Les errantes ; chroniques ukrainiennes, Le Rocher, 2014
- Interview de Lyane Guillaume avec Sandrine Sebbane sur RCJ le 18 juin 2014.
- Interview avec Sophie Malibeaux sur RFI le 19 juin (diffusée le 6 septembre 2014).
- Interview avec Michèle Eymère pour RCF Nièvre
- Présentation de "Les errantes ; chroniques ukrainiennes" devant les membres de l'Association des Études Ukrainiennes et ceux de Perspectives ukrainiennes.
Quatre années passées à Kiev (2000-2004) et de nombreuses interviews auprès de femmes ukrainiennes ont inspiré à Lyane Guillaume "Les Errantes ; chroniques ukrainiennes", sorti en mai dernier aux éditions Du Rocher.
Ado, que lisiez-vous ?
Adolescente, j’adorais Flaubert, Giono, Rimbaud... puis très vite, j’ai découvert les auteurs russes : Tolstoï, Dostoïevski, Bounine... Gogol aussi, sans savoir qu’il était ukrainien - on disait « russe » pour tout ce qui était soviétique à l’époque. J’ignorais alors qu’un jour, j’irai vivre en Ukraine ! Ces auteurs, je les ai lus (en traduction bien sûr) grâce à une camarade de classe dont le père était au P.C.F. Persuadé sans doute que le communisme dominerait un jour le monde, il avait fait donner des cours de langue et de littérature russes à sa fille... J’en recueillais indirectement les miettes !
Pourquoi avez-vous choisi l’Ukraine et notamment Kiev comme théâtre de votre nouveau roman ?
J’ai passé une bonne partie de ma vie à l’étranger : en Inde (Neuf ans sur deux séjours) ; en Afghanistan (sept ans sur deux séjours) en Russie (cinq ans, d’abord à Saint-Pétersbourg puis à Moscou) en Ukraine (quatre ans). Actuellement, je vis à Tachkent, Ouzbékistan. A chaque séjour, j’ai appris la langue et essayé de comprendre le mieux possible la culture du pays où je me trouvais. Chaque fois, j’en ai tiré un roman qui, basé sur une intrigue mais solidement documenté, essayait de transmettre mon expérience et mon amour de ce pays. J’ai vécu à Kiev entre 2000 et 2004. Mon mari était alors Conseiller culturel et de coopération à l’Ambassade de France, moi je faisais du théâtre et du journalisme. Nous avons sillonné l’Ukraine de long en large au point que nous aurions pu écrire un guide touristique. Kiev était riante et calme malgré des protestations régulières contre la corruption du gouvernement pro-russe. Je me souviens en particulier de l’affaire Gongadzé. Nous avons quitté Kiev juste avant la révolution orange mais j ‘avais eu le temps de me faire des amis, des amies femmes en particulier. Ces femmes étaient nées pendant la guerre froide, avaient connu l’URSS... puis la chute de l’URSS ; leur grand-mère, ou un de leurs oncles, avait été victime des purges ou était mort de faim pendant la grande famine planifiée par Staline pour éliminer les koulaks ukrainiens ; leur frère, leur cousin, avaient « fait » l’Afghanistan ; elles avaient vécu la promiscuité dans un komunalka, avaient rêvé de Paris, vu et revu Delon au cinéma. Puis ç’avait été Tchernobyl, la Pérestroïka, la paupérisation et la débrouille, enfin, l’indépendance de l’Ukraine, la naissance d’une nation puis la Révolution orange de 2004, prémices come on sait des événements de 2014... De ces conversations est née l’idée d’un récit, « Les errantes » qui retracerait le parcours emblématique d’une femme née à Kiev en 1958 : Marina, fille, amante, mère d’une petite fille... et dans son sillage, presque un demi-siècle de l’histoire de l’Ukraine. « Les errantes ; chroniques ukrainiennes », c’est aussi une histoire d’amour entre l’Ukraine et la France et un hommage à l’urbanisme de Kiev, à sa beauté, à travers le parcours en taxi et les scènes qui se déroulent place Ivan-Franko, au pied de la « maison aux chimères » ou sur le « Mont Chauve ». C’est aussi un hommage à mes amis ukrainiens.
