Sibylle.
Tu serais certainement la lampe enfumée, la place que l’on évite, la fenêtre que l’on découvre, les années que l’on dérobe, le chemin, et d’autres visages sur le chemin, la bouche que l’on imprime sur le dos de sa main, et le mot rupture, et le mot caché. Et l’os abandonné par le chien, et le galop de ce cheval fou, et tout le reste passé sous silence.
Tu racontes la suite, toutes les suites,
Au peuple muet.
 
*
 
La fameuse devineresse gagne le temps contre la mort.
Même si le secret est le même pour tous.
S’éloigne, me trouble.
M’atteint dans les yeux.
L’âpre montagne, la pluie fine sur le bleu des cyprès.
L’univers se recompose selon d’autres lois et figures.
L’île s’invente, s’ouvre, nous sommes entre nous.
 
*
 
Ceux qui sont revenus de l’île de Léros, déchirés.
Je dis Ritsos Yannis.
Depuis trop longtemps captifs, le peuplement de la nuit par leurs bêtes.
Captifs sous le soleil.
Je pense à eux.
Ils reprennent pied, inquiets.
Là où je me trouve. Ou dans ce morceau de ciel délavé. Ou dans ce poisson emballé dans du papier journal.
Le rythme de leur respiration, sous le soleil, rouge.
 
*
 
Le soir ils ne sortent pas, restent assis sur le seuil de la maison, les yeux ouverts mais ne regardent pas plus loin que l’au-delà de cet oiseau glissant dans le vide, ils écoutent cette femme qui leur sourit avant de s’éteindre comme une bougie que l’on souffle, droite et raide.
 


Traversé, Rougerie éditions, 2008