Érotique et érotisme
ENTRETIEN AVEC JACQUELINE KELEN
Jacqueline Kelen fut longtemps productrice à France Culture. Auteur de livres passionnants, dont Marie-Madeleine, Aimer d'amitié, L'éternel masculin, et le très beau Propositions d'amour. Jacqueline Kelen explore les sentiers inexplorés de l'amour. Souvent à contre courant, cette femme rebelle, tendre guerrière, dépositaire et gardienne d'une tradition d'amour, nous invite à nous ressaisir pour conquérir notre propre authenticité.
« L'érotique ne se situe pas par rapport à l'humain, à ce qui est permis ou défendu, mais par rapport au transcendant, à l'absolu. C'est une conscience très aiguë de l'inépuisable de l'amour et du corps aimant. En érotique, nulle envie de transgression, parce que nulle référence à un péché, à une faute ; il s'agit plutôt de gravir les degrés de l'insaisissable amour, de l'infaisable amour. Si l'érotisme en ses limites extrêmes, rencontre la mort, l'érotique achemine vers l'éternel. »
Jacqueline Kelen [2]
Quelle distinction faites-vous entre érotisme et érotique ?
Jacqueline: L'érotisme renvoie au cérébral et à une vision réductrice et mécaniste de l'être humain. L'érotique est une vision du cœur, l'expression d'un être humain vivant en résonance avec l'univers.
L'érotisme peut-il servir l'érotique ou l'érotique peut-il s'inscrire dans l'érotisme ?
Jacqueline: C'est toute la thématique du sacré et du profane. J'espère que le sacré peut ébouriffer, envahir, transformer, inonder, transfigurer le profane. C'est même son sens. Je ne suis pas une personne de demi-mesure ou de compromis. Je ne cherche pas ce que l'érotique peut apporter à l'érotisme ou inversement. En même temps, je suis femme d'espérance, je pense qu'il existe toujours des ponts et des passerelles.
L'érotisme ne m'intéresse pas du tout. Au risque de passer pour une oie blanche, n'ai jamais lu de livres dits ‚érotiques, j'ignore tout des films érotiques. Je me sens porteuse d'une tradition d'amour courtois, de fin'amor. Quand on a qualifié certains de mes ouvrages comme traitant de l'érotique, je n'en savais rien. C'est un cadeau qui me fut donné à la naissance, je n'avais nul besoin d'une éducation sexuelle, que je n'ai pas eue et tant mieux, ni d'un bagage culturel dans le domaine de l'érotisme ou de l'érotique, pour savoir que l'amour m'aimait infiniment, qu'il ‚tait la voie radieuse.
Il existe quelques exemples rares, me semble-t-il, où l'érotisme peut révéler l'érotique, tant dans la littérature qu'au cinéma. Je pense par exemple à L'empire des sens, extraordinaire métaphore des voies d'immortalité. Le réalisateur Oshima a su transmettre au mouvement des corps toute l'intensité spirituelle, toute l'inconditionnalité d'une queste qui va à son achèvement dans et par la mort.
Jacqueline: Oui effectivement, je pense également à un film qui fut qualifié souvent à l'époque de graveleux, Le dernier tango à Paris. Il y a une telle misère sexuelle, qui correspond à une misère du cœur, que bien des gens sont allés voir ce film comme un film pornographique. Or, dans ce film, il y a conspiration, rencontre, incantation entre érotisme et érotique. C'est bien l'amour fou : jusqu'où peut-on aller dans la folie d'aimer et dans l'adoration de l'autre ? Il est vraiment dommage que l'on réduise ce beau chant d'amour entre un homme et une femme à quelques techniques et prouesses.
Le film devait beaucoup à la personnalité de Marlon Brando. Dans ce film comme dans L'empire des sens, il y a une volonté de dépassement absolu des limites de la personnalité qui conduit nécessairement à la mort, symbolique ou réelle, avec dans L'empire des sens une mort par strangulation, qui nous renvoie à la symbolique de la pendaison, précédant la castration de l'homme/Shiva par la femme/Shakti. L'héroïne va errer plusieurs jours dans une sorte d'état extatique, tenant dans sa main le phallus, le sceptre, de son amant. Il y a une double transfiguration par la femme.