Adolescente, j’adorais Flaubert, Giono, Rimbaud... puis très vite, j’ai découvert les auteurs russes : Tolstoï, Dostoïevski, Bounine... Gogol aussi, sans savoir qu’il était ukrainien - on disait « russe » pour tout ce qui était soviétique à l’époque. J’ignorais alors qu’un jour, j’irai vivre en Ukraine ! Ces auteurs, je les ai lus (en traduction bien sûr) grâce à une camarade de classe dont le père était au P.C.F. Persuadé sans doute que le communisme dominerait un jour le monde, il avait fait donner des cours de langue et de littérature russes à sa fille... J’en recueillais indirectement les miettes !
Pourquoi avez-vous choisi l’Ukraine et notamment Kiev comme théâtre de votre nouveau roman ?
J’ai passé une bonne partie de ma vie à l’étranger : en Inde (Neuf ans sur deux séjours) ; en Afghanistan (sept ans sur deux séjours) en Russie (cinq ans, d’abord à Saint-Pétersbourg puis à Moscou) en Ukraine (quatre ans). Actuellement, je vis à Tachkent, Ouzbékistan. A chaque séjour, j’ai appris la langue et essayé de comprendre le mieux possible la culture du pays où je me trouvais. Chaque fois, j’en ai tiré un roman qui, basé sur une intrigue mais solidement documenté, essayait de transmettre mon expérience et mon amour de ce pays. J’ai vécu à Kiev entre 2000 et 2004. Mon mari était alors Conseiller culturel et de coopération à l’Ambassade de France, moi je faisais du théâtre et du journalisme. Nous avons sillonné l’Ukraine de long en large au point que nous aurions pu écrire un guide touristique. Kiev était riante et calme malgré des protestations régulières contre la corruption du gouvernement pro-russe. Je me souviens en particulier de l’affaire Gongadzé. Nous avons quitté Kiev juste avant la révolution orange mais j ‘avais eu le temps de me faire des amis, des amies femmes en particulier. Ces femmes étaient nées pendant la guerre froide, avaient connu l’URSS... puis la chute de l’URSS ; leur grand-mère, ou un de leurs oncles, avait été victime des purges ou était mort de faim pendant la grande famine planifiée par Staline pour éliminer les koulaks ukrainiens ; leur frère, leur cousin, avaient « fait » l’Afghanistan ; elles avaient vécu la promiscuité dans un komunalka, avaient rêvé de Paris, vu et revu Delon au cinéma. Puis ç’avait été Tchernobyl, la Pérestroïka, la paupérisation et la débrouille, enfin, l’indépendance de l’Ukraine, la naissance d’une nation puis la Révolution orange de 2004, prémices come on sait des événements de 2014... De ces conversations est née l’idée d’un récit, « Les errantes » qui retracerait le parcours emblématique d’une femme née à Kiev en 1958 : Marina, fille, amante, mère d’une petite fille... et dans son sillage, presque un demi-siècle de l’histoire de l’Ukraine. « Les errantes ; chroniques ukrainiennes », c’est aussi une histoire d’amour entre l’Ukraine et la France et un hommage à l’urbanisme de Kiev, à sa beauté, à travers le parcours en taxi et les scènes qui se déroulent place Ivan-Franko, au pied de la « maison aux chimères » ou sur le « Mont Chauve ». C’est aussi un hommage à mes amis ukrainiens.
Le désir d’exil et la relation mère fille sont deux thèmes que vous avez particulièrement développés dans « Les errantes ». Faut-il y voir une résonance personnelle ?
