Entretien avec Georges Chapouthier, biologiste
A propos de la parution du livre Théorie de l'extensio (Edilivre, 2012)
un entretien de l'auteur EUGENE MICHEL
avec Georges Chapouthier, biologiste et philosophe
Directeur de Recherche émérite au CNRS à la Salpêtrière (UPMC)
GC : Eugène Michel, bonjour. Tu es venu vers moi il y a quelques années parce que mon livre L’homme, ce singe en mosaïque t’avait beaucoup intéressé.
EM : Et nous sommes devenus amis.
GC : C’est surtout l’aspect cellulaire de mon « effet mosaïque » qui retient ton attention. Tu viens d’un DEA de biophysique des membranes obtenu à l’UPMC.
EM : Je trouve ta découverte capitale : des éléments juxtaposés fusionnent pour faire un tout, en conservant une forme d’individualité.
GC : Il y a un magnifique encouragement à la recherche dans ta théorie. Ton concept d’inventus, c’est-à-dire, si j’ai bien compris, la modalité intrinsèque des neurones de recherches de solutions nouvelles, est stimulant. Ta théorie est une sorte de mode d’emploi pour l’exploration qu’est toute vie.
EM : Oui, une exploration parallèle à la reproduction-imitation. A tout âge, un apprentissage n’est jamais servile, il s’effectue avec des audaces individuelles ou collectives.
GC : Ta théorie coordonne les éléments du monde avec une logique très sereine. L’habitus-inventus, les outils, les étapes, la synergie entre l’individuel et le collectif, on embrasse la vie presque d’un seul regard. Avec toute sa diversité.
EM : C’est le propre de toute théorie : relier dans une unité la plus grande diversité possible.
GC : Quelles sont les spécialités concernées par ton travail ?
EM : La première, c’est l’éducation. Ma théorie s’est affinée grâce au site de Daniel Calin « Psychologie, éducation & enseignement spécialisé ». La théorie de l’extensio confirme les grands principes pédagogiques actuels, et elle est une alliée de la pédopsychiatrie. Les carences ou les excès en habitus ou en inventus que peuvent subir les enfants dès l’idée de leur conception sont très préjudiciables à leur épanouissement. Quant aux agressions, on commence à peine à se rendre compte de l’ampleur des dégâts pour toute une vie. Les familles et les collectivités doivent être très vigilantes.
GC : Tu consacres un chapitre au bien-être des jeunes.
EM : C’est primordial. Si on ne commence pas l’âge adulte dans la joie, comment va se dérouler la suite ? L’extensio recommande aux jeunes gens de faire le point sur leur histoire pour valoriser les aspects positifs et résoudre les ressentiments, en comprenant que la vie entière consiste à améliorer les quatre outils que sont les sens, les gestes, la parole et l’écrit.
GC : L’autre science concernée par ta théorie est celle de l’évolution. Tu es d’accord sur le fait que la sélection survient dès le niveau cellulaire pour les multicellulaires.
EM : Oui. L’évolution est produite par la reproduction. Les cellules se reproduisent, donc elles évoluent.
GC : Mais tu ne reprends pas le concept d’adaptation ?
EM : Pour la théorie de l’extensio, il n’y a jamais de véritable adaptation de la vie. C’est un terme qui me paraît fixiste. La vie s’oriente vers une extension de sa relation au monde car c’est un avantage de moins dépendre d’un environnement limité. L’expression « struggle for life » ne me paraît juste qu’en cas de carences ou d’excès des apports. Sinon la vie est plutôt dans le « pleasure for life », le plaisir de l’extensio qui résulte de l’incessante émergence de l’inventus dans l’habitus.
GC : Troisième domaine touché par ta théorie, la sociologie.
EM : Là, l’extensio enfreint le tabou de la séparation de l’individuel et du collectif. De plus, je me suis aperçu après coup que l’inventus challenge l’habitus de Pierre Bourdieu. C’est quelque peu iconoclaste.
GC : D’où est venue l’idée d’inventus ?
EM : L’inventus est né grâce à Jean-Pierre Changeux. Lorsqu’il a créé l’expression « habitus neuronal », j’ai trouvé que la créativité n’était pas assez représentée, alors j’ai parlé d’ « inventus neuronal ». Certes, la plasticité neuronale stabilise les connexions aléatoires par la répétition des stimulations, mais il ne faut pas perdre de vue qu’il s’agit aussi de résoudre des problématiques toujours nouvelles.
GC : En quoi ta théorie peut-elle être utile à la sociologie ?
EM : Il s’agit de repérer où se situe l’extensio du groupe ou des individus qu’on étudie. Ma théorie postule qu’en cas de difficulté durable d’extensio, il y aura souffrance.
GC : Tu gardes un bon souvenir de tes études à l’UPMC ?
EM : Un souvenir merveilleux. Il y avait cette phrase de Bachelard en grandes lettres sur le dallage du campus : « Le monde est ma provocation ». On la lisait en marchant dessus. Après maths-physique, j’ai choisi la physique, puis la biophysique, c’est-à-dire l’application de la physique à la biologie. J’ai vécu cela comme une aventure intellectuelle parfaite. Cela fait drôle de passer de la thermodynamique au nucléaire puis à la cellule et à la neurophysiologie. Le directeur de la biophysique, Gary-Bobo, était un visionnaire. J’ai suivi les cours de Pierre Favard avec délectation. Quant à Yves Galifret qui enseignait les systèmes sensoriels, c’est mon maître ! J’espère que ma théorie fera honneur à mon université.
GC : En tout cas, je souhaite qu’elle lui réserve un bon accueil !
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