain Horace Walpole (1678-1757), l’auteur du « Château d’Otrante ». Henry Pelham (1694-1754) est Lord Trésorier à partir de 1743. William Pitt l’ancien (1708-1778), redoutable opposant de Walpole, sera surtout actif sous Georges II.
(29) Traversant crises et successions, Robert Walpole sut vaincre la méfiance de Georges Ier, puis se rendit indispensable à Georges II qui avait besoin du soutien de la bourgeoisie de Londres et d’une majorité parlementaire Whig. Sa familiarité avec les milieux commerçants et financiers lui permit de garantir la sécurité des possédants anglais en périodes de troubles.
Le scandale financier de la Compagnie des Mers du Sud (1720), qui ruinera bien des épargnants anglais, n’ébranle ni sa réputation politique ni sa fortune.
(30) La Lorraine, occupée par les troupes de Louis XIV, est dépendante de la France depuis 1665 (Traité de Montmartre). Léopold 1er (1679-1729) est redevenu duc effectif de Bar et de Lorraine de 1698 à 1729, grâce au Traité de Ryswick. Son chambellan et conseiller d’Etat («Premier Ministre ») irlandais catholique, valeureux militaire dans l’Armée de Charles V, était le troisième comte de Carlingford (vicomte Francis Taaffe, 1639-1704). Ses ancêtres s’étaient déjà battus en Irlande contre les troupes parlementaires anglaises au XVIIème siècle. L’un d’entre eux, commandant l’armée de Munster, avait été battu en 1647 par son compatriote, Lord Inchiquin. Issu de la première immigration, Lord Carlingford avait suivi le futur Charles II sur le continent. Un Jésuite converti du protestantisme, le Père Creitzen, d’origine saxonne, joue par ailleurs un rôle important à la Cour de Lorraine. Plusieurs membres de la famille Taaffe feront de brillantes carrières dans l’armée impériale. L’un des fils de Léopold 1er de Lorraine et d’Elisabeth-Charlotte (1676-1744), nièce de Louis XIV, François III de Lorraine (1708-1765), épousera Marie-Thérèse en 1736 et sera élu Empereur Germanique (1745-1765).
D’autres Jacobites familles jacobites s’étaient également réfugiées en Lorraine : les O’Rourke, Warren, O’Donnavant : ils y restèrent lorsque la mère de François, Elisabeth-Charlotte, sœur du Régent, eut la charge du duché. Eugène O’Rourke devint le représentant du roi Jacques à la cour de Vienne, où il mourut en 1742. Elisabeth-Charlotte, assuma la fonction de régente à partir du château de Commercy, depuis le départ de son fils François pour Vienne (1731), jusqu’à son propre décès.
Charles-Dieudonné Monroe (1705 - Mirecourt ; 1790 - Damblain), dont descend la branche lorraine puis française éponyme, connut un parcours singulier. Son père, Charles Monroe (1674-1756) était « passé par la Lorraine », où il avait rejoint son frère Edmond, après un séjour à la Cour de Saint Germain en Laye. Charles avait quitté la France en 1698, à la suite du Traité de Ryswick du 20 septembre 1697, qui mettait un terme à la guerre de la Ligue d’Augsbourg. Charles-Dieudonné Monroe sera, quelques temps, officier du Roi de Prusse, Frédéric-Guillaume, avant d’être fermier aux dîmes de l’abbaye cistercienne de Morimond, l’une des quatre « Premières Filles » de Cîteaux. Morimond est la « Mère » de l’une des trois cisterciennes provençales, Silvacane, au Sud du Lubéron, le long de la Durance (1144). La charte de protection de Raymond Bérenger II de 1160 permet de transférer 12 moines de Morimond à Silvacane, donnant vie à l’une des trois « sœurs » cisterciennes de Provence.
Deux des fils de Charles-Dieudonné Monroe, François Joseph von Roe et Antoine Eugène von Monroe, deviendront généraux dans l’armée de Marie-Thérèse d’Autriche et s’éteindront l’un et l’autre, à Olmutz, en Moravie. Antoine-Eugène fera partie, en 1770, de l’escorte de la future reine de France, la jeune dauphine Marie-Antoinette, elle n’a que quatorze ans, de Vienne à Strasbourg, puis à Versailles. François-Joseph et Antoine-Eugène feront leurs armes dans les régiments de Saintignon, d’origine lorraine, et de Liechtenstein, ainsi que dans le régiment des carabiniers de l’Archiduc François.
