Ou comment l’on devient écrivain de son terroir ? ...
    Née le 20 mai 1944 à Sécheval, village-clairière de près de cinq cents habitants, au cœur de la forêt ardennaise, j‘exercerai, à partir de 1960, la profession de Préparatrice en Pharmacie au chef-lieu de mon canton (Renwez) bien connu pour son célèbre et original Musée de la Forêt (en plein air, sur une étendue de 11 ha).
    En 1966, j’épouse Daniel Bésème, nous aurons deux enfants : Frédéric (1970) et Sophie (1974).
    En 1976, à l’occasion de cette seconde naissance ainsi que d’une nouvelle promotion de mon mari (Cadre E.D.F.), je quitte mes chères Ardennes pour le département de la Marne où je me trouve en relation, après quatre années passées à Montmirail (aux confins de la grande plaine de la Brie), avec un monde tout à fait nouveau pour moi, celui du vignoble et du champagne...
    Car en effet, en 1980, nous déménageons pour Dormans où notre pavillon de fonction se trouve tout près de la fameuse chapelle du souvenir de la guerre 14-18 !... mais encore, à deux pas des précieuses treilles qui donnent le non moins précieux breuvage, non seulement au pays marnais... mais au monde entier !  
    Ensuite, ce sera Épernay, en 1983, vrai creuset du champagne ! Puis Reims, de 1991 jusqu’en 1999 (date de la mise à la retraite de mon mari) où nous apprécions particulièrement la “Capitale des sacres des rois de France” et sa magnifique cathédrale du 13e siècle, ornée de son ange au doux sourire immuable, autant mystérieux,  énigmatique et réputé que celui de la Joconde !... Ce qui n’est pas peu dire !

    Comme nous sommes propriétaires, dans mon village natal, au charme suranné mais indéniable, d’une vieille maison ardennaise un peu désuète, ancienne fermette aux murs de pierres schisteuses et antiques poutres de chêne foncé, entourée d’un vaste jardin potager et fleuri, nous retournons assez fréquemment dans les Ardennes pour l’entretien et la sauvegarde de ce “chef-d’œuvre”, pas loin d’être, à l’époque, qualifié de chef-d’œuvre en péril !... Aujourd’hui, désigné par nos amis citadins sous l’appellation: “maison de charme”...
    Je veux également préciser, qu’à cette époque, ma maman habite ce même bas-quartier (maintenant “quartier résidentiel”) que l’on nomme toujours les “Pâquis”... grandes étendues d’herbages ou “terrains vagues”... jadis voués aux vaches à paître... aux oies et aux poules !
    Bien entendu, lors de chaque venue, je me dois d’aller dire bonjour aux uns et aux autres... Les Anciens surtout !
    A l’occasion de ces visites, dès l’année 1978, je commence à répertorier, selon moi, une “substance locale pittoresque et originale en voie, elle aussi, de perdition” que les autorités compétentes en la matière nommeront (à mon avis), un peu pompeusement, beaucoup plus tard: “Notre patrimoine immatériel et culturel”...
    C’est-à-dire, tout ce qui faisait autrefois le commun de la vie courante de nos campagnes : les mots, les recettes, les fêtes, les habitudes, bref, toutes les traditions orales du terroir dont se souvenaient encore, voilà quelques années, les plus vieux, dont une habitante plus que centenaire.

