La tapisserie de Bayeux
MELRAND INSPIRE LES ROMANCIERS HISTORIQUES
Les brodeuses de l’Histoire, Le Clainche Marie-France et Morel Denise.
En marge mais en lien étroit avec une expérience de plusieurs années sur un site archéologique médiéval breton, une aventure littéraire s’est déroulée récemment. Le village de Lann Gouh en MELRAND (Morbihan), dont il a déjà été question dans cette revue, a servi de trame à l’écriture de quelques pages d’un récit sur la très fameuse Tapisserie de BAYEUX. Alors que plusieurs chercheurs se sont déjà succédé sur ces ruines et en ont tiré de multiples enseignements sur la vie quotidienne rurale de nos ancêtres, deux écrivains de talent ont choisi une collaboration avec l’équipe actuelle afin de nourrir leur roman historique de la plus belle manière.
Genèse de l’ouvrage
Tout a commencé il y a quelques années par la rencontre de deux femmes, dans un atelier d’écriture où l’on sait manier le verbe et le plaisir des mots. Ces écrivains ont ainsi croisé leurs chemins jusqu’à ce que l’envie d’écrire à deux naisse de leurs expériences mutuelles. L’une et l’autre avaient déjà depuis longtemps une attirance pour la broderie de BAYEUX dont il n’est plus besoin de présenter l’intérêt esthétique et historique. Son caractère exceptionnel a d’ailleurs l’inconvénient de faire naître le sentiment que tout en a déjà été dit, et pourtant… Nos deux écrivains avaient ensuite en commun une réelle attirance pour une période historique qui nous est chère, le Moyen Age, qui a lui aussi déjà été le théâtre de nombreux ouvrages, écrits ou cinématographiques. Avait-on encore besoin de l’évoquer ? Et puis, la vie a donné envie à nos deux littéraires de lancer un véritable clin d’œil personnel et familial qui allait jusqu’au désir d’étayer scientifiquement l’ouvrage en devenir. Le tout était donc d’allier toutes ces nécessités.
Cet article vise à voir comment elles ont pu élégamment, dans un contexte romanesque, parler et tisser des liens entre un univers, peut-être un peu imaginaire, et des faits scientifiquement attestés par la recherche en cours. Au final, on verra que seules, sur 340 pages que contient Les Brodeuses de l’Histoire, quatre concernent MELRAND, mais la démarche dépasse cette petite représentation du village médiéval breton et est devenue une aventure intellectuelle familiale et amicale très stimulante.
Une technique d’écriture à plusieurs
Pourquoi les auteurs ont-t-ils eu besoin d’évoquer MELRAND ? Dans le cadre d’un roman qui retrace comment a pu être commandée puis réalisée la Tapisserie de BAYEUX, il y avait nécessité de parler de la vie quotidienne à la campagne au XIe siècle. Non seulement certaines scènes brodées le permettent mais la trame de l’histoire des personnages ayant participé à ce travail le rendait possible si ce n’est souhaitable. L’idée de s’appuyer sur un site connu réel a germé très vite, les liens personnels ayant pour beaucoup concouru à cette envie. Le site de MELRAND, fouillé dès 1902 et mis en valeur par l’intermédiaire de la reconstitution étayée, était tout à fait indiqué pour alimenter l’image décrite par certains personnages. Leur histoire personnelle, leurs familles, leur vie quotidienne sont passées par cette contrée où les villages ressemblaient à la plupart des villages d’ici et outre Manche d’ailleurs. D’autre part, l’historien actuel du site avait bien évidemment envie de parler de l’objet de ses recherches et de faire partager ses connaissances avec le plus grand nombre dans la même optique d’ailleurs que la mise en valeur actuelle. En effet, depuis de nombreuses années MELRAND est ouvert au public et la présentation qui y est faite vise à donner les acquis des recherches menées, de leur déroulement et de leurs résultats. Le jardin, les bâtiments reconstitués, les vestiges… tout est conçu pour que ce monde passé soit accessible au plus grand nombre.
Enfin, la « caution » historique est toujours, pour un écrivain sur une période passée, intéressante et elle engage de plus le chercheur dans un choix intellectuel très stimulant. La confrontation avec le lecteur, averti ou non, est une aventure en soi car elle permet parfois d’aller plus loin dans la démarche de recherche. Le rôle de l’équipe de MELRAND a donc été tout d’abord de fournir à nos deux écrivains la documentation et les éléments de recherche possibles afin de nourrir leur prose. Tant les éléments inédits que le fonds documentaire du site ont été mis à disposition, chacun y puisant la matière nécessaire à sa plume. Ce sont ensuite les rencontres et les échanges qui ont pu orienter ou réorienter l’écriture de certains chapitres. La relecture de l’historien a également été un moment fort et délicat. Il fallait accepter de valider les éléments sur MELRAND et sur le Moyen Age en général dans les domaines de compétences dont nous nous sentions responsables. La confiance de l’écrivain et la mission dont nous étions investis ont été des éléments forts de cette aventure épistolaire. Finalement, cette connivence intellectuelle a donné envie aux auteurs de confier l’écriture de l’ouverture de l’ouvrage en remerciement d’une supervision générale du contenu historique depuis le début. L’envie de l’accepter était réelle.