A noter qu’Alexander Monroe, principal de l’université d’Edimbourg, de confession épiscopalienne, avait rejoint la Cour de Jacques II en 1691 et avait par la suite résidé à Rome.
(31) Mémoire du Comte de Forbin (publiées en 1729 et rééditées en 1748) : « Nous n’avions aucun port pour mettre l’armement à couvert, on ne voyait aucun endroit où le roi Jacques et ses troupes pussent débarquer sûrement et jeter 6 000 hommes sur le sable sans asile et sans retraite, c’était les perdre… Le ministre (Pontchartrain) me dit que je devais obéir, sans m’embarrasser de la réussite …». Cette malheureuse expédition de Forbin associait ses navires et les troupes de Gacé, futur Marechal de Matignon, dans dangereuses conditions d’impréparation maritime et terrestre.
(32) Il s’agit de John Erskine, 6ème Comte de Mar, commandant les 12.000 Highlanders contre John Campbell, 2éme Duc D’Argyll à la tête de 6.000 hommes (dont les troupes hanovriennes du General Whetham) et les clans Munro, Fraser, Surtherland, Forbes,… Sir Robert Monroe, le baron aveugle, avait alors mobilisé son clan en faveur des hanovriens, dont les terres allaient être ensuite ravagées par Seaforth.
(33) Le duc d’Ormond vieillissant, deux fois veuf, n’avait pas connu une vie familiale bien gratifiante. Quelque peu libertin, il n’hésitait pas à favoriser les amours de la jeune Madeleine de Villeneuve-Martignan (1707-1781) avec le « pauvre » chevalier Paul-Augustin de Salvador, en dépit des ambitions financières démesurées de la cupide mère de l’ingénue. Salvador, Capitaine des Portes d’Avignon, deviendra Viguier et Premier Consul de la ville, ce qui n’est pas rien...
(34) Curieusement, le vieux duc de Cumberland, séjournant en Avignon en 1784 et 1785, à l’hôtel de Crillon, bénéficiera des bons soins d’un digne successeur, Jean Baptiste Joseph Gastaldy (1741-1806), fils du médecin de Jacques-Edouard du même nom (1674-1747). Avignon accueille et soigne, on le voit, les dignitaires britanniques de toutes obédiences… sur un plan physique et moral ! Par un juste retour des choses, Jean Baptiste Joseph Gastaldy émigrera à Londres pendant la révolution. Il ne reviendra pas en Avignon après la révolution, mais s’établira à Paris où il se fera connaître par ses qualités de gastronome…
(35) Les Mémoires du docteur Brun précisent aussi : « Le jeudi gras de février (1717), il y eut encore une grande fête au Palais où le roi (Jacques III) se rendit après six heures avec le duc d’Ormond, en chaires, avec vingt grands flambeaux de cire blanche et plus de cent Anglais à pied. Ces Anglais étaient tous officiers et payés par le roi tous les mois. »
(36) Le traité d’Utrecht de 1713, rédigé en français, reconnait Philippe V comme roi d’Espagne, donne les Flandres aux Autrichiens, mais oblige Louis XIV à ne plus soutenir les Stuarts dans leurs prétentions au trône d’Angleterre. La France cède, entre autres, l’Acadie et Terre Neuve, à l’Angleterre, mais gagne la ville d’Orange, cédée par Frédéric 1er de Hohenzollern ; le titre de « Prince d’Orange » sera transféré ultérieurement. Frédéric de Hohenzollern est désormais le roi « en » Prusse depuis 1701. L’Angleterre se voit confirmer la possession de Terre Neuve et de la Baie d’Hudson, ainsi que de Gibraltar.
(37) Jean III Sobieski (1629-1696) délivre Vienne des attaques turques, alors que l’armée impériale est commandée par Charles V de Lorraine (1643-1690), père de Léopold 1er.
(38) Esprit Calvet acquerra, pour son Musée, les médailles appartenant à Milady Murray, dont les principales pièces provenaient, dit-on, de dons personnels du vieux Prétendant en faveur de la gouvernante de ses deux fils au grand déplaisir de l’épouse délaissée, Clementina...
