Les lys de Nola
 
 
La fête religieuse, qui se déroule le dimanche le plus proche du 22 juin, date anniversaire de la mort de Saint Paolino, évêque de Nola, - tire ses origines d’une légende chrétienne de la tradition orale, retranscrite par le Pape Grégoire 1er le Grand [1].
Lors de l’invasion des Vandales au Ve siècle, beaucoup d’habitants sont capturés, envoyés et réduits en esclavage sur le continent africain. Parmi eux, le jeune fils d’une veuve sans biens, laquelle implore l’évêque Paolino de l’aider à trouver l’argent pour la rançon. L’évêque, ayant déjà tout vendu pour libérer une partie des prisonniers, propose aux Vandales un échange avec sa propre personne, ce qui est accepté. Le jeune homme est libéré et l’évêque reste en Afrique. Plus tard, Paolino révèle son identité au roi des Vandales à qui il prédit la fin prochaine de son royaume. Le roi affranchit l’évêque, ainsi que tous ses concitoyens. Ces derniers rentrent à Nola où l’accueil est triomphal. Tous les corps de métier vont accueillir leurs compatriotes en portant chacun un lys.
Depuis lors, les habitants de Nola fêtent cet événement en reproduisant l’arrivée de l’évêque libérateur.
Au cours des siècles les lys se sont transformés en cierges décorés d’épis de blé, lesquels grandissent de plus en plus avec le temps, jusqu’à devenir des tours effilées à la décoration somptueuse, qui, en 1885, atteignent la hauteur actuelle de 25 m.
Depuis toujours l’argent nécessaire à la fête est offert par les artisans et commerçants et huit corps de métiers se disputent un prix pour le plus beau lys, à savoir, les maraîchers, les charcutiers, les aubergistes, les boulangers, les bouchers, les cordonniers, les forgerons et les tailleurs. Au XVIIIe s., on ajoute un neuvième corps de métier, les tanneurs, qui se chargent de la construction d’un nouvel élément, le bateau (en souvenir du navire qui remmena les prisonniers d’Afrique).
Aujourd’hui, l’enthousiasme des habitants de Nola reste intact et les lys attirent toujours autant de fidèles et de curieux qui affluent en masse. Le mot spectaculaire pour définir cette fête est trop faible. L’exubérance de la foule, ses manifestations de joie, qui ne tournent jamais à la violence, est déjà un spectacle en soi. Mais le plus extraordinaire est que ces tours de trois tonnes – auxquelles s’ajoutent les membres de l’orchestre et les chanteurs – sont portées par cent-cinquante hommes, toutes catégories sociales confondues, qui les font « danser » dans les rues étroites du centre historique, pour aller se réunir dans la place de la cathédrale où, le lendemain (le dimanche) a lieu la remise des prix. Tout le long du parcours, les gens s’entassent sur les balcons pour lancer dragées et confetti. La musique assourdissante, le charivari de la foule, créent un véritable état d’ivresse générale.
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Les origines profondes sont en fait toutes autres et bien antérieures au retour des esclaves libérés. Les lys actuels dérivent en réalité de fêtes païennes liées au solstice d’été. A cette occasion, on portait en procession des arbres sacrés, symboles de fertilité et de fécondité. L’arbre a une connotation sexuelle par sa forme et par sa nature qui incarne la puissance et le fort lien de ses racines avec la terre. Plusieurs fêtes d’Italie du Sud reproduisent ce rite antique du transport de l’arbre vers un lieu sacré.
A Nola l’arbre s’est transformé en tour. Leur forme effilée rappelle celle du mât d’un bateau qui, en italien et en napolitain se dit « albero », arbre. Et par le biais de ce mot, on peut rejoindre la consonance sexuelle, dans la mesure où, en napolitain, le sexe masculin est appelé « cazzo » du grec kation, mât.
Par ailleurs, dans l’antiquité, le fait de se dépasser, d’aller au-delà de ses forces en portant des objets extrêmement lourds, faisait partie des épreuves à surmonter en l’honneur de la divinité célébrée.
 
Caractéristiques principales des lys de Nola
Base de la tour : hauteur 3 m largeur 2.60
Hauteur finale : 25 m
Matériau : bois de peuplier
Assemblage : chevilles en acier doux
Porteurs : 150 hommes + 50 pour le relais
Poids : 3 tonnes + l’orchestre.
 
Vidéos de la fête
 
 
En guise de conclusion de ce très court voyage dans l’imaginaire fertile du peuple campanien, aussi fertile que leur terre et leur civilisation, je traduis un passage tiré de l’ouvrage de Roberto De Simone, « Le signe de Virgile », où j’ai puisé à pleines mains son savoir. Car aucune source, à mon avis, n’aurait été plus fiable, plus exhaustive, plus admirable. C’est par ces quelques lignes qu’il termine son livre magistral sur l’empreinte gigantesque qu’a laissé Virgile dans la culture de notre terre :
 
« Tout cela, dans un îlot de temps et d’espace, où le langage d’un paysan de Villa di Briano a encore ouvert une échappée dans cet espace sacré où vivait la tombe même de Virgile à Naples. Pourtant dans la ligne droite de ce temps sans « retours », sans jours et sans nuits, sans mort et sans vie, les mêmes Madones qui avaient remplacé Virgile, vont le rejoindre pour ne plus remplacer que le néant. Il ne reste qu’un simple vocabulaire où « temps » signifie « chronomètre », « espace » signifie « autoroute », et « Noël » : un adjectif qui, il fut un temps, s’écrivait avec une majuscule. »
 
© Maria Franchini

[1] Né vers 540, élu pape en 590 et mort en 604.