Articles
(…) Quand il s’appuie au bar pour prendre un verre, on cherche d’instinct, des yeux, des oreilles et du cœur, l’orchestre du Titanic, l’iceberg douloureux qui dérive dans la nuit de la mémoire et les feux de Bengale, tirés depuis les canots de sauvetage de la parole, de l’amitié et de l’amour. On appelle cela, avec souvent un peu de mépris pour cette innocence native, le lyrisme, mais très peu de poètes peuvent se le permettre sans passer pour des bateleurs de foires littéraires, des gogos ou des dragueurs de (petites) mines de minettes en bas bleus…
Ici, nous avons affaire à du solide, c’est à dire à du fragile qui n’a pas peur des mots : grâce à eux, nous n’avons pas besoin de mentir, ils le font pour nous ; grâce à eux, on sait que la beauté n’est pas un spectacle, n’est pas spectaculaire, mais qu’elle demeure une fenêtre ouverte sur la spéculation passionnée de sa présence possible, prochaine et en tout cas promise chaque fois qu’un poète s’égare à sa recherche.
Michel Baglin est un poète de survie au sens où l’on parle de couverture et de ration de survie. Rien de minimaliste dans ce terme, rien non plus d’inquiétant, en tout cas de dramatique. Au contraire. Les livres de Michel Baglin sont d’abord des compagnons de route. (…) Cette poésie ne cache rien des failles, des doutes, des nostalgies, des errements de qui n’a jamais su le fin mot de l’histoire. Mais qui jamais n’a cessé de le chercher, non dans d’absconses pensées métaphysiques mais bien au cœur des choses, dans la pesanteur du monde. Les livres de Michel Baglin nous empêchent de nous envoler trop haut, emportés par notre propre lyrisme, notre propension à la spéculation. Grace à eux, nous ne perdons jamais de vue les chemins et les sentiers de montagne, le coin des rues et les bistrots des villes, ceux qui les fréquentent, les traces, parfois à demi effacées, abandonnées, du travail des hommes. (…) Baglin est un poète à fleur de réel, corps et esprit à parts égales, sensations et sentiments indissociables, qui cherche à dire au mieux ce qui est, ce qu’il est, mais aussi ce qui le dépasse, ce qu’il soupçonne, cet obscur vertige des vivants.
Si comme moi vous aimez les trains, ce petit livre d’amour (« Entre les lignes ») est pour vous. Personne depuis Cendrars et Larbaud n’avait aussi bien évoqué les paysages défilant à travers la fenêtre, le son si rassurant des roues sur les rails, les locos fumantes, les tortillards comme les TGV. »
(…) Son premier roman (« Lignes de fuite ») nourrit son originalité de cette double appartenance : écrit dans un style que l'abondance des dialogues rend très proche de la langue parlée et de lecture très facile, la richesse de son vocabulaire et la variété de ses expressions le préserve néanmoins de toute platitude. Son histoire relève du fait divers et de l'enquête semi-policière à laquelle se livrent deux journalistes intrigués par la fréquence des exactions commises contre les poids-lourds aux environs de leur petite ville. (…) L'attention du poète aux frémissements de la vie se révèle au détour des situations et des phrases auxquelles elle confère toute leur épaisseur. On a pour seul regret la brièveté de ce récit, vraie réussite d'un jeune auteur.
(…) Michel Baglin sait communiquer les échos de cette tragédie quotidienne (la violence routière), lui conférer la dimension d'un polar en tissant deux histoires parallèles qui se rejoignent quelque part, là où le destin le décide. Il le fait avec une écriture sobre, efficace, riche de suggestions. Il campe des personnages de tous les jours, révélant à d'infimes détails qu'ils peuvent aussi, sans en avoir l'air, être des marginaux. Comme ce Mangin qui habite une gare désaffectée et reconstruit un univers disparu qui s'impose à lui comme la seule réalité à laquelle il puisse tenir. C'est que l'auteur sait user des mots et des images en poète qu'il est. De là sa réussite.
Pour prendre le train, lisez Michel Baglin. « Entre les lignes » est un livre nostalgique et délicieux, le livre d’un amant des lignes, des passages à niveau et des locomotives. Si l’on demande à Baglin : « De quel pays êtes-vous ? » il répondra : «Je suis du pays des trains. » Un pays qu’il connaît comme sa poche et qu’habitent des personnages que nous n’oublierons plus.