(39) Le Maréchal Maurice de Saxe (1696-1750), fils naturel de l’Electeur Frédéric Auguste 1er et de Marie-Aurore de Königstein est protestant et le restera toute sa vie. Il s’illustre d’abord sous les ordres de Berwick, fils naturel de Jacques II et d’Arabella Churchill, puis du duc de Noailles. En 1743, il devient Maréchal de France. C’est le vainqueur de Fontenoy, bataille décisive, célébrée par Voltaire, qui conduira à la Paix d’Aix la Chapelle (11 mai 1748).
(40) Alexandre de Boyer, Seigneur d’Eguilles (1708-1783), fils du marquis Jean Baptiste de Boyer d’Argens, Procureur Général au Parlement de Provence et grand collectionneur de son état. Après diverses entreprises commerciales, Alexandre assiste Charles-Edouard dans son expédition écossaise de 1745 et 1746, sur recommandation des frères d’Argenson : le comte (1696-1769), secrétaire d’Etat après Breteuil et son frère ainé le marquis (1694-1757), secrétaire d’Etat aux affaires étrangères. Libéré par Cumberland après Culloden grâce, dit-on, à un don d’huile d’olives…, il épouse en secondes noces une anglaise Catherine Wannop de Stanhope. Il deviendra Président à mortier du Parlement de Provence en 1747 à 1763. A Aix, l’hôtel d’Eguilles est situé au 6 de la rue Esparriat, en face de la place d’Albertas. On y accède par un superbe portail à carrosse datant de 1715. L’hôtel est échu à la famille d’Eguilles grâce à un héritage provenant du poète Malherbe. Il est supposé avoir été construit en 1675 sur les plans de Pierre Puget, à la demande de la veuve Magdeleine de Forbin d’Oppède. Les deux frères, Alexandre et Jean Baptiste, vivaient aussi « à la campagne » dans leur château d’Eguilles, à quelques kilomètres d’Aix en Provence. Devenu la mairie d’Eguilles, le château offre toujours une vue splendide sur la campagne aixoise.
Alexandre tente de s’opposer à l’expulsion des Jésuites de France en 1762. Cette indépendance d’esprit lui coûtera cinq ans d’exil du fait de l’opposition du Procureur Général du Parlement de Provence, Jean Pierre Ripert, baron de Monclar (1711-1773). Le soutien du Pape lui-même, Clément XIII (1758-1769) ne suffira pas à sauver l’ordre des Jésuites à l’ère des Lumières. En France, sous l’influence croissante de d’Alembert, Diderot,…, les conceptions politiques évoluent et une majorité de parlementaires parisiens est janséniste, ennemis traditionnels des Jésuites ultramontains.
Le successeur au Vatican de Clément XIV, décrètera la suppression de l’ordre en 1773 (Bref : « Dominus ac Redemptor… »).
Membre de l’Académie de Marseille, passionné de théâtre, Alexandre d’Eguilles fait construire une salle de spectacle rue Vacon.
Son frère ainé, le marquis Jean Baptiste d’Argens, passe 25 ans à la cour de Frédéric II dont il est devenu l’intime au point que son épouse est la seule femme admise à dormir à Sans Souci… Il est directeur du théâtre de Berlin à partir de 1749, puis est nommé « Kammerherr » de l’Académie des sciences de Berlin. Auteur prolifique (« La philosophie du bon sens », « Les lettres chinoises », « Les lettres cabalistiques »,…), il viendra mourir en Provence, auprès de son frère Alexandre. Ses œuvres, publiées en 1768 forment vingt quatre volumes, auxquels il faut adjoindre ses nombreuses correspondances avec Frédéric II de Prusse.
(41) Le 25 septembre 1745 au Nord d’Edimbourg, la charge des 1.400 Highlanders jacobites met en déroute les troupes hanovriennes du Général Cope, permettant l’entrée triomphale de Charles-Edouard au palais de Holyrood, où il sera reconnu régent du royaume d’Ecosse. La forteresse d’Edimbourg restera cependant aux mains des Hanovriens sous le commandement du général Preston.
(42) Georges Murray (1694-1760), qui s’illustrera à la victoire jacobite de Falkirk (17 janvier 1746) était le plus expérimenté des généraux de Charles-Edouard. Il était peu favorable à des combats en dehors de l’Ecosse. Le chef du clan presbytérien Monroe, sir Robert et son frère Duncan, trouveront la mort à Falkirk.