En ce qui concerne le thème de l’exil, j’ai rencontré, surtout dans le milieu francophone qui fréquentait l’Ambassade et l’Institut Français, des femmes qui rêvaient de la France depuis toujours. La langue, la littérature, le cinéma français, tout cela faisait partie intégrante de leur vie et de leurs fantasmes. Pendant la pérestroïka et les années de « galère », certaines ont pensé à émigrer. Un jour, une de mes amies ukrainiennes en âge de se marier m’a dit : « Ici, quelle alternative ? Les hommes sont soit des victimes du changement (Pérestroïka, passage à l’économie libérale) donc des déclassés dépressifs et alcooliques... soit des arrivistes sans scrupules. » Cette analyse à l’emporte-pièce m’a frappée et je l’ai utilisée dans « Les errantes ». En même temps, j’ai voulu lutter contre ce cliché de la femme ukrainienne « prostituée » dans l’âme... une image que les Français ont tous. Marina, le personnage principal, est une ancienne danseuse, séduisante certes mais cultivée, intelligente, travailleuse, courageuse, bref attachante, même s’il lui arrive de jouer les « call girls » pour « faire bouillir la marmite » et soigner sa fille malade. Les années 90, c’était la débrouille... J’aime bien montrer dans mes romans (voir par exemple « Laveuse de chiens », sur l’Afghanistan) à quel point la réalité d’un pays, et les gens, ne sont pas ou tout blancs ou tout noirs, et qu’il y a des explications à tout.
En ce qui concerne le thème de l’exil, j’ai rencontré, surtout dans le milieu francophone qui fréquentait l’Ambassade et l’Institut Français, des femmes qui rêvaient de la France depuis toujours. La langue, la littérature, le cinéma français, tout cela faisait partie intégrante de leur vie et de leurs fantasmes. Pendant la pérestroïka et les années de « galère », certaines ont pensé à émigrer. Un jour, une de mes amies ukrainiennes en âge de se marier m’a dit : « Ici, quelle alternative ? Les hommes sont soit des victimes du changement (Pérestroïka, passage à l’économie libérale) donc des déclassés dépressifs et alcooliques... soit des arrivistes sans scrupules. » Cette analyse à l’emporte-pièce m’a frappée et je l’ai utilisée dans « Les errantes ». En même temps, j’ai voulu lutter contre ce cliché de la femme ukrainienne « prostituée » dans l’âme... une image que les Français ont tous. Marina, le personnage principal, est une ancienne danseuse, séduisante certes mais cultivée, intelligente, travailleuse, courageuse, bref attachante, même s’il lui arrive de jouer les « call girls » pour « faire bouillir la marmite » et soigner sa fille malade. Les années 90, c’était la débrouille... J’aime bien montrer dans mes romans (voir par exemple « Laveuse de chiens », sur l’Afghanistan) à quel point la réalité d’un pays, et les gens, ne sont pas ou tout blancs ou tout noirs, et qu’il y a des explications à tout.
À ce propos, je voudrais dire quelques mots sur le titre de mon roman. Le thème de l’errance est lancé dès le début avec la course en taxi –retardée par des manifestations et semée d’embûche dans un véhicule « pourri » - jusqu’à l’aéroport. Assise à l’arrière, Marina se laisse envahir par ses souvenirs. On plonge dans son passé – un passé chaotique jalonné de déménagements, de ruptures en tout genre, bref placé sous le signe de la discontinuité et de l’errance – et là, on est dans une temporalité diffuse, distendue, dans ce que Bergson appelle « le temps de la conscience », qui n’a rien à voir avec la chronologie réelle.
Chez Marina, il y a une attirance pour la France mais en même temps, une vraie tendresse pour l’Ukraine. La fin du roman le prouve... Je n’en dirai pas plus. Si je devais choisir une phrase de mon roman qui donne le ton, je choisirais celle-ci (je rappelle que l’action se passe en décembre 2004, au début de la révolution orange) : « Marina se disait qu’elle quittait son pays au moment où, peut-être, le destin de celui-ci était en train de se jouer ».