    J’emmagasine ainsi, d’abord dans des cahiers d’écolier (marque Oxford à grands carreaux), ensuite sur un ordinateur, plus de 3500 mots et expressions de patois ainsi que des centaines de recettes du pays d’Ardenne (et même de Vendée et de Bretagne d’où la famille maternelle de mon mari est originaire) ou encore du Midi de la France où nous allons parfois en vacances. De toutes façons, partout où nous nous rendons, même à l’étranger, ma démarche est toujours la même, mon amusement et challenge favori étant de rencontrer le public, échanger avec les gens (ce qui n’est pas toujours évident, surtout quand on ne pratique pas la même langue!), “glaner” des recettes, rares si possible, et des coutumes un peu baroques du pays!... ceci bien avant l’achat des cadeaux et autres babioles et souvenirs habituels autant... qu’inutiles !
    Il s’agit pour moi, d’une façon originale, de garder le contact ou de faire de nouvelles rencontres, d’entrer dans des maisons de milieux différents, d’enquêter (le mot n’est pas trop fort) sur la vie et les mœurs d’autrefois... En quelque sorte, un plaisant dérivatif à ma condition de femme au foyer et mère de famille dont j’ai profité pleinement durant ces années et que j’ai appréciée, par ailleurs, énormément. Mon mari avait son travail, très prenant; mes enfants leurs études et moi, je devais bien aussi m’intéresser à quelque chose, hormis les tâches de la maison !
    Je précise que je fréquente également, assez souvent, les bibliothèques et les archives des divers lieux auxquels je m’intéresse. Je me rends compte, en outre, que les personnes très âgées que je questionne régulièrement dans mon village (ou dans les maisons de retraite!), collaborent et acceptent facilement ma démarche; qu’elles sont très friandes de parler de leur jeunesse passée et notent d’elles-mêmes, certains mots, expressions, recettes, vieux métiers, fêtes paysannes, etc... qui leur reviennent en tête spontanément, qu’elles ont connus ou auxquels elles ont participé.
    En fait, ce sont de véritables investigations que je mène sur mes deux terrains de prédilection (Ardennes et Marne) car rapidement, au bout de quelques années, je fais exactement le même “travail” (recherche linguistique et autres) dans le milieu vigneron champenois où les différences de savoir-faire, savoir-vivre, travaux, coutumes, mets, sont pour moi des curiosités intéressantes, dignes d’être conservées et fixées sur le papier. Ainsi, j’apprends à mieux connaître et apprécier ce milieu vigneron champenois que l’on m’a décrit comme “marneux” c’est-à-dire grincheur, snob et distant, mais qui ne s’est jamais révélé ainsi à mon égard.
    Partout où je vais, je suis bien accueillie, une flûte à la main, un biscuit rose de l’autre, et les Marnais se font même un plaisir (parfois un devoir!) d’acheter mes livres ardennais! Ce qui n’est pas le cas dans les deux sens! Les Ardennais eux, dont je fais partie, étant très chauvins quant à leur petite patrie...
    Ce qui ne m’a jamais empêchée de titrer bien souvent, lorsque cela le méritait, sous le nom de “Champagne-Ardenne” malgré les prudentes remarques des libraires ardennais et quelques réflexions aigres-douces de mes compatriotes !
    Ce 21 janvier 2012, nous figurerons d’ailleurs encore parmi les invités des Champenois, aux traditionnelles célébrations de la Saint-Vincent, Patron des vignerons, dans le village de Trois-Puits, aux environs de Reims.

    En 1988, un ami, Henri Vastine, le créateur du Musée de la Forêt de Renwez, propriétaire d’une imprimerie dans la vallée de la Meuse, après lecture de mes diverses “glanes” me conseille de faire imprimer (en auto-édition), un “Lexique de patois ardennais”, agrémenté d’une monographie de mon village, d’historiettes et bonne “flaves” d’autrefois que, personnellement, je pensais réserver à ma future descendance...
    “Vous me règlerez le montant de l’impression au fur et à mesure de vos ventes!”... m’affirme cet optimiste généreux qui ne doutait jamais de rien !
    Ainsi naquit mon premier ouvrage : Mon enfance à Sécheval, le parler de chez nous... en mars 1989.

    Peu de temps après, le seul livre de recettes ardennaises que nous connaissions alors (par Monique Esquerré-Anciaux) aux Editions Denoël, fut “mis au pilon”, la série sur les Régions de France étant arrêtée... Sans tarder, je me décidai alors, à composer son remplaçant: 300 Recettes du Pays d’Ardenne pour lequel je trouvai un éditeur (Dominique Guéniot de Langres), par le biais d’un libraire (Jean-Charles Vaillant) d’Épernay.
    Le succès de ces deux ouvrages créés dans l’insouciance et le divertissement (d’autres disent la passion!) me surprit beaucoup; il ne se démentit en aucune façon puisque le premier (dont le plus gros des exemplaires fut vendu au bout de quelques années), m’était sans cesse redemandé par le public. Il fut d’ailleurs prétexte à une poursuite de l’enquête linguistique auprès des derniers anciens du village et vient de réapparaître, en 2011, sous le titre de : Patois ardennais, le parler de mon village... agrémenté de trois mille mots! Aux Editions Dominique Guéniot de Langres auxquelles je dis, en passant, un grand merci d’avoir bien voulu me suivre dans toutes mes “pérégrinations” dont certaines n’étaient pas si évidentes sur le plan éditorial (voir les titres !).
    Quant au second, les 300 Recettes du pays d’Ardenne, son tirage ne s’est jamais arrêté et s’est même concrétisé, en 2010, toujours chez le même éditeur, en 365 Recettes du pays d’Ardenne (une pour chaque jour de l’année!)... Considéré, par mes chers lecteurs champardennais, à l’unanimité, comme la “bible” de la gastronomie ardennaise !
    En janvier 2000, la Direction du Tourisme et la Secrétaire d’État au Tourisme me font savoir, par courrier, qu’en “reconnaissance des services rendus, la médaille de bronze du tourisme m’a été décernée”. Le mois suivant, autre détail cocasse, je reçois le diplôme, tel quel, déposé dans ma boîte aux lettres par le Maire de ma commune.