(43) Donald Cameron de Lochiel (1700-1748), fils d’un partisan jacobite de 1715 exilé en France. Il dirigeait avec brio le plus fort contingent de Highlanders pour Charles-Edouard. Il rallie les Macpherson à la cause jacobite. En France, il commandera le régiment d’Albany et décèdera sur le continent, à Bergues. Après la défaite de Culloden, Cluny Mc Pherson, chef du clan Chattan, sera pourchassé dans les Highlands sans succès par Hector Monroe, 8ème Laird de Novar (1726-1805), futur héros de l’armée des Indes (bataille de Buxlar du 23.10 1764, puis reprise de Pondichéry aux Français, Porto Novo,…). Ce denier était également connu pour ses excellentes qualités de gestionnaire et ses ambitions politiques. Ses descendants (par la branche féminine : Munro-Ferguson) possèdent toujours les considérables (8000 hectares) « Novar Estates » ainsi que la « Novar House » d’Evanton, au Nord du Firth de Cromarty. Le Président F.D. Rooosevelt et Eleanor y ont passé leur lune de miel…
A noter qu’en 1757, pendant l’épisode américain de la Guerre de Sept ans (« Indian and French War »), un certain colonel Georges Monroe devait céder le Fort Willam-Henry, près du Lac Georges, au marquis Louis-Joseph de Montcalm, lui-même soutenu par les Hurons. J.F. Cooper en a fait le sujet de son roman bien connu : « Le dernier des Mohicans ».
(44) James Drummond, 3ème Duc de Perth (1713-1746), de religion catholique: “Bold as a lion in the field, but ever merciful in the hour of the victory”. Il décède lors de son retour en France.
(45) Simon Fraser, 11ème Lord Lovat (1667-1747), s’était réfugié en France après une sombre histoire d’héritage qui l’avait opposé à la famille Murray. Il se convertit au catholicisme et se rapproche de la cour jacobite de Saint Germain en Laye. Le vieux Lord sera décapité après la défaite de Culloden, convaincu par les deux partis d’avoir joué un double jeu politique avec divers membres de sa famille. Sa descendance se rapprochera de la dynastie hanovrienne.
(46) Charlotte, duchesse d’Albany (1735-1789), fille naturelle de Charles-Edouard et de sa maîtresse, Clementina Wilkinshaw de 1752 à 1760. En dehors de ses séjours dans les couvents français, Charlotte était la maîtresse de Ferdinand de Rohan, Archevêque de Bordeaux et futur chapelain de l’impératrice Joséphine, dont elle eut trois enfants. Charlotte est catholique fervente comme sa mère. Après des années d’abandon, Charles-Edouard la recueillit enfin à Florence en 1784, tandis que ses enfants et sa mère étaient restés à Paris. Charlotte veilla fidèlement sur son père malade pendant quatre ans, jusqu’à son décès et devint son héritière.
Louis XV lui accordé ses lettres de patente attachée à son titre de Duchesse en 1784.
(47) Clementina Wilkinshaw, repoussée par Charles-Edouard, éleva les enfants de Charlotte, Duchesse d’Albany (1735-1789), à Fribourg. Ils auraient pu constituer la suite de la dynastie Stuart, au moins pour l’Ecosse, car il y avait un fils… : Charles-Edouard, né à Paris en 1784, et deux filles, Marie-Victoire et Charlotte.
(48) Signe de ralliement des Jacobites, la « rose blanche » de la Maison d’York sera aussi le nom d’un mouvement étudiant opposé au nazisme à Munich, coordonné par les étudiants Hans et Sophie Scholl, en 1943. Ces jeunes martyrs de la résistance allemande seront exécutés après un procès sommaire.
(49) René Louis de Voyer de Paulmy, marquis d’Argenson (1694 - 1757) est Secrétaire d’Etat aux Affaires Etrangères de Louis XV de 1744 à 1747. Il n’est pas toujours au courant des méandres de la politique secrète menée par Louis XV et encore moins des agissements des espions du Roi au-delà des frontières... Il recommande cependant que le jeune et peu aguerri Alexandre d’Eguilles accompagne Charles-Edouard en Ecosse en octobre 1745. Ce compagnonnage original durera jusqu’à la défaite de Culloden. Quelque temps plus tard, d’Argenson, en 1747, est démis de ses fonctions à la demande du duc Adrien de Noailles (1678-1766) et remplacé par le marquis de Puysieulx (1702-1770).
