Un conte de Noël
La femme soldat
(ma traduction)
Introduction
Roberto De Simone, admirable « conservateur » de la tradition orale de la région de Naples, entre 1967 et 1986, a sillonné les campagnes pour enregistrer contes et chants qu’il a ensuite retranscrits et publiés dans plusieurs recueils[1].
Le conte qui suit est tiré de « Racconti e Storie per i 12 giorni di Natale » (Contes et histoires pour les 12 jours de Noël), un livre édité en 1987 par le quotidien napolitain « Il Mattino ».
Personne pourrait parler de Noël mieux que le Maestro De Simone même, j’ai donc choisi des passages de son introduction à ces histoires qu’il a retranscrites en napolitain et puis traduites en italien, en respectant le style direct, épuré, voire cru des vieux conteurs.
« (…) Les thèmes abordés font référence à la cyclicité du temps, aux mythes antiques, à des rituels transformés, ainsi qu’à des éléments emblématiques, religieux et magiques propres à la tradition populaire.
« (…) Ces contes à l’empreinte fortement fantastique s’inscrivent dans un Noël symbolique, un Noël en tant que période de ritualité, au moment où tout se détruit pour se régénérer, un moment où le temps est suspendu et se dilue dans un retour surréel et onirique des langages collectifs.
« (…) Les liens avec le discours narratif italien, européen et oriental sont clairement perceptibles, nombreux les points communs avec le recueil publié par Italo Calvino en 1956, avec les Mille et une nuit, avec les contes russes réunis par Afanasjev…
Il était une fois une jeune fille qui, un jour, mit des habits de garçon et partit s’enrôler dans l’armée. Elle était si belle que la fille du roi en tomba amoureuse. Elle disait à son père : — Faites-moi accompagner chez ce soldat — Et elle lui faisait comprendre clairement que ce jeune homme lui plaisait et qu’elle voulait l’épouser.
Le soldat, lui, croyant se tirer d’affaire lui disait : — Tu me veux vraiment ? Mais moi je n’ai rien de rien !
La princesse, elle, ne voulait pas entendre raison : — je m’en fiche que tu n’aies rien, je te veux quand même.
Enfin, à force d’insister, elle réussit à l’épouser. Mais, après le mariage, elle était toujours triste, parce que son mari ne lui faisait jamais une caresse, il ne la touchait même pas.
Alors, elle s’en alla le dire à son père.
— Oh, et qu’est-ce que tu veux maintenant ? C’est toi qui l’as voulu — lui répondit le roi. Mais il pensait déjà à comment il pouvait se débarrasser de lui.
Il se rappela alors que, dans le passé, il était sorti vainqueur d’une guerre contre un autre roi et que celui-ci lui devait beaucoup d’argent. Il dit à sa fille :
— Tu sais ce qu’on va faire ? On va l’envoyer là-bas. Il va se faire tuer et tu en seras débarrassée !
Ainsi, le roi appela le soldat, lui donna une lettre et lui dit : — Tu dois aller dans tel pays, chez tel roi. Tu vas lui réclamer telle somme. Ne reviens pas sans cet argent.
Le soldat obéit et partit. Le roi lui donna une bourse pleine de pièces d’or pour qu’il s’achète à boire, à manger, une voiture avec deux chevaux et tout ce qui pouvait lui servir pour le voyage.
Le soldat se mit en route et, sur le chemin, il aperçut un homme qui tenait un fusil de sept mètres de long : — Brave homme, que fais-tu avec un fusil si long ?
L’autre répondit : — M’sieur, il y a sept heures j’ai tiré sur un oiseau qui n’est pas encore tombé.
— et combien gagnes-tu par jour ?
— Cinq lires par jour.
—Viens avec moi, je t’en donnerai le double.
Plus loin, il aperçut un autre bonhomme, les fesses à l’air. Il alla le voir et lui dit : — Qu’est-ce que tu fais comme ça ?
— Eh M’sieur, moi, quand je me sens en danger je me mets cul nu et je fais éclater un orage.
— Très bien ! Tu me seras utile, monte donc dans ma voiture.
Plus loin encore, il tomba sur un autre bonhomme qui avait l’oreille collée au sol.
— Brave homme, qu’est-ce que tu fais avec ton oreille par terre ?
— Maître, c’est comme ça que je sais tout ce qui se passe jusqu’à sept-huit miles d’ici.
— Dis-moi, combien gagnes-
— tu par jour ?
— Cinq lires.
— Moi je t’en donnerai dix, tu viens avec moi ?
— Oui M’sieur. Et il monta dans la voiture.
Ainsi, ils allèrent voir ce roi, ils lui donnèrent la lettre et lui réclamèrent les sous de la part de leur roi.
