Le Passant
Chaque matin, à la même heure, le narrateur voit passer devant sa fenêtre un passant. Il se pose des questions ... d'autant plus que le passant repasse le soir, à la même heure, dans l'autre sens ...
Le Passant
Jean-Louis RIGUET
Jean-Louis RIGUET
(Extrait)
Chaque matin, cinq jours par semaine, à 6 h 15, qu’il fasse beau, qu’il pleuve, qu’il neige ou qu’il ne fasse rien, le passant passe, de l’autre côté de la rue, toujours dans le même sens. Juste une ombre fugitive qui arrive à me surprendre et qui disparait aussi vite qu’elle est venue, discrètement, sans bruit, furtivement. Quelle est sa destination ? Tous les matins que Dieu fait et qui m’obligent à me rendre au travail, en préparant mon café, seul dans ma cuisine, souvent dans la pénombre, je vois passer ce passant. Ce qui m’intrigue c’est le sens de sa marche. Dans l’autre sens, il irait vers la ville, cela s’expliquerait facilement. Il irait au travail car il commence très tôt le matin. Mais dans ce sens-là, je ne vois pas. Le passant marche rapidement, il ne baguenaude pas. J’en déduis qu’il est pressé, il a forcément un horaire à respecter. Il est vrai qu’à l’autre bout du village, dans ce sens-là, il y a un arrêt de bus, mais de l’autre côté aussi. S’il se dirige vers la ville, sûrement que cet arrêt de bus est plus près que l’autre. Mais il est le seul passant à faire cela tous les jours travaillés, d’une manière très ponctuelle. Tout le reste du temps, tôt le matin, la rue est déserte.
S’il prend le bus, deux directions lui sont possibles : Soit il va dans le village d’à côté, vers l’est, mais habillé en costume de ville il doit travailler dans un bureau, il est trop tôt. Il n’a que cinq kilomètres à faire. Cependant, il est peut-être obligé de pousser jusqu’au village suivant, mais je n’y vois pas de bureaux. Le passant doit obligatoirement laisser derrière lui ce village pour aller à celui d’après. Il est vrai qu’il a plus de chance de rencontrer une entreprise avec des bureaux. Il pourrait y être vers 7 h 15 - 7 h30. C’est plausible. Ensuite c’est la campagne. Ou alors, il va jusqu’au prochain village pour emprunter un autre moyen de transport en commun pour aller dans la grande ville située au nord. Mais pourquoi ? Puisque l’autre bus l’amène directement dans la grande ville. Soit il se rend dans la grande ville, au nord, et il arrivera vers 7 h, très tôt pour travailler dans un bureau. À moins qu’il prenne ce bus de très bonne heure qui le conduit à la gare pour prendre un train qui l’amènera jusqu’à Paris vers 8 h – 8 h 30.
Dans les deux cas, pour quoi part-il si tôt par un bus à destination soit d’un village, soit la grande ville, soit de Paris ? Pour quoi faire ? Le Passant devenu passager redeviendra passant jusqu’à son lieu de destination finale pour accomplir une activité qui lui seul connaît. Dans un bureau, il y a mille activités différentes possibles et envisageables, dans n’importe quel domaine, pour n’importe quelle tâche ou fonction. Son activité peut être lucrative ou pas, intéressante ou pas, enrichissante ou pas, conviviale ou pas. Comment savoir, rien qu’en voyant passer un passant ? L’on peut échafauder mille choses, mille possibilités, mille aventures, toutes plus abracadabrantes les unes que les autres. Il est certain qu’à priori, certains métiers peuvent être éliminés d’office, tous ceux qui touchent au monde de la nuit, souvent au monde artistique qui préfère le soir au matin, tous ceux qui touchent la direction générale des grosses entreprises qui se véhiculent autrement que par les transports en commun, tous ceux qui ont une activité ne nécessitant pas de déplacements lointains réguliers. Même en retirant ces métiers, le nombre de possibilités reste impressionnant. La seule certitude est que le passant passe. Une autre question peut venir au cerveau. Si ce passant fait un long trajet, le matin de bonne heure, pour aller à Paris, se confiner dans un bureau, respirer de la mauvaise poussière de papiers commerciaux, c’est sûrement parce qu’il y trouve un intérêt quelconque. Peut-être espère-t-il une économie, malgré les frais de transport, résultant de la vie jugée moins chère en province ? Peut-être bénéficie-t-il d’une meilleure qualité de vie ? Peut-être est-il un cumulard, la vie moins chère plus une meilleure qualité de vie ? Encore que la qualité de vie soit entachée de la fatigue due aux différents trajets, car je suppose que s’il part le matin, il revient le soir par la même locomotion, puisque je le revois le lendemain matin.
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