(…) C’est dire s’il connaît tout ce qui peut joncher le ballast du langage. C’est dire également s’il mesure à sa vraie proportion tout ce qui vit « Entre les lignes » Tel est, d’ailleurs, tiens!, le titre de son dernier-né, un bouquin d’un format guère plus large qu’un billet SNCF et riche d’abord du chatoiement sépia d’un temps où, pour un gosse rêveur accoudé aux barrières, « chaque train qui passait semblait alors un monde clos et insaisissable, d’autant plus fascinant qu’il emportait son mystère. » (…) Il y a des escarbilles dans ces pages, des vieux quais où commencent « l’infini des rails et le vertige des enfants immobiles » (…) Michel Baglin est de la race migratoire et indolente des Larbaud et des Réda. Un conseil, alors, pour les semaines à venir : ne ratez pas le Baglin. Ses considérations entre les lignes exercent sur le lecteur l’espèce de pouvoir consolateur qu’avait jadis sur le narrateur « l’intimité des compartiments à peine devinée » chaque fois qu’un express disparaissait à l’horizon. Jusqu’à cet aveu final qui fonce en grinçant dans la nuit des souvenirs : « Car au bout des rails, au bout du compte, c’est le monde que j’attendais ».
On pourrait s’attarder sur les formes pratiquées par Michel Baglin et sur son franchissement de ces formes, l’affranchissement qu’il nous propose – et qu’il ose – vis à vis des idéologies qui les portent et qu’elles portent. Ainsi Michel est poète, nouvelliste, journaliste, essayiste, romancier, mais il refuse de correspondre à l’idée (reçue) qu’on se fait d’un poète, d’un nouvelliste, d’un journaliste, d’un essayiste, d’un romancier : il s’aventure aux confins, toujours critique, nomade, entre les zones balisées, piégées ; il échappe aux polices de la pensée. D’où il se tient, il peut voir l’enchevêtrement des voies, entrer dans une solitude, sympathiser avec un clandestin. Il n’est pas un train dans ses rails. Il est une gare de triage.
A travers la première personne (de « la Balade de l’Escargot »), nous entrons dans la conscience tourmentée du narrateur, architecte dont « la vie s’effiloche par tous les bouts », réfugié dans la double coquille de son camping-car et du silence. Très subtilement menée, l’intrigue diffuse ses révélations successives, sans artifices, avec un naturel confondant, imbrique les histoires les-unes dans les autres, tisse la toile des épreuves partagées.
Dans un livre émouvant et juste, le poète Michel Baglin paie sa dette aux chemins de fer qui, dans un sifflement de western, ont traversé son enfance. Chaque année, il allait passer quelques jours chez ses cousins, gardes-barrière à Sartrouville. Le petit Michel a connu dans leur maisonnette ballottée par les galops machinaux des moments d’ivresse, un mélange de terreur et de fascination et d’inoubliables nuits blanches, voyageuses. Près de La Rochelle, où se déroulaient ses vacances d’été, il préférait aux bains de mer la fréquentation sous abri des « bisons d’acier », dans un dépôt de la SNCF où travaillait un de ses oncles, lampiste de son état. Il admirait les manœuvres du pont tournant, montait avec émotion dans les locomotives, observait le chauffeur nettoyer la chaudière avec du suif et ouvrir le gueulard, revenait plein de taches d’huile et de cambouis. Il doit son plus beau souvenir au mécano qui l’a laissé un jour conduire, sur quelques mètres, une Pacific. La nuit suivante fut rythmée, dans un rêve qui n’en finit toujours pas, par la musique métallique du dépôt, « les fumerolles enveloppant les locomotives au pied des tours à charbon, la silhouette des hommes en bleu de chauffe peaufinant les graissages devant des roues plus grandes qu’eux, les tourbillons de vapeur mouillant les fosses à piquer, les éclats huileux des bielles sous les falots et les lampes tempêtes accrochées à la grue hydraulique».
(…) Avec « Lignes de fuite », son premier roman, Michel Baglin met sur rail deux histoires parallèles, lancées à toute vitesse vers le point abstrait de leur jonction. D’une part le récit de Jacques Careyon, vengeur solitaire qui écume les réseaux routiers à la recherche de la clef d'un drame, d'autre part une série de carambolages criminels qui donne au livre sa tonalité de roman noir. Si Michel Baglin met sur le tapis la violence routière comme matériau de base, cette omniprésence de la route n'en prend pas moins la dimension d’une métaphore où la vie se perdrait elle aussi entre vitesse et vertige. Entre la solitude qui tue et la tête contre les murs. Cette fuite en avant soulève bien plus qu'une enquête policière, elle mettra l'accent avant tout sur ces interrogations qui taraudent les personnages jusqu’au plus petit : comment se glisser dans le réel, comment croire à l'ivresse de sa propre écriture, comment échapper au vertlige de questions sans réponse... Et il y a comme une veine américaine dans ce psycho-polar où les angoisses humaines se jouent désormais sur l'asphalte.