(50) Ce second Traité d’Aix la Chapelle (17 octobre 1748) met un terme à la guerre de succession d’Autriche. Sur instruction du Roi Louis XV, « le bien-aimé », la France renoncera à ses conquêtes, à l’exception de Louisbourg, et restituera le Sud des Pays Bas à l’Autriche. L’Angleterre récupère Madras. La Prusse protestante est la véritable bénéficiaire du Traité d’Aix la Chapelle avec le gain de la Silésie catholique, cause de la prochaine Guerre de Sept Ans. Ainsi le Marechal de Saxe ne se serait battu en définitive que « pour le Roi de Prusse », selon le célèbre adage populaire.
(51) Pascal Acquaviva d’Aragon (1718-Naples ; 1788-Rome) sera créé Cardinal en 1770 (/Santa Maria in Aquino) ; il a été vice-légat d’Avignon de 1744 à 1754. Aujourd’hui encore, on peut voir son blason au rez-de-chaussée du Palais des Papes.
(52) L’hôtel d’Ancézune appartient alors aux Gramont, titulaires du fief de Caderousse qui l’avaient acquis de Just André François d’Ancézune-Cadart de Tournon.
(53) Georges Keith, 10ème comte Marishal (1692 - 1778), combat dans le soulèvement de 1715, puis rejoint Jacques-Edouard en Avignon. Il participe également à l’insurrection jacobite de 1719. Il sert par la suite Frédéric II de Prusse en tant qu’ambassadeur à Versailles à partir de 1751, où il traite notamment des disputes entre le roi de Prusse et Voltaire, puis en Espagne de 1759 à 1761. Avec son frère James, il attire des concitoyens jacobites, tel Charles- Dieudonné Monroe (1705-1790), au service du Roi de Prusse. Charles-Dieudonné est proche des idées politiques et sociales de Jean-Jacques Rousseau.
(54) Le Président Charles de Brosses séjourne brièvement en Avignon en 1739 en route de Dijon vers Aix, puis l’Italie. Il n’en garde pas un excellent souvenir, sans doute refroidi par quelques bourrasques de mistral… et des mœurs sans doute moins policées qu’en Bourgogne.
(55) James Keith (1696 - 1758), frère du précédent, participe également au soulèvement jacobite de 1715, se réfugie à Paris puis en Avignon. Il est en Ecosse en 1719, puis rentre au service des armées de Frédéric II en 1747. Il meurt à la bataille de Hochkirch en Lusace la 10 octobre 1758, blessé par un boulet, alors qu’il commande les opérations avec le Roi de Prusse, au début de la guerre de sept ans. Ce même jour, Frédéric II apprend le décès de sa sœur Wilhelmine.
Curieusement, deux descendants de la branche lorraine, catholique et jacobite, des Monroe : François-Joseph (1738-1801) et Antoine-Eugène (1740-1816), tous deux fils de Charles- Dieudonné, l’ancien officier du Roi de Prusse, participeront aux combats de la Guerre de Sept Ans du côté de Marie-Thérèse d’Autriche. Ils termineront, l’un et l’autre, leurs carrières militaires comme généraux de l’armée d’Autriche et prendront leurs retraites en Moravie.
Un de leurs cousins, Alexander Monroe D.D., ancien Principal de l’Université d’Edimbourg, rejoindra, quant à lui, la Cour jacobite de Jacques-Edouard à Rome en 1746.
(56) Louise de Stolberg-Gedern (1752 - 1824), comtesse d’Albany, appartenait à une famille dont les origines paternelles se trouvent au Nord du Harz. De ce côté, elle était alliée aux grandes familles de Thuringe (comme les Hardenberg, l’illustre famille du plus célèbre poète romantique allemand, Novalis, et d’un chancelier de Prusse de l’époque napoléonienne). Du côté maternel, elle descendait des Bruce écossais et des Comtes de Horne de Bruxelles. Les Stolberg-Gedern avaient également des origines hessoises. Les multiples branches de cette famille célèbre s’étaient illustrées dans les métiers des armes, de la diplomatie et des lettres.