La relations mère-fille qui est un des thèmes des « Errantes » n’a rien d’autobiographique, mais le rôle du romancier, comme celui du comédien, n’est-il pas de se glisser dans la peau d’autrui ? A travers cette relation Marina-Oxana, j’ai voulu montrer la psychologie d’une fille atteinte d’une pathologie sexuelle (que je n’ai pas inventée, cette pathologie est répertoriée) liée à la catastrophe de Tchernobyl. On oublie souvent à quel point le peuple ukrainien est un peuple qui a souffert... et que Tchernobyl est en Ukraine ! Je voulais montrer le lien à la mère (fusionnel et conflictuel à la fois) et le sentiment de culpabilité qui ronge le cœur de la mère. En outre, Marina et Oxana représentent chacune une génération de femme ukrainienne. Il y a un fossé entre elles, historique et idéologique, qui illustre l’évolution récente du monde ex-soviétique : Marina est optimiste, habitée par le sens de l’effort et de la discipline, attirée par la culture, et elle déteste le gaspillage. Sa fille est à la fois dans le consumérisme et dans une sorte de cynisme suicidaire. L’épisode des « exploits » filmés m’a été inspiré par une vidéo authentique trouvée sur internet.
Pensez-vous que la littérature soit une clé essentielle pour saisir la profondeur du monde slave ?
Que ce soit pour saisir la profondeur du monde slave ou toute autre réalité historico-sociologique, la littérature est fondamentale, le roman en particulier. Quoi de mieux pour comprendre la France des années 1860-1900 et le Paris d’Haussmann que les romans de Zola ? Cela peut paraître paradoxal mais une œuvre de fiction est parfois plus proche de la « vérité », de l’ « essence » qu’un travail didactique. On peut faire passer dans un roman des éléments subtils, inexprimables, qu’on ne trouvera pas dans un essai ou une thèse, sur la vie quotidienne en particulier. En outre, la vision s’incarne à travers des personnages, des émotions, des subjectivités, des destins qui se croisent et se mêlent, toutes choses qui appartiennent en propre à ce genre qu’on appelle « roman ». À mon échelle, j’ai essayé de raconter une histoire qui donne à un lectorat le plus large possible des clés pour comprendre l’Ukraine et l’aimer.
Hormis la Russie, les pays et peuples d’Europe centrale et orientale n’inspirent que rarement les auteurs français. Pour quelles raisons à votre avis ?
A la base de l’erreur et du préjugé, il y a souvent l’ignorance. Les Français en général sont fascinés par la Russie (on vous parle de l’ « âme russe » comme on vous dirait « Les Africains ont la danse dans la peau ») mais ils connaissent mal la périphérie. C’est dire comment ils voient l’Ukraine dont le nom signifie précisément « périphérie », « frontière » ! Quand j’ai dit à l’éditeur que je préparais un roman sur l’Ukraine, il s’est exclamé : « Oh là là, mais c’est loin des Français, tout ça ! ». On passera sur le « ça », sarrautien en diable et sur cette conception « exagonale », voire « germanopratine » du roman - comme si la lecture ne devait pas être synonyme d’ouverture !... J’ai changé d’éditeur et un an plus tard, l’Ukraine faisait la une de l’actualité !... D’ailleurs, je pense que les événements récents, malgré – et grâce à - leur caractère tragique, ont contribué à donner une « visibilité » à l’Ukraine. La résistance, les combats, les victimes devenues des martyrs, l’ont hissée aux yeux de l’opinion internationale au rang de véritable nation.
Que ce soit pour saisir la profondeur du monde slave ou toute autre réalité historico-sociologique, la littérature est fondamentale, le roman en particulier. Quoi de mieux pour comprendre la France des années 1860-1900 et le Paris d’Haussmann que les romans de Zola ? Cela peut paraître paradoxal mais une œuvre de fiction est parfois plus proche de la « vérité », de l’ « essence » qu’un travail didactique. On peut faire passer dans un roman des éléments subtils, inexprimables, qu’on ne trouvera pas dans un essai ou une thèse, sur la vie quotidienne en particulier. En outre, la vision s’incarne à travers des personnages, des émotions, des subjectivités, des destins qui se croisent et se mêlent, toutes choses qui appartiennent en propre à ce genre qu’on appelle « roman ». À mon échelle, j’ai essayé de raconter une histoire qui donne à un lectorat le plus large possible des clés pour comprendre l’Ukraine et l’aimer.
