Pendant mes cinq années d’école primaire, je fus couverte par un Nom, George Sand. Élèves, nous n’avons jamais connu exactement la grandeur de ce Nom, ni ses péripéties, ni ses actions et ses arts, mais nous avons toujours su qu’il s’agissait d’une DAME et qu’elle portait un prénom d’homme. Quelle autorité pendant cinq ans et quel programme en mode musical, avec ses notes et ses silences, à la façon de la jeune Aurore Dupin écoutant les envolées du clavecin !

Cette Femme avait écrit des livres aux titres étonnants et nous donnait son Nom à nous élèves de l’École des Filles qui côtoyions l’École des Garçons Voltaire, dont le prénom était omis. Avec George Sand, j’eus dix ans. Avec elle, je passai de ma première décennie à la seconde. Avec la voyageuse du Berry à Paris, à Venise, et en tant d’autres régions françaises ou lieux méditerranéens, je voyageai dans un parcours si peu fréquent chez les humains qu’il n’arrive qu’une fois ou deux par vie, ajouter un chiffre au nombre des années. Avec George Sand, je passai des chiffres unitaires, six, sept, huit et neuf, aux deux chiffres de dix et onze qui inaugurent une longue période, itinéraire maximal de quatre-vingt dix années. Après, il en faudrait trois, chiffres.

            Du Cours Préparatoire aux Cours Moyens, comme si nous étions nées en la connaissant, son Nom et son Prénom ne nous surprenaient pas. Pourtant, nous nous octroyions un plus par rapport aux garçons et aux filles des autres écoles car ils ne pourraient imaginer, eux, qui était George Sand.

Quelque trente cinq années après, je retrouve la Dame m’accueillant dans la Société qu’avec des hommes de son époque elle fonda, la Société des Gens De Lettres, SGDL. La voici à Paris sur la grande tapisserie de l’Hôtel de Massa. George Sand assise avec son éventail, pose-t-elle pour le tableau ? Elle est avec Gustave Flaubert, Honoré de Balzac, Victor Hugo, Alexandre Dumas. Elle est un peu plus âgée qu’à l’époque où elle courait avec les garçons du village et où elle faisait galoper son cheval en se rendant attentive à la vie des paysans et de leurs fadettes. Elle aime toujours les jeux, jeux de piano de ses amis Liszt et Chopin, et jeux de théâtre et de marionnettes qu’elle produit encore avec ses enfants et ses petites filles.

De mon côté aussi, des décennies se sont ajoutées et ont parfois changé mes jeux, des jeux d’orgues aux jeux des lettres, des rires ou fous rires du lycée et de la fac aux recherches sans quiétude pour que vienne de la justice entre les humains. George Sand avait noté ce qui tournait autour de la Mare au Diable et paralysait les paysans de son temps ; elle garantissait pour ses élèves que nous étions une application et un empressement sur nos propres chemins, dans nos propres rencontres. Une continuité dans l’entrain de nos vies. 
 
 
                                                                          
Tapisserie d'Aubusson sur un carton de Georges Rohner, 1956, hôtel de Massa, dépôt du Mobilier national