(57) Le baron Ripert de Monclar a publié la correspondance de la comtesse d’Albany avec le chevalier de Sobirat. Les deux épistoliers avaient fait connaissance à l’occasion de rencontres fortuites à Florence. Ces documents ont été imprimés par la Principauté de Monaco (1916) avec l’accord du Prince Albert 1er. Ils ont fait l’objet d’une étude intéressante et érudite publiée dans les « Etudes Comtadines » (Claude Lapeyre-avril 2011-N°14)
(58) François-Xavier Fabre (1766 - 1837) est un peintre originaire de Montpellier, élève de David. A partir de 1783, il devient le protégé de plusieurs notables de Montpellier, en particulier Philippe Laurent de Joubert (1729-1792), trésorier des Etats du Languedoc et le Maire de Montpellier, le marquis Dax d’Ascat. De retour d’Italie (Rome, Naples puis Florence), il devient directeur de l’école des beaux arts. Il décide de léguer (1825) son œuvre à sa ville natale. Ce sera le premier Musée Fabre de la rue Montpellieret, aujourd’hui proche de la nouvelle Notre Dame des Tables. Le tombeau du Maréchal Charles O’Brien, Gouverneur du Languedoc (1699-1771), se trouvait dans l’ancienne église « Notre Dame des Tables », près de l’actuelle place Jean Jaurès. Le portrait de Vittorio Alfieri peint par François-Xavier Fabre est conservé dans le musée qui porte son nom.
(59) Sophie de Bohême, Princesse-Electrice de Hanovre (1630-1714) est la 5ème fille de Frédéric V du Palatinat et d’Elisabeth d’Angleterre. Elle épouse en 1658 Ernest Auguste de Hanovre. C’est avec elle que la Princesse Palatine entretient une célèbre et précieuse correspondance. Son fils ainé Georges sera le premier roi d’Angleterre d’origine hanovrienne du fait de l’acte de succession de 1701, bannissant tout descendant converti au catholicisme. Sa fille Sophie- Charlotte (1668-1705) épouse en 1684 Frédéric 1er de Prusse.
(60) John Locke (1632-1704). Ses principales œuvres : « Traité sur l’entendement humain » et « Traité sur le gouvernement civil », datent de 1690. Bien que favorable à l’esclavage, il est l’auteur de la célèbre « lettre sur la tolérance » (1705). Bolingbroke était l’un de ses fidèles disciples. Parmi les écrivains « engagés » de l’époque, il conviendrait aussi de citer deux noms célèbres. L’agent secret Daniel Defoe (1660 - 1731), est favorable aux Whigs. Le Doyen Swift (1667 - 1745), après avoir eu des tendances whigs dans sa jeunesse, représentait à Dublin la « High Church », dont les Tories les plus conservateurs étaient les farouches partisans… Il devait sa nomination au duc d’Ormond, également fidèle à la « Church of England ».
(61) Anthony Ashley-Cooper, 3ème Comte de Shaftesbury (1671 - 1713), auteur de l’« Essai sur le mérite et la vertu », œuvre admirée et traduite par Denis Diderot. Grand Chancelier du royaume en 1672, Shaftesbury tombe en disgrâce cinq ans plus tard. Shaftesbury tenta d’éliminer le duc d’York du conseil privé. Locke fut proche de Shaftesbury pendant l’exil de ce dernier en Hollande, en 1688 et 1689. Dans sa « Lettre sur l’enthousiasme » de 1708, il fait l’éloge des « prophètes cévenols », c’est-à-dire « Camisards » (Durand Fage, Jean Cavalier, Elie Marion,…), réfugiés à Londres après les massacres des protestants (« Religion Prétendument Réformée ») dans le Midi, auxquels participe, après Villars, le Duc de Berwick, le fils naturel de Jacques II. Ce lamentable épisode des guerres civiles en France a aussi inspiré le poète romantique allemand Ludwig Tieck : « Der Aufruhr in den Cevennen » -1826)
(62) David Hume (1711-1776) a écrit une œuvre considérable dans les domaines philosophiques, politiques et économiques. Son « Essai sur la nature humaine » date de 1740. A partir de 1750, il écrit une histoire de l’Angleterre qui sera publiée en six volumes. Il exercera une influence décisive en Europe (Kant, Rousseau, Popper…). Il tentera, sans succès, de s’opposer à l’entrée des Highlanders de Charles-Edouard à Edimbourg en 1745.