Jacqueline : Je fus autrefois très intéressée et même fascinée par le thème rituel de la décapitation, et le personnage de Salomé. Certains tentèrent de m'entraîner vers une interprétation freudienne, alors que ce rituel de décapitation exprime toute la thématique de l'initiation. C'est ainsi que j'ai commencé à m'intéresser à l'alchimie, puis au mythe du Graal. Dans la version primitive du Graal, il y a une tête coupée dans la coupe du Graal. Ceux qui n'ont pas la perception du sacré s'empressent d'avilir ce qui pourrait donner envie d'aborder la queste à travers l'acte amoureux. On réduit tout à la biologie ou à la psychologie. J'espère qu'il y aura longtemps des gens de colère et d'indignation pour dire qu'il y a une dimension autre. Quand on réduit l'amour à l'usage du préservatif, on développe une approche uniquement sécuritaire, on réduit l'amour à un besoin, on réprime tout rêve, on tue le désir et le mystère. L'érotique ! Oui, le terme n'est pas très joli, cela ressemble à une discipline particulière. Erotica, eroticos, sont plus jolis, mais il est vrai que Eros est si mal perçu, réduit à un Cupidon mièvre. Eros apparaît comme la source fondamentale, source de vie, de queste, Eros le "premier né", "protogenos".
L'amour est sans objet mais n'est-il pas aussi sans sujet ? Ne fait-il pas que demeurer ?
Jacqueline : Oui, peut-être s'amuse-t-il à se poser sur notre épaule ou notre cœur, infiniment libre et éternel. Cela me fait trembler de penser que nous sommes des relais, quelques êtres libres et vivants, porteurs d'une lumière qui ne disparaîtra pas. Mais que signifie écrire sur l'amour, enseigner l'amour, ou même aimer ? On aime si peu. Tous sont obsédés par le fait d'être aimé alors que dans la queste amoureuse, seul le fait d'aimer donne sens. C'est pourquoi Don Quichotte m'est tellement cher : il a la folie de partir en queste et de réaliser des prouesses pour une femme à peine entrevue, qui certainement ne l'aime pas, que sans doute il ne reverra pas, laide peut-être mais transfigurée par son amour. C'est, non le comble de l'amour, mais la parfaite définition de l'amour.
Il existe une tradition alchimique et chevaleresque du Don Quichotte, qui demeure et perpétue cette queste amoureuse et solitaire.
Jacqueline : J'aime aller à rebours. Il y a aujourd'hui une prolifération de colloques sur le couple, qui attirent tous les gens qui cherchent une recette pour créer, sauver leur couple. Comme si le couple n'était pas qu'un mode de vivre et d'aimer. Je dis souvent : "En amour nous sommes deux, il y a l'amour et moi." L'amour est pure gratuité, je n'ai nul besoin de l'autre. Quand je rencontre l'autre, c'est le luxe total, c'est le seul luxe d'ailleurs qui nous fait semblable aux dieux. Certes, je peux donner de la valeur à l'autre en invoquant l'Androgyne primordial (et en me retenant de rire). Le désir tout cru du corps de l'autre me paraît infiniment plus sain que cette tarte à la crème qui consisterait à dire à l'autre, de façon sucrée bien sûr : "Veux-tu faire l'androgyne avec moi ?" Laissons dormir l'Androgyne. Il n'a pas besoin de nous. Il est entier, lui.
Des rêves me visitent de temps en temps. Tôt ou tard, avec vous, on abordera le sujet de l'androgynat, thème que j'ai quelque peu piétiné. Cette nuit, j'ai fait un rêve à ce sujet. Comme à mon habitude, je malmenais le concept de l'androgyne qui tue le désir entre l'homme et la femme, et dans ce rêve un personnage me disait que l'androgyne ne devait pas être bradé, que c'était un thème réservé aux initiés.
Il y a eu sur l'androgyne, comme sur le couple, beaucoup de livres. Comment créer l'androgyne ? Encore une vision mécaniste, technicienne. "Et vous, que faites-vous ? Et bien, je fais l'androgyne. Seul ou en couple. Il y a ma part féminine et ma part masculine, ou encore l'être bipolaire. J'ai mon animus, tu as mon anima." Qu'est-ce que c'est que cette vision compartimentée et ridicule qui n'a rien à voir avec l'androgyne ?
