Exposition au Petit Palais en 2019 : « L’Allemagne romantique 1780-1850-Dessins des musées de Weimar » (*)

Cette remarquable exposition organisée par le « Petit Palais » en coopération étroite avec la « Klassik Stiftung Weimar » illustre l’originalité et la richesse des arts graphiques associés au romantisme allemand. Il s’agit, pour l’essentiel de dessins, de peintures et de fresques conservés à Weimar et en Thuringe. L’exposition a eu lieu au même moment que celle qui était consacrée dans les mêmes lieux au « Paris romantique », soulignant certaines similitudes, mais surtout beaucoup de différences dans l’inspiration des artistes des deux côtés du Rhin. Outre un évident retard du côté français, les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets dans les milieux culturels de part et d’autre du Rhin. L’aspiration à un nouveau type d’humanité, impliquant une nouvelle conception des rapports entre l’homme et la nature,  domine nettement en Allemagne.

Le directeur, Christophe Léribault,  a engagé, avec l’aide de la conservatrice Gaëlle Rio, aujourd’hui responsable du Musée de la Vie Romantique à Paris, de fructueux échanges avec la « Klassik Stiftung Weimar » ; ceux-ci ont porté sur les origines, les réalisations et les héritages culturels des mouvements romantiques allemands et français. L’institution allemande, dirigée par Wolfgang Heller et Hermann Mildenberger, gère désormais les trésors artistiques et littéraires conservés dans 27 lieux, les châteaux (Residenzschloss de Weimar, Fürstengruft, Belvedere, …), plusieurs maisons historiques (Goethe, Schiller, Wieland, …), ainsi que de nombreux musées et bibliothèques. Elle dispose de plus de 400 salariés et reçoit près de 500.000 visiteurs par an.

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La sélection des œuvres allemandes exposées à Paris n’a donc pas été aisée. La plupart des tableaux retenus  illustrent la recherche d’identité des artistes et de la société à laquelle ils appartiennent, à la suite du bouleversement social qu’a imposé la situation politique en Europe au début du XIXème siècle. Les principaux thèmes  que véhicule le romantisme allemand sont bien représentés grâce à l’imagination créatrice des artistes qui se donne enfin libre cours : mystère de la mort et de la nuit, recherche du paradis perdu, communion avec la nature, dramaturgie tragique du paysage, expression de l’amour, du bonheur et de la nostalgie, contemplation silencieuse et vie intérieure.

Les grands noms connus du public français sont présents, tel le pasteur suisse Johann-Heinrich Füssli (1741-1825) et son impressionnant « Cauchemar » de 1781. Les « Idylles » de Johann-Heinrich Tischbein (1751-1829), conçus avec l’aide de Goethe, occupent une place de choix, ainsi que la série des « Heures du jour » du danois Philipp-Otto Runge (1771-1810). Concernant Caspar-David Friedrich ((1774-1840), le choix a porté sur la « Baie de l’île de Rügen »(1802), le « Pèlerinage au soleil couchant » (1805), le « Tumulus sur la grève » (1807), « L’hibou sur une tombe » (1836). On pourrait regretter que certains chefs d’œuvres des grands maîtres, y compris Carl-Gustav Carus, ne soient pas présents, mais la dimension des lieux, comme la préférence pour les dessins ne le permettaient  pas.

En revanche, l’une des originalités intéressantes de cette manifestation repose, à mon avis, sur la présentation d’artistes moins connus en France, comme Carl-Philipp Fohr (1795-1818), Johann-Christoph-Erhard (1795-1822), Johann-Adam Klein (1792-1875), Johann-Christian Reinhardt (1761-1847), ou encore Johann-Anton Ramboux (1790-1866). La plupart d’entre eux ont été regroupés par la critique académique sous le terme générique de peintres « Romains-Allemands », car ils tirent l’essentiel de leur inspiration de l’héritage antique. A la recherche d’une harmonie universelle, ils peignent une nature idéalisée, source d’une paix rêvée entre les hommes et le cosmos, reposant sur un mystérieux « Weltgefühl ».