Hormis la Russie, les pays et peuples d’Europe centrale et orientale n’inspirent que rarement les auteurs français. Pour quelles raisons à votre avis ?
A la base de l’erreur et du préjugé, il y a souvent l’ignorance. Les Français en général sont fascinés par la Russie (on vous parle de l’ « âme russe » comme on vous dirait « Les Africains ont la danse dans la peau ») mais ils connaissent mal la périphérie. C’est dire comment ils voient l’Ukraine dont le nom signifie précisément « périphérie », « frontière » ! Quand j’ai dit à l’éditeur que je préparais un roman sur l’Ukraine, il s’est exclamé : « Oh là là, mais c’est loin des Français, tout ça ! ». On passera sur le « ça », sarrautien en diable et sur cette conception « exagonale », voire « germanopratine » du roman - comme si la lecture ne devait pas être synonyme d’ouverture !... J’ai changé d’éditeur et un an plus tard, l’Ukraine faisait la une de l’actualité !... D’ailleurs, je pense que les événements récents, malgré – et grâce à - leur caractère tragique, ont contribué à donner une « visibilité » à l’Ukraine. La résistance, les combats, les victimes devenues des martyrs, l’ont hissée aux yeux de l’opinion internationale au rang de véritable nation.
J’ajouterai ceci qui peut paraître incroyable : Presque un quart de siècle après, bien des Français n’ont pas encore intégré mentalement la chute de l’empire soviétique et l’indépendance des pays qui en faisaient partie... « Alors, tu vas vivre en Russie ! » s’est exclamée une personne à qui j’annonçais que je partais en Ouzbékistan.
Quel est pour vous le plus grand personnage de l’histoire de l’Ukraine, et pour quelles raisons ?
Des hommes d’État, des combattants, cosaques, résistants ou militants qui ont marqué l’histoire du pays et contribué à forger son identité, l’Ukraine n’en manque pas : Yaroslav-le-sage à sa façon, Mazeppa, Bogdan Khmelnitsky – on ne citera pas Bandera, bien peu consensuel ! - mais c’est un poète (et peintre) que je choisis comme « héros national » : Taras Chevtchenko, figure emblématique du réveil national de l’Ukraine au 19ème siècle. Ses racines paysannes font écho à la dimension profondément rurale de l’Ukraine, et le fait que, fils de serf, il se soit libéré grâce à sa volonté et à ses talents, me paraît aussi tout un symbole. Surtout, il a donné ses lettres de noblesse à la langue ukrainienne, et la langue est bien sûr un élément fondamental pour la construction d’une identité.
Vous souvenez-vous où vous étiez le 24 août 1991, jour de l’Indépendance de l’Ukraine ?
Je vivais en Inde à l’époque et je venais de publier mon deuxième roman, mais la nouvelle de l’effondrement du bloc soviétique puis de l’Indépendance de l’Ukraine entre autres, nous a tous profondément marqués. C’était le vent de l’Histoire avec un grand H qui passait par là... J’avais déjà ressenti cela fin 1979, début janvier 1980 : je me trouvais à Kaboul depuis un mois... et voilà que l’Armée rouge envahissait l’Afghanistan ! ... Pour en revenir à l’été 1991 en Inde, un détail inédit m’avait frappée : au pied du fort rouge de Delhi, on a vu apparaître des femmes slaves (blondes, assez fortes, vêtues à l’occidentale) entre trente et soixante ans. Elles avaient étalé sur le trottoir quelques bricoles – vaisselle, moulins à café, mixers, cuillers en bois, vêtements usagés...- qu’elles essayaient de vendre aux passants indiens. J’ai senti comme un basculement de l’Histoire...