Ce fameux androgyne est rapporté dans Le Banquet de Platon, mais par Aristophane. Or Aristophane, certes initié, est aussi un grand comique. Je me dis qu'à la fin d'un banquet, un peu ivre de vin, de paroles et de parfums, il a raconté une bonne histoire drôle, la demi orange qui cherche son autre moitié, etc. Tout le monde a bien rigolé, mais aujourd'hui, avec notre esprit pesant et par trop sérieux, puisque nous avons perdu le comique des Dieux, depuis vingt-cinq siècles nous rapportons gravement cette parole, et cherchons vainement cette autre moitié. Moi aussi, j'ai rêvé sur l'androgynat, mais aujourd'hui, j'adore pulvériser l'androgyne parce que le thème a été récupéré par tous ces hommes qui se disent indécis, féminins, indifférenciés et qui ne savent trop comment se situer entre les hommes et les femmes. Ceux-ci ont récupéré et déformé à la fois l'ange et l'androgyne. J'ai beaucoup travaillé sur le thème de l'ange, il y a quelques années. Aujourd'hui, je ne supporte plus : dès qu'il y a un ange dans un titre, c'est la confession d'un homosexuel. Il faudrait aussi m'expliquer ce qu'est la bisexualité ! Je ne comprends pas, c'est encore une imposture. Donc tuons l'androgyne (petite insolence au passage). Tuons l'androgyne pour le retrouver, mais on ne peut parler de cet androgyne là.
Il y a aussi cette fameuse "complémentarité" entre l'homme et la femme. L'être humain ne peut-il pas être complet par lui-même ? Seuls deux être complets peuvent tenter, un temps, ou une éternité, d'être le centre d'un monde. Je me sens complète et entière, il ne me manque rien. Nous persuadons l'autre qu'il est en manque et que ce qui lui manque est hors de lui. Relisons autrement la fable d'Aristophane et évitons tant le couple à tout prix que le repli sur soi pour rechercher un prétendu androgynat, qui signe le plus souvent un fort narcissisme ou une peur de l'autre, et entérine la perte du désir.
Ce monde, qui se veut libéré, contrairement à ce qu'il laisse croire, fuit le désir et la jouissance.
Jacqueline : Oui le désir est totalement subversif, il est synonyme de défi, de tout possible. C'est la folie, la liberté. Dans cette période où nous vivons, tout est fait pour limiter le désir mais au contraire répondre aux besoins des gens, prévoir les besoins et les pulsions des gens pour savoir y répondre par anticipation. Mais qu'est-ce que le corps ? Il faudrait en parler. Nous n'avons plus aucune gratitude. Il est difficile de parler d'amour aujourd'hui car on réclame, on revendique, on exige, mais il y a peu de louanges, peu de gratitude.
Relisons ce cher Rabelais.
Jacqueline : Oui, Rabelais et tant d'autres. Ecrire un livre, pour moi, c'est aussi dire merci aux gens que j'aime. Ces amis, je ne les ai pas rencontrés, ils ont pour nom Dante, Pic de la Mirandole, Shakespeare, Cervantès ou Kazantzakis. Je les cite non par érudition, mais par pure gratitude.
L'amour est une aventure solitaire et singulière.
L'amour propose une intensité de solitude. Une solennité de solitude. Jamais nous ne sommes plus dénudés et plus illuminés par une puissance qui nous dépasse. C'est dans l'amour (et aussi au moment de mourir) qu'un individu se rencontre au plus près ; qu'il perçoit à la fois le plus mystérieux et le plus précieux de lui-même. Dès lors il se sait libre indéfiniment.
Jacqueline Kelen[3]
Dans la queste chevaleresque, on développe une approche aristocratique. L'être doit se conquérir, ceci s'applique totalement à la queste amoureuse. L'individu qui tente la queste part en aventure sans espoir de retour et sans la moindre garantie sur ce qu'il découvrira, sur le monde ou sur lui-même. Dans un monde, on chacun veut tout obtenir sans rien abandonner, l'aventure n'est l'apanage que de quelques esprits rebelles.
Jacqueline : Ce qui me semble lié à la pensée aristocratique ou à la queste, c'est la reconnaissance de sa solitude. L'aristocrate est celui qui sait vivre seul. Montaigne est aristocrate, indépendamment de ses racines, Fernando Pessoa bien sûr, Kierkegaard, tous ceux qui font cavalier seul. Moi qui me dis individualiste (aujourd'hui, ce mot est pris comme synonyme d'égoïste alors que l'individualiste chante l'autonomie et l'indépendance, la liberté), je me demande s'il y a un féminin à cavalier seul. Certains me renvoient à l'Amazone, d'autres à la Dame à la Licorne. La plupart veulent faire couple. On peut vivre un grand amour, ou vivre en couple, tout en sauvegardant cette part fondamentale de l'être symbolisée par cette merveilleuse Dame à la Licorne. Cette figure médiévale reflète la solitude heureuse, notre intériorité heureuse, c'est la figure même de l'amour. S'il me faut représenter l'amour, inséparable de la connaissance, de la sagesse, c'est d'un côté Don Quichotte pour les hommes, de l'autre la Dame à la Licorne pour les femmes. Ce qui ne signifie pas qu'ils ne se rencontreront pas, au contraire ce sont les seuls qui ont une chance de se rencontrer, en Réalité. Ces deux figures sont peu flatteuses car apparemment solitaires, mais ce sont deux figures archétypales, valables pour le début du chemin, comme pour tout le chemin jusqu'à son ultime aboutissement.
