Il a peur d'écrire ce monde. Les mots le fuient, parce que l'enfance est devenue trop vaste, les mots s’échappent et il faut les arrêter, les saisir, les immobiliser, les engrosser, cela s'appelle un langage, et sa main est malhabile à bâtir ce langage.
Ce qu’il veut écrire, ce sont ces premiers moments dans lesquels son identité se révèle, fortuitement, avec une extrême fragilité. C'est un homme qui s'essaie à redonner vie à son premier souffle. Une ombre l’enveloppe, le presse de toutes parts. C'est ça, l’écriture de l'enfance ; à tout moment tout peut être perdu, une ombre est toujours prête à nous happer.
Son enfance est ce regard égaré tout au fond de sa mémoire.

Il a entendu à un concert la pianiste Anne Le Bozec et la flûtiste Sandrine Tilly interpréter le Chant de Linos d’André Jolivet.
À cet instant, toutes ses années d’enfance et d’adolescence sont remontées avec force jusque dans sa poitrine, presque à l’étouffer.
Le Chant de Linos était dans l’Antiquité grecque une variété de thrène : une lamentation funèbre, une complainte entrecoupée de cris et de danses.
André Jolivet
Telle était son enfance.
 


Les Petites filles de mon enfance ne clignent pas les yeux, Éditions MLD, 2009