J’ai entendu de nombreux témoignages d’amis ukrainiens sur ces journées mémorables de l’Indépendance (comme j’en ai entendu sur le jour où la centrale de Tchernobyl a explosé) et je m’en suis inspirée dans « Les errantes ». Plusieurs chapitres de mon roman sont d’ailleurs consacrés à ces années 1991-1992 à la fois exaltantes et douloureuses.
Je vivais déjà à Kiev en 2001 au moment où ont été célébrées en grande pompe les dix ans de l’indépendance de l’Ukraine. Je me souviens avoir flâné des heures, mon appareil photo à la main, dans les rues animées et joyeuses, pavoisées de jaune et bleu. Quelques mois plus tard, j’ai vu des hommes grimper à l’assaut de l’hôtel « Moskva » pour le rebaptiser « Ukraina ». Des gens s’arrêtaient, commentaient, faisaient des remarques... Je me suis assise sur un banc et là aussi, j’ai observé, pris des notes et des photos. Ces notes, ces photos, m’ont servi pour écrire « Les Errantes ; chroniques ukrainiennes ».
Propos recueillis par Frédéric du Hauvel
Jean-Louis Gouraud pour La Revue
LES ERRANTES, CHRONIQUES UKRAINIENNES – Le nouveau roman de Lyane Guillaume, expatriée depuis 35 ans
Lyane Guillaume s’est inspirée de chaque pays où elle a séjourné pour écrire ses romans. Lepetitjournal.com l’a rencontrée à l’occasion de la sortie de son dernier ouvrage, Les errantes, chroniques ukrainiennes
Lepetitjournal.com : Les errantes, chroniques ukrainiennes est sorti aux éditions du Rocher en mai. Comment vous est venue l’idée de ce roman? Que raconte-t-il ?
Lyane Guillaume : Ce roman est inspiré par un séjour de quatre ans en Ukraine que j’ai effectué entre 2000 et 2004 alors que mon mari était en poste à l'ambassade de France à Kiev. Nous parlons russe et nous avons parcouru ce pays de telle façon que nous le connaissons très bien.
Le roman commence en 2004 au début de la Révolution orange. À cette époque, des jeunes Ukrainiens commençaient à protester contre des élections truquées et manifestaient leur souhait de se rapprocher de l’Europe. L’héroïne et sa fille s’apprêtent à quitter Kiev pour la France. Pendant tout le trajet de taxi qui les conduit vers l’aéroport, elles vont être retardées, notamment par les manifestations. En même temps au cours de ce trajet, il y a des souvenirs qui viennent à l’esprit de la mère Marina : la façon dont elle a vécu l’époque soviétique, la perestroïka, l’indépendance de l’Ukraine, la catastrophe de Tchernobyl…
Vous plongez les lecteurs dans des événements qui ont marqué l’Ukraine. La fiction est presque un prétexte.
Je fais tout pour que la partie documentaire ne soit pas pesante. Il faut rester dans la spontanéité. Ce roman ne parle pas seulement de 50 ans de l’histoire de l’Ukraine, c’est aussi l’histoire d’une relation entre une mère et sa fille. La mère Marina a dû se battre pour gagner sa vie, elle a horreur du gaspillage. Sa fille est tout le contraire, elle est née en 86 et appartient à une génération consumériste. Elle n’a pas la profondeur de sa mère.
Dans votre livre, on perçoit déjà les prémices des événements actuels. Pourtant vous l’avez écrit bien avant.
Quand vous écrivez un roman, il arrive des choses étonnantes, comme si vous anticipiez ce qui va arriver. Quand, j’ai écrit Les errantes en 2011, je ne pensais pas à ce qui allait se passer. Lorsque j’en ai parlé à mon éditeur, il m’a dit : "Mais l’Ukraine n'est-ce pas un peu loin des préoccupations des Français ?" Peu de temps après l’Ukraine faisait l’actualité.