Don quichotte est grand seigneur, c'est pourquoi il est bafoué, dédaigné. Les grands sont toujours soumis au mépris de la valetaille et traînés dans la boue. Le Christ a subi les injures, les crachats, la torture des hommes, lui qui était un soleil. Don Quichotte, lui aussi de nature solaire, est aristocrate et seul. La Dame à la Licorne est la Splendeur du cœur et elle est seule. C'est-à-dire entière et unique. Tout ensoleillée de Dieu. Comme la bien-aimée du Cantique des cantiques. Cela ne signifie pas que l'amour incarné soit impossible.
La queste fait de tout aventurier un moine, au sens étymologique du terme.
Jacqueline : Oui, moine d'amour. Belle définition. Je me sens très moine, tout à fait moine. Une expérience intéressante fut tentée à Fontevrault, qui rassembla hommes et femmes dans l'abbaye. L'expérience, dont s'inspira Rabelais pour Thélème, fut très vite arrêtée par l'Eglise, car trop révolutionnaire.
Eurydice est muette, pourrait-on croire, parce que d'elle aucune phrase n'est rapportée. En fait, elle est muette parce que Orphée ne l'écoute pas, ne l'entend pas. Elle est la voix de l'amour, la voix orpheline qui n'est pas reçue des hommes. Les "malentendants", ce sont tous ceux qui n'ouvrent pas les oreilles à l'amour. Tous ceux qui veulent voir, prendre, s'approprier, au lieu de se laisser caresser par l'amour.
Jacqueline Kelen[4]
Vous avez étudié la vie de nombreuses femmes. Y en a-t-il une qui assume particulièrement la fonction érotique ?
Jacqueline : Marie-Madeleine, femme de lumière, d'absolu, de don total, qui ne pouvait que rencontrer le Christ. A leur première rencontre, quand elle fait irruption dans une assemblée d'hommes très sérieux, elle se prosterne, elle le parfume, le caresse. C'est à la fois une grande déclaration d'amour et l'initiation par la femme. Ce n'est pas un hasard si Jésus se montre d'abord à elle après la résurrection. Elle est dame de connaissance et dame d'amour. Mais il y a également Schéhérazade et cette extraordinaire descente aux enfers qu'elle propose à l'homme impérieux qui doit se taire pendant mille nuits. Et à la fin de ce huis clos, l'amour émerge, l'amour dont l'homme ne connaissait justement que l'érotisme, non l'érotique. Toutes les grandes femmes des mythes me semblent être de grandes amoureuses, des Dames d'Amour, comme la Dame à la Licorne. La Reine de Saba est une autre figure extraordinaire, une belle "païenne" qui va voir un Roi Salomon au fait de sa puissance pour le conquérir. Mystère insondable dont on ne sait rien. On ne peut rien saisir, et c'est pour ce rien, ce mystère de l'autre, qu'il nous faut entreprendre le voyage. La Reine de Saba n'a laissé aucune trace, c'est pour moi le symbole même de l'amour et de l'érotique.
Queste perdue que l'on retrouve chez Villiers de l'Isle Adam qui, dans son œuvre, explore différentes voies pour conquérir le mystère de la femme. Son œuvre majeure, Axel est restée inachevée.
Jacqueline : Je me sens porteuse d'une Tradition d'Amour indépendante de toute forme particulière ou religieuse. En chaque femme, il y a cette dimension de Dame à la Licorne, de Marie-Madeleine, de Reine de Saba. Des femmes de toute origine, de toute classe sociale, de tous les âges se sont reconnues dans le personnage de Marie-Madeleine. Lorsque j'ai écrit ce livre[5], j'ai reçu principalement des lettres de femmes. L'amour est-il le dernier rêve porté par la femme ?
L'homme est effrayé à la pensée de rencontrer la femme authentique. Il craint d'être submergé par sa propre nature et de perdre un pouvoir illusoire sur lui-même, auquel il se rattache désespérément.