(63) Entre autres : Walter Scott (« Waverley », « Rob Roy », « Le cœur de Midlothian »), Robert Louis Stevenson (« Le maître de Ballantrae », « Rosa quo loquorum », « William Makepeace », « Kidnapped »), Laurence Stern (« Tristram Shandy », Book seven), Mary Wortley Montagu (« Lettres de France »), … jusqu’au fascinant et récent essai le « Roi d’au-delà des mers » (2000) de Jean Raspail et à l’amusante pièce d’Antoine Rault : « Le système », donnée en 2015 au théâtre Antoine de Paris.
« L’histoire d’Ecosse » de W. Scott (Tome III : « De la réunion des royaumes sous la Reine Anne à la fin des troubles en 1746 ») contient de précieuses indications personnelles et chronologiques sur la saga des Stuart pendant plusieurs siècles.
(64) Peter Minuit avait « acheté » la presqu’île de Manhattan aux Indiens en 1624 pour le compte de la Compagnie occidentale des Indes. En 1664, le gouverneur hollandais, Peter Stuyvesant, livre New Amsterdam au colonel Nicolls, représentant anglais de l’amiral de la flotte, le duc d’York, frère du roi Charles II et futur Jacques II. La cession est entérinée par le Traité de Breda. New Amsterdam devient New York en 1667.
(65) Défaite des troupes françaises du Maréchal de Villars et de Boufflers devant l’alliance de Marlborough-Churchill et d’Eugène de Savoie, qui subissent néanmoins de très lourdes pertes. Jacques-Edouard se bat également avec les troupes françaises à Oudenarde (1708) et Douai (1710).
(66) Claude-Louis-Hector, marquis de Villars (1653 - 1734) est nommé Maréchal de France en 1702 et sera Gouverneur de Provence de 1712 jusqu’à son décès. Il est tristement célèbre pour avoir fait massacrer les Camisards (« les dragonnades »), soupçonnés d’accointances anglaises, dans les Cévennes. Un tableau du Musée des Beaux Arts de Nîmes le représente recevant Jean Cavelier, chef des Camisards en vue d’une trêve. Le Marquis de Villars a laissé d’intéressantes « Mémoires » (1735).
A partir de 1705, le fils naturel de Jacques II, James Fitzjames, duc de Berwick (1670-1734), lui succède dans sa mission d’anéantissement des Camisards selon un contexte religieux de folies meurtrières visant autant les catholiques que les protestants dans la région du Gard.
(67) Le Maréchal de Villars, puis son fils, le duc de Villars assument le gouvernorat de Provence, pour le compte de la France, de 1712 à 1770. Ils succèdent dans cette fonction au duc de Mercœur et au duc de Vendôme qui résidaient à Aix.
Le Maréchal de Villars a rencontré Jacques-Edouard en Avignon du 7 au 10 juillet 1716. Parmi les justifications de la perte des droits civiques d’Ormond, infligée par Georges 1er, figure en bonne place la correspondance secrète que ce dernier aurait entretenue avec le Maréchal de Villars.
(68) Cette prospérité reposait parfois - en dehors de multiples activités financières, industrielles et commerciales - sur des conceptions condamnables des affaires, telles la traite des Noirs, pratiquée en France par les familles jacobites de Bordeaux, Nantes et La Rochelle, en toute légalité de l’époque. Le « code Noir » de 1671 avait codifié le commerce triangulaire. Le « Commentaire sur l’ordonnance de la Marine de Colbert, 1681 » du jurisconsulte René Josué Valin, (La Rochelle, chez J. Legier, 1761, préface du duc de Penthièvre, Amiral de France) et du même, le « Traité des prises » (La Rochelle, chez J. Légier, 1763) précisent, un siècle plus tard, l’organisation juridique de ce sinistre commerce.
(69) D’autres encore exercèrent des activités également moins louables, telle Marie-Louise O’Murphy (1737 - 1814), « Petite maîtresse » préférée de Louis XV, pendant trois ans, jusqu’en novembre 1755. Selon l’expression consacrée, elle est « fournie » par l’entourage de Madame de Pompadour, devenue, (à partir de son appartement qui deviendra celui de Mesdames, au rez-de-chaussée du château de Versailles), « Surintendante des plaisirs du roi ».