Intellectuellement
Le roman s’appuie sur une réalité archéologique et historique fondée sur les derniers acquis de la recherche menée à MELRAND depuis 1902. Bien évidemment, cet état des lieux sera sans doute amené à évoluer puisque les travaux y sont toujours en cours. Ce qui importe est bien que la recherche trouve par ce biais, aussi, une voie de médiatisation vers des lecteurs multiples dont les attentes et l’attirance ne va pas forcément vers l’archéologie ou l’expérimentation. Cette démarche d’écriture permet de croiser les regards sur une période bien déterminée, avec ces hypothèses émises et ces certitudes acquises, qui donnent au roman une solidité historique qui n’est pas didactique mais accompagne et sous tend la trame de l’histoire très naturellement. C’est ce travail fait au Village de l’an mil de MELRAND qui donne finalement aux pages en question une toile de fond très évidente.
Moins évidente est aussi de montrer l’influence que la politique peut éventuellement avoir sur la vie quotidienne des petites gens. Pourquoi ne pas imaginer en effet que cette histoire là est réelle ? Bien des destins nous échappent, ayant permis à certains de voyager loin, soit par goût soit pour échapper à un quotidien difficile. Il est tout à fait imaginable que, comme dans le roman, des agriculteurs aient fait le choix de partir, loin, et que leur destin ait croisé celui des hauts personnages, celui des grands événements, celui des œuvres d’art. Cette possibilité ouvre celle d’opportunités de voyages et efface l’idée de campagnes ne vivant que dans l’inertie et la répétition d’une génération à l’autre de gestes toujours identiques. Le roman en question permet aussi de dire que les lieux dont il est question sont aussi des lieux qui ont une existence physique réelle. Celui de la bataille d’Hastings en est un. Parmi d’autres. Le besoin, pour un historien, de se référer à un territoire, à un espace géographique palpable, ce besoin est similaire à celui qui pousse à considérer la Broderie de BAYEUX comme un vecteur d’Histoire concret. Les multiples reproductions papier n’auront jamais l’égal de la vraie Tapisserie, considérée avec ses couleurs, ses fils, ses petits défauts qui lui donnent une authenticité qui nous rapprochent de ces brodeuses dont la vie nous est contée dans le roman. Tout comme le Nunnaminster de WINCHESTER qui n’est pas qu’un lieu de visite mais aussi un fil tangible qui nous raccroche à un labeur, à une ambiance, à des vies qui ont bien existé !
Enfin, le roman Les Brodeuses de l’Histoire permet d’évoquer l’idée qu’un homme d’église, en l’occurrence le commanditaire de la Broderie, donne la possibilité de parler du travail d’anonymes, d’une chaîne d’hommes et de femmes, anonymes aussi, qui ont contribué à façonner ce chef d’œuvre que l’on admire tant aujourd’hui. Ces anonymes-là sont 85 % des gens donc autant d’histoires particulières dont il n’est jamais question. Parler de ces gens simples, de ces humbles qui ont aussi mais discrètement bâti, nourri, construit, c’est rendre hommage à la majorité, au travail, à la vie quotidienne qui n’a rien de remarquable que la persévérance et l’endurance. Ceux qui n’ont pas laissé les œuvres qu’on admire méritent quelques pages dans un roman qui est aussi celui de leur quotidien. Ce quotidien est aussi celui qui est évoqué au Village de l’an mil de MELRAND, sous un autre angle.
Concrètement
Dans les pages qui évoquent le site (pages 84, 85, 163 et 164), bien des thèmes essentiels sont abordés. L’architecture, l’ambiance, le labeur, la nourriture, la forge... autant de sujets d’étude sur le site de MELRAND et dont il a fallu résumer les plus flagrants acquis pour les livrer au lecteur. Mais c’est dans la simplicité et l’évidence que cela a été fait par les auteurs, afin que l’ensemble de paraisse pas artificiel. A celui qui visite le site aura la même impression en traversant le village reconstitué que celui qui lit les lignes du roman. Le même effort de restitution est fait sur le terrain pour donner l’allure générale des maisons, la chaleur dégagée par le foyer central ou le travail de réduction du métallurgiste… que dans la description littéraire. Autant l’archéologue tente d’être précis et juste dans l’information qu’il délivre sur le terrain, autant l’écrivain a su trouver les mots adéquats pour que le lecteur sente l’ambiance des villages du XIe siècle.
Conclusion
C’est au final une belle aventure humaine, familiale et amicale qui a permis d’aboutir à un ouvrage très documenté et ne trahissant pas la réalité historique telle que peuvent la dessiner les sources les plus sûres utilisées. Ce fut un réel travail de recherche pour étayer encore plus et mieux l’univers qu’on essaye de reconstituer à MELRAND et éviter, sur l’ensemble de l’ouvrage, les anachronismes. La collaboration a permis une vraie consolidation de nos connaissances sur la période car chaque évocation a été l’objet d’une vérification minutieuse. Loin d’être pesante, cette tâche a permis de parler d’un site qu’on aime avec l’idée de relier la petite à la grande Histoire. Ce qu’aucune source ne permet de faire à l’heure actuelle mais que l’écriture offre comme possibilité. Regarder autrement le terrain et la Broderie, en se disant que tout est envisageable, sans pour autant trahir ni mentir. La même transposition est possible à d’autres sites dont les études approfondies ont donné lieu à des descriptions très riches qui pourraient être le théâtre des mêmes cheminements. Ces collaborations sont toujours riches et n’enlèvent rien à l’écriture de l’Histoire, que chacun doit pouvoir appréhender avec ses outils et sa sensibilité. Personne n’ayant le monopole de l’approche historique tant que les sources ne sont pas manipulées.
Marie-France et Maud Le Clainche