Jacqueline : Je crois. Certains hommes m'ont reproché de parler du corps, de la chair dans une collection consacrée à la spiritualité ! Je me suis interrogée avant de comprendre que Marie-Madeleine représentait la femme de connaissance, de liberté, qui effraie tant l'homme par son authenticité. Il a peur de la femme absolue. L'homme est totalement effrayé par cette soif de l'absolu, de l'infini, par l'inconditionnalité de la femme.
Il y a peut-être chez l'homme cette intuition fondamentale que l'absoluité est néant, et son propre néant, que la volonté absolue, qu'il imagine d'une densité totale, est fille du rien. L'homme voudrait se réaliser dans l'avoir et le faire, la femme a conservé la conscience, le savoir que la nature n'offre la réalisation que par l'être.
Jacqueline : Je ne sais l'analyser, je suis attirée par l'absolu et prête à m'y perdre. Qu'ont donc peur de perdre les hommes ? D'illusoires représentations d'eux-mêmes ?
Le secret est au cœur de la fin'amor. Il est l'unique façon de préserver cet amour de la foule avide, de la profanation, et de le maintenir dans sa pureté, dans sa beauté unique.
Jacqueline Kelen[6]
Jacqueline : De nos jours, il est difficile de parler de l'érotique. D'ailleurs faut-il en parler ? L'Erotique est profondément liée au secret de l'être. S’il y a quelque chose de véritablement fondamental en ce monde, c'est la notion de secret. Ce qui me choque le plus actuellement, c'est ce déballage, cette mise à plat du mystère, qui demeure certes, mais la beauté n'est plus révérée. Or "seul celui qui sait peut montrer à celui qui sait". Seul celui ou celle qui a eu l'expérience d'amour peut entendre et être entendu de celui ou celle qui a eu cette expérience d'amour, dans sa chair, ou en rêve, ou ailleurs en d'autres mondes, en d'autres vies. Il faut moins que jamais se compromettre, transiger, expliquer.
La voie ou la sadhana n'aboutit en fait jamais. On entre en sadhana parce qu'on a l'intuition de l'accomplissement, la prescience du Tout est accompli. La recherche de procédés ou de procédures tue la voie, tue l'authenticité. L'authentique étant pure liberté, magie et poésie, se libère de tout, y compris de la libération disait Kazantzaki.
Jacqueline: Il y a inversion, davantage que perversion. Aujourd'hui il faut danser pour obtenir l'extase, alors que c'est parce que je participe du divin que je danse. De même parce que je suis transfigurée d'amour, je peux faire l'amour, être en fête dans l'acte amoureux, ce n'est pas en faisant l'amour que je peux atteindre l'illumination.
Ce monde consomme. Il conviendrait au contraire de consumer et d'être consumé.
Jacqueline : Oui, c'est pourquoi le secret est nécessaire. Il faut écrire un livre blanc au sens où il n'y a rien à écrire : seul le bruit des pages tournées nous donnerait l'envie de partir en queste. Aujourd'hui le livre n'est plus qu'un produit. On encombre la Création, on encombre l'esprit des gens. Plus que jamais, il convient de se taire, de garder le secret. C'est la seule façon de faire résistance.
[1] Extrait de Erotique et érotisme. Préface d'Alina Reyes, postface de Sarane Alexandrian. Co-édition Rafael de Surtis, 2004. ISBN 2-84672-041-X et Editinter ISBN 2-915228-40-X. Livre d’entretiens avec huit femmes sur l’érotique et l’érotisme : Jacqueline Kelen, Chloe des Lysses, Karine, , Véronique Guérin-Macznik, Matti King, Isabelle Yhuel, Florence Marguier, Diane Bellego
[2] Extrait de son livre Propositions d'amour, aux Editions Anne Carrière p.79 et 80.
[3] Extrait de son livre Propositions d'amour, aux Editions Anne Carrière p.59 et 60.
[4] Extrait de son livre Propositions d'amour, aux Editions Anne Carrière p.35.
[5] Marie-Madeleine, un amour infini. Chez Albin Michel, 1982.
[6] Extrait de son livre Propositions d'amour, aux Editions Anne Carrière p.159.
Erotique et érotisme.Préface d'Alina Reyes, postface de Sarane Alexandrian. Co-édition Rafael de Surtis, 2004. ISBN 2-84672-041-X et Editinter ISBN 2-915228-40-X.