Marie-Louise O’Murphy est elle-même fille d’un agent double qui avait trahi Jacques III et le futur Maréchal Charles O’Brien, et d’une mère versée dans les milieux parisiens de la prostitution. François Boucher a peint Marie-Louise O’Murphy : « L’odalisque blonde » (1756) qui avait ému les sens du roi avant même qu’il la rencontre. Marie-Louise est chassée du Parc aux cerfs sous l’influence du parti dévot…au grand déplaisir du roi.
A l’issue de cette étude rapide je tiens à remercier Madame François de Forbin, Présidente de l’Académie de Vaucluse, pour ses encouragements et Monsieur Jean Paul Chabaud, animateur des Etudes Comtadines, pour ses recommandations éditoriales.
Ma gratitude va aussi à l’excellente équipe des archives départementales du Vaucluse pour leurs précieux conseils.
Enfin, ce texte a été substantiellement amélioré grâce aux suggestions de Messieurs Edward Corp et Patrice Clarke de Dromantin, ainsi que de Maître Richard Maupillier, qui ont bien voulu le relire attentivement.
Ce texte, préparatoire à une conférence donnée à l’Académie de Vaucluse le 11 juin 2014, ne repose pas, en priorité, sur la recherche de sources nouvelles. Il reflète les méditations d’un Provençal, exilé à Paris pendant plus de quarante ans. Une fois sa vie professionnelle achevée, il s’est interrogé sur les sens donnés à l’histoire dans les doxa officielles : il constate que les opinions varient suivant les époques, les pays et les milieux humains. L’auteur se plaît ainsi à souligner la variété des attitudes adoptées en fonction des motivations et des contextes.
Document de synthèse, ce travail vise seulement à rappeler certaines pages oubliées des rapports entretenus entre les écossaise et les provençaux au XVIIIème siècle. Ce texte, aussi subjectif que ses prédécesseurs, aura atteint son objectif s’il met en valeur les principaux repères historiques et géographiques concernant les aspects les plus négligés de l’émigration jacobite.
L’auteur espère susciter ainsi des vocations chez de jeunes historiens, notamment avignonnais et comtadins, susceptibles d’engager de nouvelles recherches et d’adopter des points de vue originaux.
Cette conférence est résumée dans le bulletin de l’Académie de Vaucluse d’octobre 2014 et a fait l’objet d’une publication partielle en avril 2015 par les « Etudes Comtadines », N°22.
Ce document est complété, entre autres, par :
- Cinq chronologies commentées concernant : (1) Les Jacobites, l’église catholique, le jansénisme et la franc-maçonnerie (1717-1751) ; (2) Les Jacobites et les désastres financiers simultanés des deux côtés de la Manche : Banque de Law (1716-1722) et South Sea Bubble (1711-1721) ; (3) L’histoire du clan Monroe au XVIIIème siècle et sa diaspora européenne ; (4) Les relations entre l’ordre des Jésuites, les grandes puissances européennes et la papauté au XVIIIème siècle ; (5) Les alliances entre puissances européennes et les batailles terrestres et navales auxquelles les Jacobites sont associés.
- Une liste des sources utilisées : Collèges des Irlandais de Paris, Bibliothèque de Saint Germain en Laye, Bibliothèque Ceccano d’Avignon, Archives départementales du Vaucluse, diverses associations historiques anglaises, écossaises, françaises et irlandaises, National Archives of Scotland, National Library of Scotland, Royal Archives of Windsor Castle, Library Ireland, Wild Geese Heritage Museum and Library,…
- Les archives et souvenirs historiques de Monroe de France : « Trois siècles d’histoire, 1650-1950 » (Guy Monroe, 2011), notes manuscrites de Laure Bonnet-Cassin sur la généalogie Monroe, souvenirs (non édités) d’Alexander Monroe, tableau généalogique Monroe simplifié établi par Gérard Valin, généalogie d’Anne Monroe - Cassin par Christian de Thierrens, ainsi que l’histoire de ce clan par Alexander Mac Kenzie.
Enfin, l’auteur s’est inspiré tout particulièrement des Mémoires du duc d’Ormond, du Marechal de Villars et du duc d’Eguilles, dont il avait pris connaissance, il y a déjà longtemps, avec le plus vif intérêt.