Je suis assez contente de l’avoir écrit avant les événements de 2014 car il y a une fraîcheur et une spontanéité qui rendent ce roman plus véridique. Je n'étais pas obligée de prendre systématiquement partie pour mes amis pro-ukrainiens, qui étaient tous sur la place Maïdan. J’aurais sans doute été plus sévère avec la Russie.
Lyane Guillaume a vécu quatre ans en Ukraine.
Dans vos romans, vous mélangez la fiction et la réalité du pays dans lequel vous avez vécu. Comment vous documentez-vous ?
J’ai beaucoup lu sur l’Ukraine, parlé avec les gens, interviewé des Ukrainiennes. Tout ce que je raconte sur les femmes ukrainiennes est vérifié. Je suis allée à Tchernobyl. Entre les lectures, les conversations, les interviews et la vie quotidienne là-bas, j’ai accumulé suffisamment d’informations pour faire un roman qui soit un roman documentaire, presque un témoignage. Les héroïnes sont inspirées de diverses personnes que j’ai rencontrées.
Vous avez vécu en Afghanistan, en Inde, en Russie, en Ukraine, et maintenant vous vivez en Ouzbékistan. Racontez-nous votre parcours. Sont-ce vos voyages qui vous ont permis d’écrire vos six romans ?
Cela m’a effectivement permis d’écrire des romans, ce que j’avais toujours voulu faire. Au départ, j’ai suivi mon mari, archéologue, à l'étranger. J'étais jeune professeur de lettres, je me suis mise en congé et je suis partie. Mon mari a ensuite rejoint le ministère des Affaires étrangères et sa carrière a influencé mon propre destin.
Trois mois après notre arrivée en Afghanistan, en 1979, l’Armée rouge envahissait le pays. D'où mon premier roman, Les riches heures de Kaboul. D’un deuxième séjour en Afghanistan (2000-2004), j’ai tiré Laveuse de chiens, l’histoire d’une jeune styliste afghane qui vivait en France et qui revient, par amour pour son pays natal, monter un atelier de couture avec des femmes afghanes. On appelle "laveurs de chiens" les Afghans qui ont quitté leur pays pendant les troubles et qui reviennent une fois la situation apaisée.
Sur l’Inde, j’ai écrit Fière et intouchable qui raconte l’histoire d’une famille d’intouchables à travers quatre générations de femmes et Jahanara sur la fille de l’empereur qui a construit le Taj Mahal. J’ai vécu ensuite en Russie où j’ai écrit La Tour Ivanov.
Comment avez-vous fait pour vous adapter dans chaque pays ?
S’adapter à un pays cela passe par la langue. En Inde, je parlais anglais ; en Afghanistan, j’ai appris le persan ; en Russie, j’ai appris le russe. Cela passe aussi par les gens, les connaissances, les amis. Et puis j’ai eu de nombreuses activités, de la danse classique indienne, du yoga. J’ai écrit pour le théâtre. En Russie, je présentais une émission francophone sur la radio Voix de la Russie et j’ai écrit pas mal d’articles. À chaque fois que j’ai été dans un pays, j’ai endossé un "avatar" différent, j’ai été journaliste, professeur, danseuse. Cette capacité d’adaptation fait que je me suis plu dans chaque pays.
Vous avez arrêté votre carrière d’enseignante pour suivre votre mari, et vous l’avez toujours suivi depuis. Qu’auriez-vous envie de dire aux femmes qui vivent mal cette situation ?
Cela peut être vécu comme une expérience positive et enrichissante à condition d’être ouvert et d’avoir l'envie de comprendre le pays. Il faut sortir de chez soi et des cercles d’expatriés. Aller à la rencontre des gens du pays, avoir des activités qui vous permettent de vous faire des amis. Etre une femme d'expatrié est peut-être moins bien vécu aujourd'hui qu'autrefois. Pour ma part, je n'en ai jamais souffert. J'ai su au contraire en tirer profit pour développer des activités créatrices et artistiques.
Propos recueillis par Bénédicte Buisson (www.lepetitjournal.com) Mardi 29 juillet 2014
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