    Au fil des ans, d’autres parutions ont vu le jour, assez régulièrement, ainsi que l’on peut se rendre compte sur la liste donnée un peu plus loin, ce qui augmente, bien sûr, ma notoriété régionale, puis nationale, puisque certaines grandes maisons d’éditions prennent contact avec moi pour me solliciter.
    Ainsi, en 2005, les Éditions Flammarion me demandent de “travailler” sur un ouvrage relatant les recettes et traditions de nos régions de France. Il en ressort le livre : Recettes traditionnelles de nos campagnes en août 2006 puis : Cakes des grand-mères en mars 2007. La responsable de rédaction me félicite de mes recherches dignes, me dit-elle, d’une vraie folkloriste !

    Ainsi, dans chacun de mes ouvrages se rapportant à la gastronomie, chaque recette est replacée dans son contexte de coutume, tradition, métier, fêtes populaires, fêtes païennes ou religieuses et cérémonies diverses. Ce qui donne des ouvrages non seulement à regarder (iconographie assez dense) à cuisiner ou à parler... (le patois!)... mais aussi des livres à lire et se réjouir, tout simplement.
    Voilà en gros ce qui fit mon “succès”, c’est-à-dire rien d’extraordinaire en somme. À la portée de tout le monde ! Pour qui aime parler avec son prochain, lire et écrire évidemment.
    Voilà aussi comment un simple amusement devient un métier à temps complet ! C’est pourquoi je tiens à expliquer ici ma propre démarche ainsi que les péripéties qui l’accompagnent, pour information, sur ce site Internet que me propose la Société des Gens de Lettres de Paris. Ceci dans le but de mieux répondre aux nombreuses questions, posées le plus souvent par mes lecteurs, éditeurs, journalistes, professeurs de l’Éducation Nationale, etc... qui se résument en somme par “Mais comment avez-vous donc fait pour écrire tout cela?”... Peut-être aussi pour tenter d’insuffler la “vocation” à d’autres personnes !
    Il me faut préciser que j’en suis rendue, actuellement, à plus de cinquante ouvrages, en comptant ceux en attente d’édition. Comme dans tout métier, tout ne fut pas toujours facile mais je dois dire que ce “travail-passion” m’apporte, aujourd’hui encore, à l’âge de la retraite, beaucoup de satisfaction.

    A l’heure où chaque être humain veut se recommander du monde entier, “citoyen du monde”, force est de constater que le sujet du régionalisme n’est pas prêt de s’éteindre, vous pouvez en croire mon humble expérience d’enquêtrice sur le terrain... Plus le monde est vaste, plus les peuples circulent, s’exilent et se mélangent, plus l’avenir est flou... et plus l’homme se retourne vers ses racines ! Au moins, s’il ne sait où il va, qu’il sache d’où il vient ! Et cela, au fond de son cœur, l’homme ne l’oubliera jamais !
    Aussi mes sujets régionaux d’écriture sont-ils inépuisables en la matière et d’avance, je sais que je ne pourrai tous les concrétiser dans des livres, à moins que le Bon Dieu ne me prête vie jusqu’au moins deux cents ans !
    Ce qui est peut-être un peu trop demander... Ne trouvez-vous pas?

    C’est pourquoi je fais mienne cette maxime issue de Confucius, antique philosophe chinois (551-479 Av. J.C.) : Choisissez un travail que vous aimez et vous n’aurez plus à travailler un seul jour de votre vie...


En douze dates...
1944 : Naissance à Sécheval (Ardennes).
1960 : Préparatrice en pharmacie à Renwez (Ardennes).
1966 : Mariage avec Daniel Bésème.
1970 : Naissance de Frédéric.
1974 : Naissance de Sophie.
1976 : Départ pour le département de la Marne.
1978 : Première collecte des traditions du terroir.
1989 : Sortie du premier livre : Mon enfance à Sécheval, le parler de chez nous.
1999 : Retour dans les Ardennes.
2006 : Sortie du livre : Le biscuit rose de Reims.
2010 : Sortie du livre : 365 recettes du pays d’Ardenne (revu et augmenté).
2012 : Sortie du quarantième livre : Patois ardennais, le parler de mon village (revu et augmenté).