Le Tambour Héroïque
La révolution, les royalistes contre les républicains. Un jeune tambour rythme les combats avec ses baguettes jusqu'au moment où les Chouans attaquent ...
Le Tambour Héroïque
Jean-Louis RIGUET
Jean-Louis RIGUET
(Extrait)
Dernière décade du 18ème siècle. La France venait de vivre une révolution, sa Révolution. Le pays était dans un état de délabrement certain, secoué par des intérêts contradictoires que, souvent, seule la force hélas résolvait. Les Royalistes, qui se faisaient évincer du pouvoir, n’étaient pas contents d’abandonner le pouvoir. Les Républicains, qui voulaient gouverner sans partage, n’y arrivaient pas selon leur guise. Dès lors, au-delà des escarmouches verbales traditionnelles, la guerre civile faisait rage, notamment dans l’ouest et une partie du centre du pays. Les Chouans de Vendée, royalistes, défendaient mordicus leur territoire et même voulaient avancer sur la capitale pour rétablir l’ordre qu’ils estimaient indispensable, leur Ordre. De l’autre côté, les Républicains tentaient de colmater les brèches et de conserver l’ordre qu’ils avaient établi récemment, leur Ordre. Évidemment, tout ce petit monde s’affrontait. Les conflits étaient quotidiens, entraînant une misère encore plus grande pour le peuple. La permanence résidait non pas dans la paix mais dans la guerre, et surtout la guerre civile. Des hommes d’un même pays qui se combattent, non pas pour le bien des hommes mais uniquement pour en avoir le pouvoir ! C’est l’une, abominable, des motivations, avec le sexe et l’argent, du cheminement des hommes, que l’intelligence constructive n’arrive pas à éradiquer. Elle générait, et génère encore d’ailleurs, des situations dramatiques et des combats tragiques. Il y avait des jours où les sauvageries étaient pires que d’autres. Tous les coups étaient permis et personne ne s’en privait. Les combattants étaient surtout des volontaires sans culture militaire. Seuls les chefs avaient une petite expérience de la guerre. Pour entraîner les troupes et les engager à combattre courageusement, des tambours battaient la mesure en tête des colonnes. À la différence des tambours de paix qui enchantent les auditeurs et les badauds des villages, les tambours de guerre sont synonymes de batailles féroces, de mort et sement plutôt la terreur. Depuis 2 ou 3 ans, je m’ennuyais au fin fond d’une dépendance du château de Palaiseau où mon ancien maître m’avait entreposé après une blessure malencontreuse lors des événements qui constituèrent la Révolution. J’avais vu une fois le dernier seigneur de ces lieux, le prince Louis-Joseph de Condé, lors d’une cérémonie où la fanfare avait été conviée pour l’animer. À l’époque, j’avais la peau bien tendue. Mes cuivres étaient astiqués et mes cordes bien alignées. Je résonnais clairement et mon maître enchaînait les roulements avec un plaisir immense, jusqu’au moment il m’avait laissé seul, dans un coin sans confort, presque en butte aux intempéries, comme un malpropre. Je lui en voulais quelque part mais je ne pouvais pas me venger. J’avais pris mon mal en patience. Non loin de moi, dans une autre partie des dépendances, vivait une famille au service du prince. Le père, François Bara, garde-chasse du seigneur, était marié avec Marie-Anne Le Roy. Le couple était fécond. Il avait déjà 8 enfants. Nous étions en été, fin juillet 1779, quand j’entendis des babillements venant de leur modeste logis. À l’époque, j’étais encore sous la coupe de mon ancien maître. Cependant, je m’étais dit : « Ils ont encore enfanté, le huitième marmot. Qu’avait-il besoin de cela ? » Le petiot avait été prénommé « François Joseph », mais ils utilisaient seulement « Joseph ». Cela ne me gênait pas. Finalement, c’était leur affaire. J’avais appris, par un voisin de chambrée plus fortuné que moi, puisqu’il sortait de temps en temps à la faveur de promenades champêtres qu’un garçon de ferme avait pour habitude d’effectuer quand il ne travaillait pas, que cet enfant avait été baptisé en l’église Saint-Martin de Palaiseau et mis sous la protection de son parrain François Joseph Meyry de la Grange, receveur général et procureur fiscal du prince de Condé, et de sa marraine qui n’était pas moins que son épouse, Jeanne Griffe. Je ne me souviens pas d’une difficulté particulière dans l’enfance de Joseph. Ce n’était point un enfant turbulent même s’il avait besoin de se dépenser beaucoup, avec une énergie qui en étonnait beaucoup. Il ne se laissait pas dominer souvent et trouvait toujours une sortie à une difficulté quelconque. Sa famille étant très pauvre et son père étant mort alors qu’il n’avait que 5 ans, il passait autant de temps, sinon plus, à travailler pour aider sa mère dans certaines tâches qu’à jouer. Un soir, 2 ou 3 ans plus tard, alors qu’il était fatigué, qu’il voulait être seul pour récupérer un peu de forces, le jeune Joseph entra par curiosité dans la grande pièce de la grange qui me servait, dans un coin, de réduit à reposer. Jusqu’à maintenant, il ne s’était jamais autorisé à y pénétrer, mais ce jour-là il n’avait pas hésité. Il avait poussé la grande porte, qui avait grincé comme à chaque fois, avec un peu de difficulté car elle était lourde la bougresse. Timidement, le garçon avait d’abord tourné la tête de droite et de gauche sans faire un pas. Puis, il avait avancé lentement découvrant un décor de théâtre comme il n’en avait jamais imaginé. Il est certain que tout était de bric et de broc. Séjournaient là depuis plusieurs années des tables, des bancs, des chaises, des bahuts, des maies, des outils, tout un bric-à-brac innommable. Tout était recouvert d’une fine poussière puisque personne ne prenait la peine de venir épousseter quoi que ce soit. Joseph n’osait toucher les ustensiles, ouvrait grand les yeux, découvrait un tas de choses dont il ignorait tout, même jusque aux noms. Arrivé au bout de la pièce, Joseph tourna la tête vers la droite, en direction d’une espèce d’alcôve, et s’avança en direction de la table sur laquelle j’étais posé…
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