Le roi répondit : — Je veux bien te donner cet argent, mais d’abord il faut qu’on se mette d’accord. Moi, je choisirai un coureur et toi un autre. Ils devront aller me chercher de l’eau folle. Celui qui me la rapportera le premier, il aura gagné. Si le tien arrive le premier, je te donnerai les sous, sinon je te tue.
Le soldat accepta le défi et demanda un peu de temps pour réfléchir.
Le roi, entre-temps, prépara son coureur et lui dit : — toi, au bout d’un moment, fais mine de vouloir casser la croûte. Tiens, voilà un somnifère. « Ne t’en fais pas ! —lui diras-tu — On ne va pas se crever à force de courir, non ? Cassons donc la croûte ». Après quoi, tu lui feras un peu la causette, tu lui donneras à boire, il s’endormira et toi, tu arriveras le premier.
Ainsi, pendant la course, le coureur du roi s’arrêta, donna à boire et à manger à l’autre, et celui-ci s’endormit. Alors, il lui mit une tête d’âne sous la tête et s’en alla.
Le soldat se faisait du souci pour son coureur et dit : — Brave homme, toi qui entend de très loin tout ce qui se passe, vois un peu ce que fait notre coureur.
L’homme colla son oreille au sol. — Eh, M’sieur, notre coureur est en train de dormir sur une tête d’âne.
— Brave homme, avec ton fusil de sept mètres, fais sauter cette tête d’âne sur laquelle dort notre coureur.
D’un coup de fusil, l’homme tira sur la tête d’âne. Le bruit fut si grand que le coureur se réveilla, se mit à courir comme un éclair et arriva le premier : il prit de l’eau folle et l’apporta au palais.
Ainsi, le soldat gagna la partie et le roi dut lui donner tout l’argent qu’il lui devait.
Il monta donc dans sa voiture et prit le chemin du retour avec ses compagnons. Mais le roi envoya tout un régiment de soldats à ses trousses avec l’ordre de tuer tout le monde et de lui rapporter son argent.
Le soldat dit alors à celui qui mettait son oreille par terre : — Brave homme dis-moi si quelqu’un nous suit.
— Il y a je ne sais pas combien de soldats qui arrivent pour nous tuer !
— Toi, brave homme, met-toi cul nu et fais éclater un orage.
Celui-ci mit ses fesses à l’air et fit éclater un orage que personne n’avait jamais vu : du vent, des arbres renversés, une pluie de cailloux !...
Les soldats, en voyant une telle tempête, firent demi-tour.
— Brave homme, colle ton oreille à terre et dis-moi si quelqu’un nous suit.
— Personne ne vient. Maintenant nous sommes en sécurité.
Et ils poursuivirent leur chemin.
Arrivés dans un bois, ils virent tout d’un coup une toute petite maison. Comme ils avaient faim, ils s’arrêtèrent.
— Là habitait un ermite. Mais il était sorti.
Sur une table, il y avait une miche de pain et un verre d’eau.
Le soldat dit : — Pour ma part, je n’en mangerai pas — il coupa le pain en trois et le partagea entre ses compagnons. Ceux-ci mangèrent et repartirent chez eux.
Quand l’ermite fut de retour, il dit : — Comment ! Où sont passés mon pain et mon eau ? Si celui qui m’a volé est un homme, il deviendra femme et si c’est une femme, elle deviendra homme.
C’est comme ça que le soldat fut changé en homme. Il retourna auprès du roi et lui rapporta son argent. Il retourna auprès de sa femme et lui montra qu’il était bien un homme.
Alors le roi fut content d’avoir récupéré ses sous, et sa fille fut contente d’avoir récupéré son homme.
Et tous furent heureux, ravis et abasourdis
Eux debout et nous autres assis.
Les autres contes de ce recueil.
- L’histoire de Maît’ Francisco
- L’histoire de Sainte Marine
- Mère Sirène
- Saint Aniello et Sainte Anella
- Le Cavalier de Mère Schiavona
- Le dévot de Saint Joseph
- La chatte Cendrillon
- Carnaval et Saint Pierre
- Les trois sœurs
- Les treize brigands
- Le conte de la scarole
- Le loup garou
- Les miracles du Bienheureux Egide
- L’enfant qui donna à manger à Jésus Christ
- L’histoire des deux commères
- L’histoire de Lucrèce la Romaine.
(NB : les noms Saints et même celui de Jésus-Christ, qui figurent dans certains titres ont plus attrait à magie qu’à la religion au sens strict)
#[1] (avec Giuseppe Vettori) “Canti e tradizioni popolari in Campania”, Lato Side 1979 et “Fiabe Campane, i novantanove racconti delle dieci notti”, Einaudi - 1994