Une autre option bienvenue a consisté à intégrer les « Nazaréens » dans le mouvement romantique allemand, ce qui fait l’objet de débats. Les connaisseurs ne manqueront pourtant pas de relever les influences décisives des écrivains et poètes (Wilhelm-Heinrich Wackenroder, Ludwig Tieck, Friedrich von Hardenberg-Novalis ou encore les frères August et Wilhelm Schlegel) sur les membres du « Lukasbund ». Ceux-ci se sont installés au couvent franciscain de San Isidoro près du Pincio en 1810, sous l’influence du lübeckois Johann-Friedrich Overbeck (1789-1869). Ce n’est plus la beauté antique, mais la spiritualité religieuse d’un moyen-âge idéalisé et d’un âge d’or perdu, qui va inspirer la plupart de ces austères et nouveaux « confrères » romains  tentés par le piétisme et l’imitation de Raphaël.

Enfin, cette exposition ne néglige pas le poids de l’héritage des thèmes romantiques chez Carl-Friedrich Schinkel (1781-1841), l’ami de Tieck ou chez le viennois Ludwig-Moritz von Schwind (1804-1871). Les scènes historiques  de ce dernier, « Heinrich von Ofterdingen se réfugie auprès de la Landgravin Elisabeth » ou « Le tournoi des chanteurs de la Wartburg » sont en effet contemporains de l’opéra de Richard Wagner, « Tannhaüser »,  donné en première version à Dresde en  1845 ; celui-ci sera l’objet d’une captation  abusive d’héritage culturel par les nazis, que contestera Thomas Mann dans sa grande conférence internationale de 1933 (« Grandeur et souffrance de Richard Wagner »).

Certaines « scènes de vie » de Ludwig Richter (1803-1884), ce grand voyageur devenu  professeur à l’Académie de Dresde, figurent parmi les plus harmonieuses de l’exposition ; elles clôturent cette présentation d’une époque féconde et souvent mal comprise de la culture allemande avec : « L’heure du déjeuner », « La fin de la journée » et enfin la charmante composition bucolique et familiale d’inspiration Biedermeier, « Les enfants au bord du chemin », qui date  de 1870.

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En juin et juillet  2019, les conférences des professeurs Vincen Laisney (Paris-Nanterre) et Hermann Midelberger (Klassik Stiftung Weimar) ont illustré les liens intimes qui se sont tissés, à diverses époques, entre la politique, la littérature et les arts graphiques romantiques d’outre-Rhin. Des commentaires  élogieux sur cette riche matière à discussion sont  d’ailleurs parus récemment dans la presse allemande (Welt am Sonntag du 4.8.2019, par exemple).  Faut-il rappeler que tel n’avait pas été pas le cas pour la grande exposition de 1995 à la Maison de l’Art de Munich (« Haus der Kunst », Prinzregentstrasse) : « La peinture romantique allemande du dix-huitième siècle jusqu’à nos jours » ? Le choix malheureux de ce lieu, inauguré par Hitler en 1937, et l’intégration abusive d’une  certaine  peinture dévouée au  nazisme (Hugo Hodiener, Adolf Wissel, Oskar Martin-Armorbach, Joseph Beuys,…) justifiaient amplement ces critiques acerbes, déjà exprimées lors de la présentation de cette exposition à Londres en octobre 1994. On ne peut qu’admirer l’indépendance d’esprit des promoteurs parisiens de cette manifestation culturelle franco-allemande qui ne se limite pas aux tendances actuelles favorisées par l’« ICOM » (« Conseil International des Musées »). Se projetant bien au-delà d’un étroit débat sociétal réduit par des prismes communautaires, de préférence minoritaires, partiels et partiaux, cette exposition donne une image juste de cette époque de transition et  illustre la portée  des inspirations romantiques allemandes, dans leur originalité et leur vigueur. Celles-ci résultent de l’avènement d’un nouveau monde qui promettait d’abolir toute forme d’absolutisme au profit de l’exercice de la liberté individuelle. Sur ce plan-là, les romantiques allemands et français, qu’ils soient écrivains, peintres ou musiciens, se rejoignent finalement dans leurs manières de comprendre, de resssentir et de percevoir (« Gesinnung »), dans leurs motivations et dans leurs oeuvres.

                                                                                                                                                    Gérard Valin

(*) Voir la publication de Paris-Musée du même nom comportant, outre de nombreuses reproductions, des commentaires généraux et les biographies des artistes concernés.